Le Crépuscule des Dieux. Elemir Bourges
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Название: Le Crépuscule des Dieux

Автор: Elemir Bourges

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ donc la quatrième, monsieur Wagner?

      – C'est le Crépuscule des Dieux, Monseigneur.

      Ce titre parut étonner le Duc, et il le répétait entre ses dents, jusqu'à ce que ramené à lui-même, et pour congédier son interlocuteur:

      – C'est avec vous, monsieur Wagner, dit-il, que j'aurai eu ma dernière entrevue.

      Toute la suite aussitôt monta dans les voitures, en même temps que les deux escadrons accouraient se ranger par derrière. Une immense couleur dorée enveloppait maintenant le ciel; les pièces d'eau étincelaient, frémissant à des souffles plus vifs; mille cris d'oiseaux retentissaient. Il y eut une courte pause; ensuite Hans, le vieux cocher, toucha, et la chaise de s'ébranler.

      Mais le Duc, se jetant furieux, au carreau de la portière:

      – Brute! lourdaud! qui t'a dit de partir! Crois-tu que je ne suis plus ton maître? et d'un geste à Arcangeli:

      – Prends la place de ce butor, lui cria-t-il; je te nomme premier cocher. Hans! va-t'en conduire aux bagages.

      Il abaissa toutes les glaces, et promena un long regard sur ce qui l'entourait. Les parterres embaumaient l'air tranquille; une fraîcheur délicieuse s'exhalait avec les vapeurs matinales; quelque biche, par intervalles, bondissait au profond des taillis. Un soupir gonfla sa poitrine, puis il cria: Partez! d'une voix forte, et les six chevaux détalèrent, enlevés par les postillons, tandis qu'Arcangeli faisait claquer son fouet, et que le duc Charles, après un suprême adieu à Wendessen déjà lointain, s'allongeait sur le divan turc, en répétant, ainsi que dans un rêve: Le Crépuscule des Dieux… le Crépuscule des Dieux.

      II

      C'est à lents tours de roues, et non sans beaucoup d'arrêts et de séjours, que Charles d'Este, une fois parvenu à Francfort, continua de s'éloigner de ses Etats. Congédiant là soudainement ses domestiques et ses enfants, qui allèrent l'attendre à Paris, dans l'hôtel qu'il y possédait, il emmena pour toute suite les divers officiers de sa bouche, cuisinier, glacier, sommelier, et dans sa chaise, tête à tête, Arcangeli, passé de cocher confident, par l'engouement toujours plus marqué de Son Altesse. Celle-ci se montrait d'ailleurs de méchante humeur. La chaleur de juillet était accablante dans cette berline fermée, et le Duc, pour y mieux résister, se crevait de fruits tout le jour, melons, raisins, cerises, brugnons, qu'il noyait de torrents de bière. Des souffles brûlants arrivaient à travers les mantelets baissés, et la chaise vernie flambait de soleil, au milieu des plaines crayeuses de la Champagne. Puis, le temps se tourna en averses continuelles; et toujours ce livide ciel gris, les chemins noyés de boue, et la pluie qui ruisselait aux vitres. Le Duc multipliait à présent les relais, tellement qu'à force de pourboires, de jurons et de mèches de fouet, l'on atteignit la grande ville et l'avenue des Champs-Elysées, un matin, sur les sept heures.

      Il descendit, baisa Otto et Claribel, salua Franz, Hans Ulric et Christiane accourus au devant de lui, leur présenta Arcangeli en qualité de premier valet de chambre, ce qui parut décidément comme l'aurore d'un soleil levant et du règne d'un favori; puis passant dans son appartement, Charles d'Este se fit mettre au lit, et de dix jours, n'en bougea plus.

      Il s'éveillait tard, soupirait, gémissait, ordonnait à l'Italien de ne laisser entrer qui que ce fût, et de tenir les rideaux fermés. Le demi-jour qu'il ne haïssait pas, rendait plus calme encore cette chambre magnifique avec ses crépines de vieil or, ses sombres hautes-lisses flamandes, et le lit à quenouilles, environné d'un balustre. Il y avait toujours à portée du bras, un déjeuner complet sur une table: des huîtres, du caviar, des crevettes roses, avec l'un de ces pâtés à la hollandaise, pleins de truffes, de poires tapées, de rouelles de bigarade; puis des fruits de toutes les sortes, de la bière, du chocolat, du champagne frappé dans un seau d'argent, et de grands drageoirs de nacre et d'orfèvrerie qui débordaient de mille sucreries. Le Duc en chipotait à tout moment: il tortillait deux ou trois bouchées, mais l'appétit ne s'ouvrait point, les morceaux lui croissaient aux dents. Il caressait César languissamment, bourrait sa perruche de biscotins, puis retombait sur son lit, épuisé, et répétant qu'il n'avait jamais éprouvé un été si chaud et si fâcheux.

      Alors Arcangeli imagina d'autres amusements; bagatelles de mécanique, papillons étouffés dans l'huile de rose, des chariots traînés par des grenouilles, semer du cresson sur de la flanelle, voir pousser des jacinthes dans l'eau. Incomparable pantomime, il revêtait le personnage de tous les gens de la maison ducale, les gestes roides du comte d'Œls, l'accent guttural de M. Smithson, le léger zézaiement de la Viennoise Augusta. Etrange favori, vraiment, qui semblait né pour grimacer à la parade d'un bateleur! Une turbulence de singe le portait partout au même moment, tantôt perché au dossier d'un fauteuil, tantôt courant à quatre pattes; puis des bonds, mille tours, des voltiges, de grands gestes, des éclats de voix. Pendant ce temps, le Duc couvert de son manteau de lit de satin blanc à échelles de ruban feu, coiffé de nuit avec des papillotes, tuait le temps à parfiler du galon d'or ou à faire des découpages qu'il tirait ensuite au sort, pêle-mêle. La tête casquée de M. de Bismarck se trouvait ainsi d'aventure, sur les épaules d'une baladine, et Son Altesse se pâmait de joie à ces interversions ridicules.

      Cependant, trompé par Arcangeli qui le berçait impudemment des triomphes de l'armée autrichienne, Charles d'Este ne doutait point de son retour prochain à Blankenbourg. Eloigné de Paris depuis fort longtemps, il n'en voulait pourtant rien voir, cette fois, disant qu'il ne mettrait le pied hors de son hôtel, que pour monter en chaise de poste. Lettres, journaux, paquets, même les dépêches du comte d'Œls, le Duc laissait tout s'accumuler, jusqu'à ce qu'un jour, il eut le caprice d'attaquer enfin cette montagne.

      Alors la vérité lui apparut à plein. L'entrée des Prussiens à Blankenbourg, dès le lendemain de sa fuite, y avait été le signal d'un déchaînement universel. Ses caprices, sa tyrannie, ses refus de signer les lois votées par le Landtag, les troupes mal payées, le commerce dépérissant, les finances taries à force d'exactions, tout le duché en deuil et en souffrance, s'élevaient contre lui, l'accusaient. Les uns il les avait bannis; emprisonné, ou dépouillé ceux-là de qui le nez ne lui plaisait point, si hors de sens, si frénétique par accès, que son Landtag avait jadis pensé à nommer une commission secrète de lunatico inquirendo.

      Les mauvaises nouvelles se succédèrent. Les Prussiens découvrirent où étaient cachés les meubles enlevés à Wendessen, et le pillage n'en épargna que ce qui était sans valeur. Et comme M. d'Œls se récriait et protestait au nom du duc régnant, l'officier avait répondu:

      – Votre maître ne règne plus!

      En effet, le prince Wilhelm, fait prisonnier en même temps que l'armée hanovrienne, venait d'être appelé au quartier général, pour s'entendre avec les vainqueurs, sur la réorganisation du duché.

      La rage du Duc ne peut se décrire. Ecumant, tapant des pieds, frappant les meubles, hurlant qu'il enverrait à Wilhelm un cartel qui retentirait dans toute l'Europe, ses folies épouvantèrent le paisible hôtel. Il commanda chez Larribeau, le fameux fournisseur des armées, vingt-cinq mille cocardes au Cheval, fit tirer des proclamations et des décrets à un million d'exemplaires, et se tint prêt à quitter Paris. L'inquiétude extrême autour de lui, collait tout le monde aux fenêtres, dans l'attente et dans l'appréhension d'une nouvelle décisive: plus de bruit, partout un morne silence; on se voyait de loin, on n'osait se parler, sinon quatre mots, coulés à l'oreille. Charles d'Este, malade d'impatience, allait faire quelque folie, lorsque la nouvelle de Sadowa bourdonna, grandit, éclata enfin, – et tous ses détails.

      Le coup fut terrible pour le duc Charles. Il s'enferma, passa la nuit avec des bougies autour de son lit, et Arcangeli près de lui, le veillant, sans dire mot. Dès le lendemain cependant, quelque espoir lui était revenu, et il pensa faire merveilles СКАЧАТЬ