Название: Le Médecin des Dames de Néans
Автор: Rene Boylesve
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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«Voilà, pensa Septime, un homme qui me plaît, car il vous dit des choses graves tout en ayant l'air de se moquer du ton pédant qu'on est obligé de prendre en ces matières, et il vous mène en chemin ouvert.»
Il avait jusqu'alors peu fréquenté le docteur, l'abbé ayant une sainte terreur de cet esprit impudique, irrespectueux et légèrement gouailleur qu'il jugeait de relations malsaines. Ce n'était que sur les instances réitérées de M. de Jallais le père qui voulait que son fils «eût du monde», qu'il s'était décidé à le laisser fréquenter chez madame Durosay, la femme, certes, qui pût lui donner les meilleures façons.
D'un coup, le docteur s'emparait de l'esprit du jeune homme par la clairvoyance qu'il avait de ses sensations les plus confuses, et il le lançait habilement dans la voie de la sensualité voluptueuse mais active, il le modelait d'un tour de pouce, en un objet de séduction tendre et émue, mais efficace; car il en voulait faire un amoureux dont le platonisme – inévitable, étant donné l'âge du héros, et les circonstances – ne serait qu'une qualité surajoutée à la folle ardeur juvénile. «Donc, se disait-il, me voici passé précepteur d'amour!» Et il ne songeait nullement à en sourire, comme l'eussent fait infailliblement beaucoup de personnes sottes.
Ces messieurs se mirent en bras de chemise et s'appliquèrent à lancer la balle à des hauteurs ou à des distances prodigieuses que Grandier atteignait par sa force, et Septime par cette adresse naturelle que l'on remarque souvent aux créatures destinées à l'amour. Le docteur prit un grand plaisir à le regarder s'animer et gagner de la grâce en ses mouvements. Il se demandait comment il n'avait pas connu plus tôt la précieuse nature de cet enfant.
Il y a des prédestinés; on sent très bien des hommes qui ne seront jamais aimés, et ceux qui le doivent être en ont des marques indéfinissables qu'un certain sens découvre, même d'homme à homme. Septime n'avait pas de beauté; mais il avait dans la tournure, le geste et le regard, ce charme spécial et discret qui peut passer inaperçu, mais, ici ou là, un beau jour, inopinément frappe à coups sûrs et profonds. Grandier avait remarqué en outre l'étrange et fort pouvoir des hommes qui manquent d'expansion et semblent s'enrichir et s'orner de tout ce qu'ils ne dépensent pas au dehors. L'instinct de curiosité des femmes va plus droit à ce léger mystère et il y est plus fortement retenu qu'aux qualités brillantes dont on a sitôt fait le tour. Il regardait le jeune homme s'échauffer et il s'enthousiasmait à mesure que se mêlaient et s'harmonisaient en cette jeunesse animée, tant de signes favorables à ses propres projets.
Le teint trop pâle de Septime se rosait; de minces filets bleus lui avivaient les tempes et sa chemise large ouverte montrait son cou gonflé. Il y avait plaisir à voir, sous le soleil, le désordre de ses cheveux dorés couronner cette fraîche adolescence. Grandier adorait l'heure que vivait cet enfant. La notion de la beauté, pensait-il, vient de naître en lui; inconsciemment, tout son être s'y conforme; l'allégresse actuelle de ses membres est un des rites du culte qu'il lui voue; il éprouve le besoin de ne plus se contenir parce qu'il l'a entrevue; en cet instant, quelqu'un saisit la vie… Grandier, qui s'exaltait aisément à tout signe de vitalité, continuait, non sans quelque emphase, la série de ses réflexions. Il aperçut que madame Durosay était venue et, respirant des fleurs de verveine, regardait, elle aussi, Septime égaré dans son ardeur. Lespingrelet se remit à danser et l'on alla s'asseoir à l'ombre et s'égayer à voir le pas du sacristain.
– Monsieur Septime, vous avez très chaud; vous allez prendre mal, dit madame Durosay, quand elle aperçut les perlettes de sueur au front du jeune homme, et elle s'apprêtait, de ce geste maternel, à lui plonger un doigt dans le dos par le col de la chemise. Quelque chose l'arrêta qu'elle ne sembla pas comprendre elle-même, mais qui lui brisa net le mouvement commencé, et elle en ressentit un imperceptible embarras. Les yeux de Septime, qu'il leva sur elle en cet instant, en furent peut-être la cause. Quoiqu'ils ne pussent assurément rien exprimer de précis, étant lourds au contraire d'une sentimentalité sensuelle, timide, inavouée, leur richesse profonde, inaffleurante encore, peut-être atteignait-elle justement l'instinct de la femme plus vivement que n'eût fait une parole claire. Elle n'osa même pas lui dire de boutonner son col. Il passa sa veste et, appuyé sur un coude, il regardait, essoufflé un peu, le bout pointu du petit soulier de madame Durosay étendue, trois doigts de bas noir sur le cou-de-pied et le bord de la robe à carreaux rouges qui le venaient frôler en un balancement léger.
M. Durosay grommelait que cette pelouse ne fût pas apprêtée; il n'admettait pas qu'étant venus pour une chose, on ne l'accomplît pas, ce qui pourtant arrive communément, et ne pouvant faire mieux pour cette partie de tennis, il la regrettait en des paroles pleines d'amertume. Il parla de changer Lespingrelet. On se récria. Au fond, cet homme à famille pullulante, malgré la vertu qu'il avait au point de vue de l'économie sociale, lui donnait parfois comme des nausées. On défendit Lespingrelet qui trépignait pour le moment d'une façon très distrayante.
En des minutes de silence, on voyait l'ombre des arbres s'allonger sur la pelouse, et une sorte d'atmosphère complaisante et attendrie, envelopper toutes choses, la chaleur tombée. Le bourdonnement des abeilles et des mouches s'était tu; d'autres petites bêtes grésillaient dans les herbes et les oiseaux se couchaient en grande chamaillerie. Septime perdait toutes les paroles prononcées pour suivre sans beaucoup de pensées le lent allongement de l'ombre qui, avec l'idée d'une chose très chère et proche, il ne savait comment, le comblaient d'un bien-être infini. Il ne souhaitait rien de plus, en vérité, que de regarder perpétuellement grandir cette ombre et être perpétuellement certain que la chère chose était là. Et puis, ne pas parler, grand Dieu! avoir le droit de ne pas parler, un de ces droits de l'homme auxquels la société n'a pas songé. Quand l'ombre fut au bout de la prairie, Lespingrelet s'en alla avec sa «demoiselle»; tous les oiseaux étaient casés, et la paix des champs endormis vint s'ajouter à la douceur de l'heure.
Septime s'aperçut tout à coup que ces messieurs s'en étaient allés et qu'il restait seul avec madame Durosay qui achevait, silencieuse, un ouvrage au crochet. Il eut une peur terrible et se leva d'un bond. Elle n'eut pas le temps de lui dire: «Monsieur Septime, qu'avez-vous donc?» Il avait déjà découvert qu'elle avait besoin d'une pelote de laine et lui-même avait laissé un mouchoir dans la poche de son pardessus. Il ne pouvait pas encore supporter d'être seul avec elle. Une terreur enfantine, un excessif amour-propre: la crainte ou de rester sans rien dire ou de parler gauchement, ou de dire, d'un coup, plus qu'il ne voulait ou ne pouvait dire, l'affolait; et, déjà, il courait vers la maison, maudissant à part lui sa sottise; et il se serait battu, pour manquer ainsi une occasion délicieuse. Mais il était à cet âge tendre de la vie, et à cette heure délicate de la passion, où les prémices seules peuvent être goûtées, tout ce qui va plus avant causant une commotion intolérable.
Cependant, comme il ne pouvait indéfiniment chercher cette pelote de laine, dont madame Durosay affirmait qu'elle n'avait pas besoin, ni ce mouchoir dans la poche du pardessus, il revint, et eut lieu bientôt d'observer que les hasards, qui sont mutins en certaines occasions, le sont parfois avec acharnement.
M. Durosay était de retour près de sa femme et annonçait que le docteur venant d'être appelé en consultation dans une ferme, le dîner en serait retardé; il fit remarquer bénévolement à Septime qu'il manquait de galanterie à laisser ainsi madame Durosay qui était peureuse dès le crépuscule. Le propos mit Septime mal à l'aise. Enfin, le notaire proposa d'aller en attendant faire un tour jusqu'au potager. Madame Durosay dit qu'elle n'aurait jamais la force.
– Offrez donc votre bras à madame Durosay, jeune homme, prononça le notaire; moi, je la soutiens de la droite comme il convient à l'époux; et allons, si le jour le permet, compter nos melons et nos poires.
En passant par des allées obstruées par des arbustes, on marcha sur de fines branches sèches qui craquaient et l'on dérangea des oiseaux qui voletèrent quasi sans bruit; madame Durosay poussait СКАЧАТЬ