Picrate et Siméon. Andre Beaunier
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Название: Picrate et Siméon

Автор: Andre Beaunier

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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      »Le goût excessif des littératures anciennes est un héritage de la Renaissance. L’antiquité, que l’on retrouvait, séduisit alors les délicats par sa récente nouveauté. Elle a perdu cet agrément. Au sortir du moyen âge et de la discipline chrétienne, elle apparut comme libératrice de la pensée, qui était lasse de sa longue soumission. Elle a perdu cette raison d’être. Mal connue, elle sembla réaliser la perfection de l’esprit humain. La méthode historique l’a remise à sa place: elle n’est plus, pour nous, qu’une époque, entre bien d’autres, qui eut ses qualités et ses tares. Elle a perdu, à n’être plus seule, le meilleur de son prestige.

      »Les jésuites du Grand Siècle l’ont su transformer en une copieuse matière pédagogique …

      – Les jésuites! – s’écria Picrate; – tu vois, toujours eux!..

      – Toujours eux, Picrate! Ils ont fait de Virgile et d’Homère des auteurs «classiques». Et nous vivons encore sous le régime d’enseignement que les jésuites constituèrent selon les besoins des petits grands seigneurs du Grand Siècle. Oui, c’est cela que notre démocratie contemporaine offre à ses rejetons!.. Sourions, Picrate, avec un peu de tristesse.

      »Si jamais enseignement fut mal adapté à son objet, c’est bien celui-là. Réfléchis. Tâche de te faire une idée nette des «vertus éducatives» que peut avoir, pour la jeunesse d’aujourd’hui, une littérature antérieure au christianisme, et qui, au point de vue social, admet l’esclavage; au point de vue moral, admet, vante des pratiques qui, de nos jours, relèvent de la correctionnelle ou des assises; au point de vue scientifique, admet que la terre est le centre du monde et l’homme la fin suprême de la terre; une littérature qui contredit tous les principes fondamentaux de la pensée moderne.

      »Elle reste, je le sais, une assez belle littérature. Mais il est bien curieux de voir notre démocratie occuper ses adolescents à de pareilles vanités. La population de nos lycées n’est point aristocratique comme la clientèle des jésuites d’autrefois. Elle se compose de candidats à la lutte pour la vie, qui devront gagner leur pain quotidien, faire leur trou, agir. Les doux enfants comprennent à merveille que tout ce grec et ce latin ne leur seront de nul usage; en conséquence, ils ne font rien, mais rien du tout. La proportion des «cancres» au regard des «bons élèves» est énorme et devrait suffire à décourager le professeur, si le professeur avait le souci d’autre chose que de «faire sa classe» et de toucher, le mois fini, les appointements nécessaires à l’entretien de sa famille et de lui.

      »Parmi les «bons élèves», il y a pas mal de benêts dont la docilité stupide s’accommode de «rosa, la rose» comme de la liste des sous-préfectures. Ils apprennent ce qu’on veut, ainsi que les canards mangent n’importe quoi … Il y a aussi des esprits délicats, des rêveurs, qui se plaisent à de jolies combinaisons verbales, que ravit l’étude des civilisations diverses et qui s’amusent à la discordance des successives opinions humaines. Oh! les fins dilettantes que l’on fait de ces jeunes hommes! Ils sont les seuls sur qui soit efficace l’enseignement public, – et comme on les éloigne gentiment de toute activité féconde!.. Connais-tu, Picrate, ce mot si profond et inquiétant de Sénèque: «Nous mourons d’un excès de littérature»?.. Ce fut le prélude de la décadence romaine … Est-ce que nous ne sommes pas un peu malades, Picrate, d’avoir un enseignement public qui n’est bon qu’à former des littérateurs?

      »Je fus l’un de ces jeunes hommes. Et si, pour mon compte personnel, j’ai le bonheur d’être arrivé à la plus agréable comme à la moins novice des philosophies, il faut bien que je reconnaisse en moi un citoyen des plus inutiles à l’État.

      »Singulier contact, celui de ma dévotion chrétienne avec le paganisme de mes classiques auteurs! A quinze ans, mon intelligence était analogue à cette étonnante cité d’Alexandrie où les cultes anciens et nouveaux se rencontrèrent autrefois. Dangereuse rivalité de systèmes contradictoires, d’idées hétérogènes! Petites concessions, tentatives d’accord subtil, interlopes combinaisons … Moi aussi, tel que les sophistes d’alors, je tirais de mon mieux Homère à la doctrine de Jésus; et de Virgile je faisais un sincère prophète qui avait annoncé la Vierge et le Rédempteur.

      »Il n’était point aisé de maintenir, hélas! cet illusoire compromis. Et, peu à peu, très doucement, mon christianisme s’éteignit et disparut. Il ne m’est rien resté de lui qu’une habitude de pitié respectueuse pour les croyances mortes, une façon découragée de voir la vie, et le don de m’analyser avec scrupule. Il ne fit pas de bruit en s’en allant, et je ne me suis aperçu de son absence que plus tard, tant il s’était discrètement retiré.

      »Cependant je devenais un rhéteur païen, d’esprit cultivé, d’humeur emphatique. En 1789, j’aurais commis l’erreur où tombèrent si drôlement nos glorieux ancêtres, trop hantés de Plutarque, trop férus de stoïcisme oratoire, et qui conçurent l’État sur le modèle, ou peu s’en faut, de la République romaine.

      »Que faire, dans l’existence pratique, de ces bizarres résultats de mon éducation? De la réalité vraie je ne savais rien; je n’avais été mis en rapport qu’avec les livres. En fait de métier, je n’en connaissais qu’un: celui de professeur; mes professeurs étaient les seuls hommes que j’eusse vus dans l’exercice de leur métier.

      »Je fus ainsi voué fatalement au professorat. Et, en effet, Picrate, notre enseignement classique ne peut former que des professeurs. Il passe son temps à se recruter; il est, en quelque sorte, autophagique. Il y a du déchet: on s’en moque. Un bon rhétoricien se destine à l’enseignement, et c’est tout naturel: il se confine dans sa spécialité. Le reste, il l’ignore. S’il ne veut pas avoir travaillé pour rien, s’il désire utiliser la science dont on l’a pourvu, il est logique, il est indispensable qu’il s’établisse professeur: ailleurs, il n’aurait pas l’emploi de son classicisme.

      »Pédagogues de ce pays singulier, nous n’avons pas d’autre mission que d’organiser, aussi peu mal que possible, notre lignée professionnelle, de constituer notre stérile hérédité. Ainsi nous sommes une vaste généalogie de pédagogues en pure perte!..

      »Cela, Picrate, est ridicule énormément.

      » … Voilà comment ma destinée, au jour le jour, me conduisit à gorger de grec et de latin de pauvres petits diables qui rechignaient à cette nourriture.

       V

      HISTOIRE DE PICRATE

      – Siméon, – dit, un soir, Picrate, – une chose m’étonne. Tu as reçu l’éducation la plus absurde, et tu es la sagesse même. Et moi, qui fus élevé suivant les principes mêmes de la raison, je manque de philosophie et vis au hasard, je l’avoue. C’est déconcertant!

      – C’est bien consolant, au contraire, – reprit Siméon, – puisque la majeure partie de nos compatriotes sont élevés comme je le fus, à l’écart de toute logique et au mépris du plus élémentaire bon sens.

      – Je ne sais pas – continua Picrate – comment j’ai pu ne pas devenir un sage. Je suis coupable, ou bien des fatalités s’en mêlèrent. Ma mère était la fille d’un intime ami d’Auguste Comte. Du reste, le disciple renia le maître, quand celui-ci, cédant à l’influence exaltée d’une femme qu’il aimait trop, tomba dans une fâcheuse religiosité; le disciple demeura fidèle, sinon à l’homme, du moins à la doctrine: il fut «comtien», jusqu’au Xe livre exclusivement. J’ai connu ce grand-père. C’était un terrible bonhomme, si ferme dans ses opinions qu’il vivait dans la crainte perpétuelle de transiger. A chacune de ses phrases il ajoutait: «Je l’ai СКАЧАТЬ