Curiosa. Bonneau Alcide
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Название: Curiosa

Автор: Bonneau Alcide

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ la suppliciée n’est coupable que de vertu, elle a osé résister à l’amour! Peut-être Boccace a-t-il dit son dernier mot sur la femme dans l’histoire de cette séduisante Alaciel, qu’on ne peut voir sans la désirer, qu’on se dispute à coups de couteau, qui passe des bras de celui-ci dans ceux d’un autre, de la cabine des matelots dans le harem d’un pacha, goûte l’amour des vieux et des jeunes, des princes et des voleurs, au milieu de toutes sortes d’enlèvements et d’aventures, puis revient fraîche et souriante à son fiancé, le roi de Garbe, comme si de rien n’était: Bouche baisée ne perd pas de son charme, mais se renouvelle, comme fait la lune.

      Ces contes, qui ne sont pas tous aussi voluptueux et où la licence ne tient d’ailleurs pas plus de place qu’elle n’en occupait alors dans les mœurs, nous sont précieux encore à un autre titre: ils ont servi de passeport à la libre-pensée. Il fallait constamment se tenir en garde contre une théologie ombrageuse, pour qui la pensée était suspecte et qui surveillait d’un œil jaloux tout ce qui pouvait faire échec à ses enseignements. Quand Boccace prit la plume, Cecco d’Ascoli venait d’être brûlé. Les temps n’étaient pas encore mûrs pour la discussion philosophique; mais s’il est défendu de raisonner, on peut toujours rire, peindre les travers, les ridicules, les mœurs bonnes ou mauvaises, et le conte, avec ses apparences anodines, son franc parler, ses insouciantes allures, fut la petite fissure, bientôt large brèche ouverte, par où la libre pensée s’échappa d’abord. Depuis longtemps nos fabliaux, si plaisants, si naïfs, malheureusement écrits dans un idiome informe, destiné à périr, étaient une mine inépuisable de traits satiriques contre le clergé. Boccace leur a emprunté ce bon curé qui, voulant faire l’amour à une commère, laisse en gage sa soutane, et cet autre qui, se flattant de changer en jument la femme d’un de ses paroissiens, n’est arrêté par le bélitre qu’au moment où il veut appicar la coda. A ces histoires édifiantes, il en ajoute bien d’autres: celle du moine qui couche avec une dévote en se faisant passer pour l’ange Gabriel (on croirait lire l’aventure de la Cadière et du Père Girard); celle de l’abbé qui enferme dans une tombe un mari gênant et lui fait accroire qu’il est en purgatoire, pour l’expiation de ses péchés; celle du Juif qui se convertit au catholicisme après avoir vu de près, à Rome, la vie des cardinaux et des moines, persuadé qu’une religion qui dure depuis des siècles, avec de tels scélérats pour ministres, doit nécessairement être d’institution divine, etc. Nos vieux Gaulois, tout en vilipendant les mœurs des prêtres, n’osaient guère s’en prendre à leurs fourberies et respectaient les dogmes. Boccace va plus loin: il démontre la parfaite égalité des trois religions issues de la Bible, le Judaïsme, le Mahométisme, le Christianisme, dans sa fable ingénieuse des Trois Anneaux; il se moque des superstitions dans l’histoire de Messire Chappelet, ce voleur émérite qui trompe un prêtre par une fausse confession, est canonisé après sa mort, et dont les reliques font tout autant de miracles, dit le conteur, que celles d’un autre saint; il bafoue les imbéciles à qui un prédicateur exhibe une plume de perroquet comme tombée de l’aile de l’archange dans la chambre de la Vierge, et qui se laissent marquer d’un signe de croix au front avec les charbons retirés sous le gril de Saint Laurent; son impiété va jusqu’à nous montrer la petite Alibech, agenouillée devant l’ermite et assistant à la resurrezion della carne, bien avant qu’aient sonné aux quatre coins du ciel les trompettes du Jugement dernier. Se moquer ainsi des choses saintes et des mystères! «La liberté philosophique toute seule eût fait brûler l’auteur», dit Villemain: «elle prit pour manteau la licence des mœurs; elle a passé sous cette sauvegarde.»

      Le charme des récits avait rendu le Décaméron si populaire en Italie, que l’Église n’osa se fâcher: elle ne le prohiba qu’au concile de Trente; leur hardiesse irrévérente fit sa faveur auprès des Protestants. On s’en amusait depuis longtemps en France, à cette cour brillante du héros de Marignan, où tout le monde lisait et parlait l’Italien, et surtout dans ce petit cénacle d’esprits indépendants, groupés autour de Lefèvre d’Étaples et de Marguerite de Valois, sincèrement religieux au fond, mais qui détestaient les vices et les désordres du clergé catholique, regardaient le monachisme comme un fléau et préludaient à la Réforme en se moquant des superstitions ridicules, des saints équivoques et du culte des reliques. Pour eux, Boccace faisait plaisamment écho à Calvin, l’adversaire impitoyable des prépuces de Jésus-Christ, du vin des Noces de Cana, des patins et des peignes de la Vierge Marie, du bouclier de S. Michel archange, «toutes inventions de néant, forgées pour attraper deniers aux peuples,» et les attirait autant par cette conformité avec leurs propres aspirations que par l’art exquis avec lequel il avait transfiguré les naïfs produits de la vieille veine Gauloise. Marguerite, dans sa retraite de Nérac, en commanda une traduction Française à son secrétaire, Antoine Le Maçon, pour remplacer une ancienne imitation, démodée et hors d’usage, qu’avait publiée Laurens de Premierfaict dès la fin du XIVe siècle. Antoine Le Maçon s’acquitta de sa tâche avec tant de goût et d’exactitude, que son travail est devenu en quelque sorte définitif: Sabastier de Castres s’est borné à le retoucher prétentieusement, tout en donnant sa traduction comme nouvelle. Mieux vaut laisser dans son intégrité, avec ses tournures naïves, ses périodes quelquefois embarrassées et ses expressions archaïques mais pleines de saveur, cette langue du XVIe siècle en comparaison de laquelle la nôtre, plus châtiée et plus régulière, semble fade.

      Boccace a dédié son œuvre «aux pauvres Dames qui, retirées de leurs vouluntez et plaisirs, par le vouloir des pères, des mères, des frères et des marys, le plus du temps demeurent enfermées dans le petit circuit de leurs chambres»; il pensait surtout à celles qui aiment, car il ne faut aux autres, ajoute-t-il, que l’aiguille, le fuseau et le rouet. Quoique aujourd’hui les femmes soient moins strictement recluses qu’au temps où la reine Berthe filait, elles se délectent encore aux romans d’amour, à l’exception de celles qui font «les desdaigneuses et les succrées», et c’est à elles que l’on songe tout naturellement en réimprimant le Décaméron. Aussi a-t-il semblé superflu de l’accompagner de notes historiques ou philologiques: l’érudition alourdirait ces pages légères. Rappelons-nous que Léonard de Vinci en faisait écouter la lecture à Monna Lisa, pour amener sur ses lèvres ce sourire ambigu qu’il a pour jamais fixé dans sa Joconde.

      On a reproduit exactement, dans la présente édition, les ornements typographiques et les vignettes de l’édition Lyonnaise de Guillaume Roville, 1551, in-16. Les vignettes passent pour être de Salomon Bernard, surnommé le Petit Bernard, le graveur de la Bible dite de Lyon, et sont tout au moins dans sa manière. Ces vieux bois, d’une exécution savante, s’encadrent bien dans le texte et s’harmonisent avec le style du XVIe siècle, mieux que ne pourraient le faire des dessins d’une touche et d’un sentiment modernes, si parfaits qu’ils fussent comme œuvre d’art21.

      Juillet 1878.

      VIII

      LA DONATION

      DE CONSTANTIN22

      L’Église catholique est d’une extrême opulence en documents apocryphes; nulle n’a falsifié l’histoire avec plus d’audace et d’ingéniosité. Cela s’explique. Création artificielle, reposant sur un ensemble de fictions qui sont en contradiction flagrante avec les faits avérés, elle s’est trouvée dans l’obligation d’adresser un appel constant à l’esprit inventif de ses adeptes pour forger de toutes pièces les titres nécessaires à son existence, à ses vues de domination, ainsi que les preuves de la mission qu’elle s’attribuait; se créer des annales imaginaires qui vinssent à l’appui de ses affirmations et leur faire subir, de temps en temps, d’habiles retouches, car la science augmente et la crédulité décroît. La vérité subsiste par elle-même, solide, inébranlable; mais le mensonge, de quels étançons, de quels arcs-boutants faut-il le soutenir pour le forcer à rester un instant en équilibre! Aussi voyons-nous depuis tant de siècles les gens d’Église occupés sans СКАЧАТЬ



<p>21</p>

Tous les ornements et vignettes en question ont été gravés à nouveau par un artiste habile et consciencieux, M. Alfred Prunaire.

<p>22</p>

La Donation de Constantin, premier titre du pouvoir temporel des Papes: où il est prouvé que cette Donation n’a jamais existé, et que l’Acte attribué à Constantin est l’œuvre d’un faussaire, par Laurent Valla (XVe siècle). Traduit en Français et précédé d’une Étude historique, par Alcide Bonneau. Avec le texte Latin. Paris, Liseux, 1879, pet. in-18.