Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 2. Dozy Reinhart Pieter Anne
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СКАЧАТЬ entre les mains des insurgés, fuyaient devant eux pour aller chercher un asile derrière les murs de la résidence du sultan.

      Quand, du haut de la plate-forme, Hacam vit arriver, semblable aux flots de la mer, cette multitude rugissante de fureur et qui poussait des cris horribles, il crut qu’une sortie vigoureuse pouvait encore la dissiper, et sans perdre de temps, il la fit charger par la cavalerie; mais quel fut son désappointement quand le peuple, loin de lâcher pied comme il l’espérait, soutint fermement le choc, repoussa les cavaliers et les força à la retraite109.

      Le péril était extrême. Le palais, quoique fortifié, ne l’était cependant pas assez pour pouvoir repousser à la longue les assauts que les insurgés allaient donner. Aussi ses plus braves défenseurs, sachant qu’ils seraient impitoyablement égorgés si le peuple l’emportait, se laissèrent aller au découragement. Hacam seul, bien qu’il désespérât aussi du succès de la résistance, garda un sang-froid imperturbable. Ayant appelé son page chrétien Hyacinthe, il lui ordonna d’aller demander à une de ses femmes, qu’il nomma, une bouteille de civette. Croyant avoir mal entendu, le page attendit d’un air étonné que le prince lui répétât son ordre. «Va donc, fils d’un non circoncis! reprit Hacam impatienté, et fais vite ce que je t’ai ordonné!» Hyacinthe partit, et quand il fut de retour avec la bouteille, le sultan la prit et se mit à la vider sur sa chevelure et sur sa barbe avec une tranquillité si parfaite qu’on eût dit qu’il se préparait à aller faire la cour à une jeune beauté du sérail. N’y comprenant plus rien, Hyacinthe ne put retenir une exclamation de surprise. «Pardonnez-moi, seigneur, dit-il, mais vous choisissez pour vous parfumer un singulier moment. Ne voyez-vous donc pas quel péril nous menace? – Tais-toi, misérable!» repartit Hacam en s’impatientant de nouveau; puis, quand il eut fini de se parfumer, il reprit: «Comment celui qui va me couper la tête, pourra-t-il la distinguer de toutes les autres, à moins que ce ne soit au parfum qui s’en exhale110? Et maintenant, poursuivit-il, tu iras dire à Hodair de venir me trouver ici.»

      Hodair était préposé à la garde de la prison de la Rotonde, dans laquelle étaient renfermés plusieurs faquis que Hacam avait fait arrêter lors des révoltes précédentes, mais qu’il avait épargnés jusque-là. Cette fois, voyant que le peuple et les faquis allaient lui enlever le trône et la vie, il était bien décidé à ne pas souffrir que ces prisonniers lui survécussent, et quand Hodair fut arrivé sur la plate-forme, il lui dit: «Dès qu’il fera nuit, tu feras sortir ces méchants chaikhs de la Rotonde; puis tu ordonneras qu’on leur tranche la tête, et qu’on les cloue à des poteaux.» Sachant que, si le palais était pris d’assaut, il serait infailliblement immolé et qu’alors il devrait rendre compte à Dieu de ses actions, Hodair frémit d’horreur à l’idée du sacrilège que son souverain lui ordonnait de commettre. «Seigneur, dit-il, je n’aimerais pas que demain chacun de nous deux fût enfermé dans une cellule de l’enfer; vous auriez beau alors pousser des hurlements effroyables, et moi de même, aucun de nous deux ne pourrait secourir l’autre.» Irrité de ce discours, Hacam répéta ses injonctions sur un ton plus impérieux; mais voyant qu’il s’efforçait en vain de vaincre les scrupules de cet homme, il le congédia et fit appeler Ihn-Nâdir, le collègue de Hodair. Moins scrupuleux ou plus servile, Ibn-Nâdir promit d’exécuter ponctuellement les ordres du souverain111. Ensuite Hacam descendit de la terrasse, s’arma de pied en cap, parcourut avec une contenance tranquille les rangs de ses soldats, releva leur courage abattu par des paroles chaleureuses, et, ayant appelé son cousin germain Obaidallâh, un des plus braves guerriers de ce temps, il lui enjoignit de se mettre à la tête de quelques troupes d’élite, de se frayer un chemin au travers des rebelles, et d’incendier le faubourg méridional. Il comptait que les habitants de ce quartier, quand ils verraient brûler leurs maisons, abandonneraient leur poste pour aller éteindre le feu. En ce moment-là Obaidallâh les attaquerait en tête, tandis que Hacam, débouchant du palais avec les troupes qui lui restaient, les chargerait en queue. Ce plan, dont le succès était presque certain, ressemblait à celui qui avait fait gagner à Moslim la bataille de Harra, et cette remarque n’a pas échappé aux historiens arabes.

      Débouchant à l’improviste par la porte du palais, Obaidallâh refoula le peuple vers le pont, traversa au pas de charge la grande rue et la Ramla, passa la rivière à gué, et, après avoir tiré à soi les soldats de la Campiña, qui avaient vu les signaux que Hacam avait faits dès le commencement de l’insurrection, il fit mettre le feu aux maisons du faubourg méridional. Ainsi que Hacam l’avait prévu, les habitants de ce faubourg, quand ils virent monter les flammes, abandonnèrent leur poste devant le palais pour aller sauver leurs femmes et leurs enfants; mais quand tout d’un coup ils furent attaqués en tête et en queue, la terreur se répandit parmi ces infortunés, et le reste de cette scène ne fut bientôt plus qu’un massacre. Les Cordouans imploraient en vain leur grâce en jetant leurs armes: terribles, inexorables, les muets, ces étrangers qui ne comprenaient pas même la prière du vaincu, les égorgeaient par centaines, n’accordant la vie qu’à trois cents personnes de distinction, pour en faire hommage au souverain, qui les fit clouer, la tête en bas, à des poteaux, le long de la rivière112.

      Ensuite Hacam consulta ses vizirs sur le parti à prendre: devait-il faire grâce aux insurgés qui avaient échappé au carnage, ou bien devait-il les traquer et les exterminer jusqu’au dernier? Les avis se trouvèrent partagés; mais Hacam se rangea à l’opinion des modérés qui l’engageaient à ne pas pousser plus loin sa vengeance. Toutefois il décida que le faubourg méridional serait entièrement détruit, et que les habitants de ce quartier devraient quitter l’Espagne dans un délai de trois jours, sous peine d’être crucifiés s’ils n’étaient pas partis à l’expiration de ce terme.

      Emportant le peu qu’ils avaient pu sauver de leurs biens, ces infortunés quittèrent, avec leurs femmes et leurs enfants, les lieux qui les avaient vus naître et qu’ils ne reverraient jamais. Comme ils marchaient par troupes, le monarque ne leur ayant pas permis de marcher tous ensemble, plusieurs d’entre eux furent dévalisés en route par des bandes de soldats ou de brigands embusqués dans les ravins ou derrière les rochers. Arrivés sur les côtes de la Méditerranée, ils s’embarquèrent pour faire voile, les uns vers l’ouest de l’Afrique, les autres vers l’Egypte. Ces derniers, au nombre de quinze mille sans compter les femmes et les enfants, abordèrent dans le voisinage d’Alexandrie, sans que le gouvernement pût s’y opposer, car l’Egypte toujours rebelle aux Abbâsides, était alors en proie à une anarchie complète. Les exilés n’eurent donc rien autre chose à faire que de s’entendre avec la tribu arabe la plus puissante dans ces contrées. C’est ce qu’ils firent; mais bientôt après, quand ils se sentirent assez forts pour pouvoir se passer de la protection de ces Bédouins, ils rompirent avec eux, et, la guerre ayant éclaté, ils les battirent en rase campagne. Puis ils s’emparèrent d’Alexandrie. Attaqués à différentes reprises, ils surent se maintenir dans cette ville jusqu’à l’année 826, qu’un général du calife Mamoun les força à capituler. Alors ils s’engagèrent à passer dans l’île de Crète, dont une partie appartenait encore à l’empire byzantin. Ils en achevèrent la conquête, et leur chef, Abou-Hafç Omar al-Balloutì (originaire de Fahç al ballout, aujourd’hui Campo de Calatrava), fut le fondateur d’une dynastie qui régna jusqu’à l’année 961, époque où les Grecs reconquirent la Crète113.

      L’autre bande, qui se composait de huit mille familles, eut moins de difficulté à trouver une nouvelle patrie. C’était justement l’époque où le prince Idrîs faisait construire une nouvelle capitale, qui prit le nom de Fez, et comme ses sujets, pour la plupart nomades, montraient une invincible répugnance à se faire citadins, il s’efforçait d’y attirer des étrangers. Les exilés andalous obtinrent donc aisément la permission de s’y établir; mais ce fut au prix de la paix de tous les jours. Une colonie arabe, venue de Cairawân, s’était déjà fixée СКАЧАТЬ



<p>109</p>

Nowairî, p. 453, 454.

<p>110</p>

Ibn-al-Abbâr, p. 40; Akhbâr madjmoua, fol. 103 v.

<p>111</p>

Ibn-al-Coutîa, fol. 23 r. et v.

<p>112</p>

Ibn-Adhârî, t. II, p. 78; Nowairî, p. 454.

<p>113</p>

Quatremère, Mémoires sur l’Egypte, t. I; Ibn-Khaldoun, t. III, fol. 44 r. et v.; t. IV, fol. 6 v.; Ibn-al-Abbâr, p. 40.