Название: La Comédie humaine - Volume 02
Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
isbn:
— Quoique je ne craigne pas la calomnie, je ne veux plus que vous montiez sur cet arbre, lui dis-je en lui montrant l'orme, ni sur ce mur. Nous avons assez fait, vous l'écolier, et moi la pensionnaire: élevons nos sentiments à la hauteur de nos destinées. Si vous étiez mort dans votre chute, je mourais déshonorée... Je l'ai regardé, il était blême. — Et si vous étiez surpris ainsi, ma mère ou moi nous serions soupçonnées...
— Pardon, a-t-il dit d'une voix faible.
— Passez sur le boulevard, j'entendrai votre pas, et quand je voudrai vous voir, j'ouvrirai ma fenêtre; mais je ne vous ferai courir et je ne courrai ce danger que dans une circonstance grave. Pourquoi m'avoir forcée, par votre imprudence, à en commettre une autre et à vous donner une mauvaise opinion de moi? J'ai vu dans ses yeux des larmes qui m'ont paru la plus belle réponse du monde. — Vous devez croire, lui dis-je en souriant, que ma démarche est excessivement hasardée...
Après un ou deux tours faits en silence sous les arbres, il a trouvé la parole. — Vous devez me croire stupide; et je suis tellement ivre de bonheur, que je suis sans force et sans esprit; mais sachez du moins qu'à mes yeux vous sanctifiez vos actions par cela seulement que vous vous les permettez. Le respect que j'ai pour vous ne peut se comparer qu'à celui que j'ai pour Dieu. D'ailleurs, miss Griffith est là.
— Elle est là pour les autres et non pas pour nous, Felipe, lui ai-je dit vivement. Cet homme, ma chère, m'a comprise.
— Je sais bien, reprit-il en me jetant le plus humble regard, qu'elle n'y serait pas, tout se passerait entre nous comme si elle nous voyait: si nous ne sommes pas devant les hommes, nous sommes toujours devant Dieu, et nous avons autant besoin de notre propre estime que de celle du monde.
— Merci, Felipe, lui ai-je dit en lui tendant la main par un geste que tu dois voir. Une femme, et prenez-moi pour une femme, est bien disposée à aimer un homme qui la comprend. Oh! seulement disposée, repris-je en levant un doigt sur mes lèvres. Je ne veux pas que vous ayez plus d'espoir que je n'en veux donner. Mon cœur n'appartiendra qu'à celui qui saura y lire et le bien connaître. Nos sentiments, sans être absolument semblables, doivent avoir la même étendue, être à la même élévation. Je ne cherche point à me grandir, car ce que je crois être des qualités comporte sans doute des défauts; mais si je ne les avais point, je serais bien désolée.
— Après m'avoir accepté pour serviteur, vous m'avez permis de vous aimer, dit-il en tremblant et me regardant à chaque mot; j'ai plus que je n'ai primitivement désiré.
— Mais, lui ai-je vivement répliqué, je trouve votre lot meilleur que le mien; je ne me plaindrais pas d'en changer, et ce changement vous regarde.
— A moi maintenant de vous dire merci, m'a-t-il répondu, je sais les devoirs d'un loyal amant. Je dois vous prouver que je suis digne de vous, et vous avez le droit de m'éprouver aussi longtemps qu'il vous plaira. Vous pouvez, mon Dieu! me rejeter si je trahissais votre espoir.
— Je sais que vous m'aimez, lui ai-je répondu. Jusqu'à présent (j'ai cruellement appuyé sur le mot) vous êtes le préféré, voilà pourquoi vous êtes ici.
Nous avons alors recommencé quelques tours en causant, et je dois t'avouer que, mis à l'aise, mon Espagnol a déployé la véritable éloquence du cœur en m'exprimant, non pas sa passion, mais sa tendresse; car il a su m'expliquer ses sentiments par une adorable comparaison avec l'amour divin. Sa voix pénétrante, qui prêtait une valeur particulière à ses idées déjà si délicates, ressemblait aux accents du rossignol. Il parlait bas, dans le médium plein de son délicieux organe, et ses phrases se suivaient avec la précipitation d'un bouillonnement: son cœur y débordait. — Cessez, lui dis-je, je resterais là plus longtemps que je ne le dois. Et, par un geste, je l'ai congédié. — Vous voilà engagée, mademoiselle, m'a dit Griffith. — Peut-être en Angleterre, mais non en France, ai-je répondu négligemment. Je veux faire un mariage d'amour et ne pas être trompée: voilà tout. Tu le vois, ma chère, l'amour ne venait pas à moi, j'ai agi comme Mahomet avec sa montagne.
J'ai revu mon esclave: il est devenu craintif, il a pris un air mystérieux et dévot qui me plaît; il me paraît pénétré de ma gloire et de ma puissance. Mais rien, ni dans ses regards, ni dans ses manières, ne peut permettre aux devineresses du monde de soupçonner en lui cet amour infini que je vois. Cependant, ma chère, je ne suis pas emportée, dominée, domptée; au contraire, je dompte, je domine et j'emporte... Enfin je raisonne. Ah! je voudrais bien retrouver cette peur que me causait la fascination du maître, du bourgeois à qui je me refusais. Il y a deux amours: celui qui commande et celui qui obéit; ils sont distincts et donnent naissance à deux passions, et l'une n'est pas l'autre; pour avoir son compte de la vie, peut-être une femme doit-elle connaître l'une et l'autre. Ces deux passions peuvent-elles se confondre? Un homme à qui nous inspirons de l'amour nous en inspirera-t-il? Felipe sera-t-il un jour mon maître? tremblerai-je comme il tremble? Ces questions me font frémir. Il est bien aveugle! A sa place, j'aurais trouvé mademoiselle de Chaulieu sous ces tilleuls bien coquettement froide, compassée, calculatrice. Non, ce n'est pas aimer, cela, c'est badiner avec le feu. Felipe me plaît toujours, mais je me trouve maintenant calme et à mon aise. Plus d'obstacles! quel terrible mot. En moi tout s'affaisse, se rasseoit, et j'ai peur de m'interroger. Il a eu tort de me cacher la violence de son amour, il m'a laissée maîtresse de moi. Enfin, je n'ai pas les bénéfices de cette espèce de faute. Oui, chère, quelque douceur que m'apporte le souvenir de cette demi-heure passée sous les arbres, je trouve le plaisir qu'elle m'a donné bien au-dessous des émotions que j'avais en disant: Y viendrai-je? n'y viendrai-je pas? lui écrirai-je? ne lui écrirai-je point? En serait-il donc ainsi pour tous nos plaisirs? Serait-il meilleur de les différer que d'en jouir? L'espérance vaudrait-elle mieux que la possession? Les riches sont-ils les pauvres? Avons-nous toutes deux trop étendu les sentiments en développant outre mesure les forces de notre imagination? Il y a des instants où cette idée me glace. Sais-tu pourquoi? Je songe à revenir sans Griffith au bout du jardin. Jusqu'où irais-je ainsi? L'imagination n'a pas de bornes, et les plaisirs en ont. Dis-moi, cher docteur en corset, comment concilier ces deux termes de l'existence des femmes?
XXII
LOUISE A FELIPE
Je ne suis pas contente de vous. Si vous n'avez pas pleuré en lisant Bérénice de Racine, si vous n'y avez pas trouvé la plus horrible des tragédies, vous ne me comprendrez point, nous ne nous entendrons jamais: brisons, ne nous voyons plus, oubliez-moi; car si vous ne me répondez pas d'une manière satisfaisante, je vous oublierai, vous deviendrez monsieur le baron de Macumer pour moi, ou plutôt vous ne deviendrez rien, vous serez pour moi comme si vous n'aviez jamais existé. Hier, chez madame d'Espard, vous avez eu je ne sais quel air content qui m'a souverainement déplu. Vous paraissiez sûr d'être aimé. Enfin, la liberté de votre esprit m'a épouvantée, et je n'ai point reconnu en vous, dans ce moment, le serviteur que vous disiez être dans votre première lettre. Loin d'être absorbé comme doit l'être un homme qui aime, vous trouviez des mots spirituels. Ainsi ne se comporte pas un vrai croyant: il est toujours abattu devant la divinité. Si je ne suis pas un être supérieur aux autres femmes, si vous ne voyez point en moi la source de votre vie, je suis moins qu'une femme, parce qu'alors je suis simplement une femme. Vous avez éveillé ma défiance, Felipe: elle a grondé de manière à couvrir la voix de la tendresse, et quand j'envisage СКАЧАТЬ