Histoire de Édouard Manet et de son oeuvre. Duret Théodore
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СКАЧАТЬ où il leur faut se découvrir eux-mêmes.

      Il continua à travailler, à regarder, à s'instruire. Il fréquenta le Louvre et fit des voyages à l'étranger. Il visita la Hollande, où il s'éprit de Frans Hals, et l'Allemagne, pour voir les musées de Dresde et de Munich. Puis il alla en Italie, attiré surtout par les Vénitiens. A cette époque appartiennent des copies faites de la façon la plus serrée. Il copia un Rembrandt à Munich et rapporta de Florence une tête de Philippo Lippi. Il copia aussi au Louvre les Petits cavaliers de Velasquez, la Vierge au lapin blanc, du Titien et le Portrait de Tintoret par lui-même. Il avait une admiration toute particulière pour ce dernier maître; lorsqu'il allait au Louvre il ne manquait point de s'arrêter devant son portrait, qu'il déclarait être un des plus beaux du monde.

      En même temps il commençait à peindre d'après l'esthétique qu'il s'était faite, en prenant ses modèles dans le monde vivant, autour de lui. Une de ses premières œuvres originales a été l'Enfant aux cerises; un jeune garçon, coiffé d'une toque rouge, tient devant lui une corbeille de cerises. Une œuvre plus importante de la même époque fut le Buveur d'absinthe, en 1859. Le buveur de grandeur naturelle, coiffé d'un chapeau à haute forme, assis enveloppé d'un manteau couleur brune, est d'aspect, lugubre. Il donne bien l'idée de la ruine physique et morale où peut conduire l'abus de l'absinthe. Ce tableau est certes caractéristique, mais s'il révèle la personnalité de son auteur, il ne la montre cependant pas encore dégagée de tout alliage et de toute réminiscence. Il fait souvenir de l'atelier par où le peintre a passé. Il n'est que la continuation plus accentée des morceaux produits chez Couture, qui, par leur franchise et leur qualité de palette, avaient excité l'approbation des autres élèves, mais qui, tout en étant déjà puissants, gardaient encore la marque du lieu d'origine. Car il n'est pas dans la nature des choses que le jeune homme entrant dans la vie, quelle que soit son originalité native, puisse ne pas prendre d'abord l'empreinte du milieu où il survient et du maître dont il reçoit les premières leçons.

      Postérieure au Buveur d'absinthe est la Nymphe surprise. Elle se replie sur elle-même, en se couvrant en partie d'une draperie. C'est un beau morceau de nu, mais où l'on sent encore le travail de l'homme qui se cherche. On y découvre l'influence des Vénitiens. Le titre aussi mythologique, qui apparaît comme une exception, dans la nomenclature de ses tableaux et qu'il ne devait plus reprendre, montre qu'en ce moment, Manet a vécu parmi les artistes de la Renaissance et que, dans son admiration, il a emprunté à leur vocabulaire.

      S'il avait admiré les Vénitiens, il devait aussi s'éprendre des Espagnols, Velasquez, le Greco et Goya. A cette époque des débuts, se placent donc ses premiers motifs espagnols. Il ne faut cependant pas croire que les tableaux où il a introduit des personnages espagnols lui aient été inspirés surtout par la fréquentation de Velasquez et de Goya. S'il était allé tout de suite visiter les musées de Hollande et d'Allemagne, et étudier les Italiens chez eux, il ne devait aller voir les Espagnols à Madrid qu'en 1865, alors que sa personnalité serait pleinement développée. Les premiers tableaux consacrés à des sujets espagnols lui ont été suggérés par la vue de chanteurs et de danseurs, venus en troupe à Paris. Séduit par leur originalité, il avait ressenti l'envie de les peindre.

      Parmi les tout premiers tableaux exécutés dans ces dispositions est le Ballet espagnol, une toile où les personnages sont alignés les uns à côté des autres, debout, ou assis. Là se révèle le don de Manet de peindre en pleine lumière et d'associer, sans heurt, les tons les plus variés. Puis, en 1862, il peint la danseuse Lola de Valence. Les fleurs multicolores du jupon, le voile blanc et le fichu bleu qui entourent la tête et les épaules de la jeune femme, sont rendus, avec une extrême franchise. Le visage et les yeux si vivants présentent, comme un type étrange, cette sorte de sauvagerie raffinée, apportée et laissée sur le rivage de Valence par les Arabes.

      Manet n'avait à ce moment, où il était encore inconnu, que le poète Baudelaire pour le fréquenter dans son atelier, le comprendre et l'approuver. Baudelaire qui se piquait de ne reculer devant aucune audace, pour qui personne n'était assez osé, qui faisait depuis longtemps de la critique d'art, qu'il voulait tenir en dehors des voies battues, avait découvert en Manet l'homme hardi, capable d'innover. Il l'encourageait donc, il défendait ses œuvres les plus attaquées. Il ressentit une grande admiration pour Lola de Valence peinte, et il composa en son honneur le quatrain suivant:

      Entre tant de beautés que partout on peut voir,

      Je comprends bien, amis, que le désir balance;

      Mais on voit scintiller dans Lola de Valence,

      Le charme inattendu d'un bijou rose et noir.

      Cependant à celle époque, le Salon était le lieu obligé où tout artiste devait se produire. L'entrée au Salon marquait le moment où le débutant, sorti de la période d'études, se sentait assez sûr de lui pour appeler le public à juger ses œuvres. Manet chercha, pour la première fois, à y pénétrer, en 1859, avec le Buveur d'absinthe. Le jury d'examen le refusa. A cette époque les Salons n'avaient lieu que tous les deux ans. Ils ne devaient devenir annuels qu'à partir de 1863. Il n'y en eut donc point en 1860, et Manet ne put revenir à la charge qu'en 1861. Il présenta cette année-là à l'examen du jury les Portraits de M. et Mme M…, (son père et sa mère) et l'Espagnol jouant de la guitare, aussi connu comme le Chanteur espagnol, ou encore, comme le Guitarero. Les deux tableaux cette fois-ci furent admis. L'année 1861 marque ainsi le moment où Manet entre, pour la première fois, en contact avec le public. Les portraits de son père et de sa mère en buste, réunis sur une même toile, sont peints dans cette manière un peu dure et d'opposition de noirs et de blancs, à laquelle il s'abandonne dans certains de ses tableaux du début, par exemple l'Angélina de la collection Caillebotte, au Musée du Luxembourg. On y voit apparaître en outre ce goût qu'il devait dégager plus tard, mais qui alors se révélait inconsciemment, de peindre les natures mortes. La mère tient une corbeille, où sont placés des pelotons de laine multicolores, qui cependant s'harmonisent avec l'ensemble. Ces portraits de dimensions réduites n'attiraient pas beaucoup les regards et c'était l'autre œuvre plus importante, où un Chanteur espagnol était peint de grandeur naturelle, qui devait recueillir le succès.

      Le chanteur avait été pris dans cette troupe de musiciens et de danseurs, qui lui fournissait aussi le Ballet espagnol et Lola de Valence. Il avait donc le mérite d'être un véritable Espagnol. Il offrait un de ces êtres cherchés dans la vie et hors des modèles d'atelier, vers lesquels Manet se sentait, en opposition à l'enseignement de Couture, définitivement porté. Il est assis sur un banc vert, coiffé d'un sombrero, la tête par-dessous enveloppée d'un mouchoir, veste noire, pantalon gris et espadrilles de lisière. Il chante en pinçant de sa guitare. Théophile Gautier, dans sa critique hebdomadaire du Moniteur Universel, a dit de lui: «Comme il braille de bon courage en raclant le jambon!» Ce qui est à la fois vrai et imaginé. Le Chanteur espagnol, appartenant à la période d'essais, marque un pas en avant. Il laisse voir la poussée profonde qui se produit chez l'artiste et va le conduire bientôt à l'épanouissement complet de son originalité. Il est beaucoup plus dégagé des procédés et des réminiscences d'atelier que le Buveur d'absinthe présenté au Salon en 1859; il est peint d'une manière plus franche et plus personnelle.

      En somme, c'était un morceau où se montraient déjà les traits particuliers de l'auteur. Cependant cette même originalité, qui devait bientôt après, développée tout à fait, soulever de si violentes tempêtes, n'en occasionna point à cette première apparition. Le tableau était peint dans une gamme de tons gris et noirs, qui ne heurtait pas trop l'œil des spectateurs; quoique conçu dans la donnée réaliste qu'on abhorrait alors, il demeurait hors de la réalité ambiante, puisque le modèle, en sa qualité d'Espagnol, portait un costume à part, qu'on pouvait juger fantaisiste, si bien que l'œuvre du débutant, sans attirer spécialement les regards du public, fut remarquée des peintres et de certains critiques. Le jury lui décerna une mention honorable et Théophile Gautier put conclure, СКАЧАТЬ