Название: Madame Putiphar, vol 1 e 2
Автор: Petrus Borel
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Souvent j’ai ouï dire que certains insectes étoient faits pour l’amusement des enfants: peut-être l’homme aussi est-il créé pour les menus plaisirs d’un ordre d’êtres supérieur, qui se complaît à le torturer, qui s’égaie à ses gémissements. Beaucoup d’entre nous ne ressemblent-ils point par leur existence à ces scarabées transpercés d’une épingle, et piqués vivants sur un mur; ou à ces chauve-souris clouées sur une porte servant de mire pour tirer à l’arbalète?
S’il y a une Providence, elle a parfois d’étranges voies: malheur à celui marqué pour une voie étrange! il auroit mieux valu pour lui qu’il eût été étouffé dans le sein de sa mère.
C’est à vous, si vos cœurs n’y défaillent point, d’approfondir et de résoudre: quant à présent, pauvre conteur, je vais tout simplement vous développer des destinées affreuses entre les destinées. Bien plus heureux que moi vous serez, si vous pouvez croire qu’une Providence ait été le tisserand de pareilles vies, et si vous pouvez découvrir le but et la mission de pareilles existences.
II
Mylord, venez donc au balcon: le beau soleil couchant! Ah, vous êtes fortuné, mylord! tout jusques au ciel même qui se fait votre vassal et porte votre écusson au flanc. Regardez à l’occident; ces trois longues nuées éclatantes ne semblent-elles pas vos trois fasces d’or horizontales? et le soleil, votre besant d’or, au champ d’azur de votre écu?
– Mylady, vous semez mal à propos votre bel esprit: vous voulez, suivant votre coutume, détourner une conversation qui vous pèse, par un incident, par quelque mignardise; mais, vous le savez, je ne me laisse pas piper à vos pipeaux, et vous m’écouterez jusqu’au bout.
Je vous disois donc que si vous n’y prenez garde il arrivera malheur à votre fille. Je vous disois que dès l’origine j’avois prévu tout ce qui est survenu, que j’avois pressenti ce que vous auriez dû pressentir; et ce que toute autre mère à votre place eût pressenti. Vos flatteurs vous appellent naïve, mais vous êtes obtuse. Comme un nouveau-né, vous ignorez toutes bienséances. Sur mon épée, madame! vous n’avez de noble que mon nom.
Avant mon premier départ pour les Indes, ayant déjà remarqué en eux une lointaine inclination, et un commencement de liaison, je vous avois fortement recommandé et fait bien promettre de ne plus leur laisser aucun rapport; en tout point vous m’avez désobéi. Plus tard, lors de mon entrée en campagne, je vous renouvellai formellement le même ordre et vous me désobéîtes encore plus formellement. A mon retour de l’armée, je trouvai Déborah compagne de Pat; je trouvai Pat presque installé ici; Pat traité comme vous eussiez traité un fils; Pat assistant à toutes les leçons des maîtres de Déborah, et étudiant avec elle les arts d’agrément. Étiez-vous folle! Vous avez fait un joli coup en vérité! vous avez rendu un bon service à ce pauvre père Patrick! Aujourd’hui, il ne sait que faire de son garnement de fils, qui s’en va labourer un solfége à la main, un Shakspeare sous son bras. N’eût-ce été que par respect pour ma maison, vous n’eussiez pas dû attirer ici, et traiter de telle sorte, l’enfant d’un de vos fermiers, et d’un de vos fermiers irlandois et papiste!
– Cher époux, vous savez combien je vous suis soumise en toutes choses. Ce n’étoit point pour braver vos commandements, ce que j’en fis, mais purement pour l’amour de votre fille: seule, avec moi et quelques domestiques grondeurs, sans distraction aucune dans ce beau, ce pittoresque, mais taciturne, mais funèbre manoir, la pauvre enfant se mouroit d’ennui, et ne cessoit de redemander son Pat, qui l’égayoit de sa grosse joie, qui l’entraînoit dans le jardin et dans le parc; qui inventoit, pour plaire à sa noble petite amie, toute espèce de jeux et d’amusements.
Partageant ses jeux, ne devoit-il pas partager ses études? N’auroit-ce pas été cruel de le renvoyer à l’arrivée des professeurs de Debby? Puisqu’il étoit son compagnon, ne devois-je pas prendre à tâche de l’instruire et de le polir pour le rendre plus digne d’elle? Il avoit si bonne envie d’apprendre, et tant de facilité, le pauvre garçon! Cela donnoit de l’émulation à la paresseuse Debby. Puis, vous le savez, il étoit si gentil, si doux, si prévenant! Ah! que je souhaiterois à beaucoup de gentilshommes d’avoir de pareils héritiers!
– Toujours vos mêmes parades de générosité, toujours vos belles idées sur les gents de basse condition; vous aurez beau argumenter, un mulet et un cheval de race feront toujours deux, comme un Irlandois et un homme.
Où toutes ces prouesses de vertu vous conduiront-elles? Vos largesses envers les mendiants et les paysans vous feront, à la première rencontre, couper les jarrets par ces infâmes catholiques. Votre conduite à l’égard du petit Pat, où vous mènera-t-elle, où vous a-t-elle poussée? Debby et Pat, grandissant ensemble, se sont pris d’étroite amitié, puis à l’amitié a succédé l’amour: la jeune comtesse Déborah Cockermouth est amourachée du gars de votre fermier: mademoiselle en feroit volontiers son époux! Dieu me damne! cela me fait dresser les cheveux sur la tête! Mademoiselle refuse tout brillant parti; mademoiselle repousse tout noble requérant: J’ai fait vœu de chasteté, dit-elle. Ventre de papiste! quel est ce catholique baragouin? Dieu me damne! ça tourne à mal…
– Pourquoi vous enflammer ainsi? à quelle occasion tant de violence? Cette fantaisie de garder le célibat n’est qu’une lubie de jeunesse, qui lui passera, et tout d’abord qu’elle aura rencontré un cavalier de son choix et de son gré. Quant à Patrick, vous savez bien que tout est rompu entre elle et lui depuis long-temps; et que depuis votre farouche sortie contre lui, il n’a pas remis le pied au château.
– Tout est rompu entre elle et lui!.. Il n’a pas remis le pied au château!.. Qui vous a si bien informée? Madame, relâchez de votre surveillance, elle est vraiment trop rigide. Ah! tout est rompu entre elle et lui?.. parole d’honneur?.. C’est pour cela que mon fidèle Chris, maintes fois, l’a vu rôdant près du château; c’est pour cela qu’il a entendu plusieurs fois ce que vous eussiez dû entendre, la nuit, Déborah se relever, sortir et descendre du côté du parc. Ah! tout est rompu entre elle et lui!.. vraiment?.. C’est bien, restez dans votre quiétude: pour moi, je vais redoubler de sévérité; Chris l’espionnera; et si le malheur veut que cela soit, je prendrai des mesures qui ne seront pas douces à votre pimbêche de fille… Quant au paysan, c’est la moindre affaire.
– Vous êtes maître, mylord, et surtout maître de vos actions; je ne suis que votre humble servante, et je m’incline. Faites à votre guise; on recueille ce qu’on a semé.
– A vos souhaits, comtesse.
III
Le lendemain, après sa toilette, lady Cockermouth fit prier Déborah de vouloir bien se rendre auprès d’elle, par l’escalier dérobé, le plus secrètement possible, pour ne point attirer l’attention de son père.
Aussitôt Debby, très-inquiète, arriva mystérieusement; d’un pas craintif et d’un air caressant, elle s’approcha de sa mère pour la saluer d’un baiser, mais ses lèvres ne pressèrent que ses deux mains qui soutenoient son front abattu.
– Je vous remercie, mademoiselle, d’avoir bien voulu vous rendre avec empressement à mon invitation, lui dit la comtesse en découvrant son visage mélancolique; cédez toujours ainsi à mes douces et sages prières, vous ferez le bien, et vous épargnerez à vous et à votre mère infortunée de grands chagrins et de grands remords. J’ai tant besoin de consolation!.. et toute consolation ne me peut venir que de vous.
Une seule fois, dans votre enfance, Debby, je cédai à un de vos caprices: cette foiblesse maternelle, bien pardonnable, a СКАЧАТЬ