Название: Nord-Sud: Amérique; Angleterre; Corse; Spitzberg
Автор: Rene Bazin
Издательство: Public Domain
Жанр: Книги о Путешествиях
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/34708
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Rien, en France, n'est plus français que ce Québec du Canada. Les gens et les maisons sont de chez nous. On ne voit pas de gratte-ciel. Les gamins, rencontrés dans la rue, flânent, jouent, rient, se disputent, s'envolent comme les nôtres. Lorsque, le soir, je rentre chez sir Adolphe Routhier, et que nous causons de toutes choses françaises, librement, il me semble que je suis en déplacement, aux environs de Paris, chez un confrère de l'Institut, qui a une belle maison et une famille fine.
Les campagnes. Saint-Joachim.– Je vais voir, sur la rive gauche du Saint-Laurent, des terres qui appartiennent, ou ont appartenu au séminaire de Québec, en vertu du testament de monseigneur de Montmorency-Laval (1680). Mon compagnon de route, le savant abbé Gosselin, me cite, de mémoire, les dates où quelques-unes des familles de Saint-Joachim s'établirent au bord du fleuve et défrichèrent le sol que les descendants n'ont pas quitté. «Il y a là, me dit-il, un Josef Bolduc, dont la noblesse remonte à sept générations, jusqu'à Louis Bolduc, procureur du Roi, de Saint-Benoît, évêché de Paris, et qui vint ici, dans le comté de Montmorency, en 1697. Il y a un Féruce Gagnon qui descend d'un Pierre Gagnon, de Tourouvre en Perche, venu à Saint-Joachim en 1674. Les Fillion descendent d'un Michel Fillion, notaire royal, de Saint-Germain-l'Auxerrois, mais ils ne sont «habitants» que depuis 1706. Les Fortin ont commencé d'ensemencer la Grande Ferme en 1760, et les Guilbaut de cultiver La Fripone en 1757. Vous verrez combien sont prospères les familles, celles-là ou d'autres, que nous visiterons.»
Le train s'arrête à la station de Saint-Joachim. Nous montons dans une petite voiture à quatre roues, et traversons le village, puis un grand bout de plaine, où chaque champ est soigneusement clos, où, çà et là, bordant les chemins, se lève une double ligne d'ormeaux. Les terres plates où nous voyageons, terres d'alluvions sans nul doute, s'étendent jusqu'au pied de la belle montagne qui porte le nom de Cap Tourmente. Quelle joie ce serait de vivre une semaine de chasse et de pêche dans ces Laurentides! Je n'ai pas vu encore d'aussi belles futaies d'érables. Elles n'ont pas leurs feuilles, mais leurs ramilles, et sans doute aussi les bourgeons entr'ouverts, font de grandes tentures, ocellées et moirées, aux flancs de la montagne. Nous devons être à une lieue au moins, peut-être une lieue normande, de cette forêt attirante. N'y pensons plus. Le chemin ne nous y mène pas. Il va parallèlement au fleuve, et voici, devant nous, une longue habitation en bois, avec la véranda coutumière. Le fermier, – par exception, le mot peut s'employer ici, – nous reçoit à l'entrée. Il est jeune, solide, haut en couleur, et il porte les moustaches, et ces demi-favoris que j'ai souvent vus en Normandie. La fermière, accorte, claire, pas très parlante mais parlant bien, a préparé le déjeuner. Elle a jeté, sur sa robe grise, un tablier à broderies rouges, et, quand nous entrons, elle appelle, pour nous faire honneur, sa dernière ou avant-dernière:
– Allons, viens dire bonjour, Marie-Olivine!
Les étables sont presque vides, car le temps est arrivé où les bestiaux vont dans les pâtures. Elles renferment d'ordinaire cent bêtes à cornes, et je pourrais visiter la laiterie modèle. Mais, plus que la laiterie et que le déjeuner, le paysage m'attire. Nous avons dépassé l'île d'Orléans dont j'aperçois l'extrémité boisée. D'autres îles, mais bien plus petites, tiennent le milieu de ce fleuve de douze kilomètres de largeur en cet endroit, et paraissent disposées en ligne, comme des navires en manœuvre: île aux Ruaux, la grosse île, île Sainte-Marguerite, île aux Grues, île aux Canots, île aux Oies. L'eau est basse, et la berge découverte. Devant moi, sur les vasières, ces choses immobiles, d'une éclatante blancheur, que sont-elles? Elles couvrent de grands espaces. Je sais que ce n'est pas une prairie de fleurs de nénuphars: il y aurait des feuilles. Des cailloux? ils seraient roulés et ramenés sur les rives. Tout à coup, le vent souffle vers nous et m'apporte le cri des oies sauvages. Elles s'agitent. Quelques-unes étendent leurs ailes. En même temps, de l'extrême horizon au-dessus du fleuve, du fond de l'azur brumeux, d'autres oies sauvages, en troupes immenses et formées en arc, émergent, arrivent dans la lumière, l'étincelle au poitrail, tournent un peu, s'abattent, et le bruit de leurs ailes passe comme une trombe. Les vasières sont entièrement blanches.
Je les ai revues, une heure plus tard, du sommet du Petit Cap. C'est le nom d'une colline toute voisine du Saint-Laurent, et qui porte, parmi les bois, la vieille et vaste maison de campagne, – bien française aussi, – du séminaire de Québec. Un sentier suit la crête de la falaise, et la splendeur des eaux, le vent tiède, le cri des oies sauvages, le ronflement d'un canot à pétrole qui paraît menu comme un scarabée, nous viennent à travers la futaie. Arbres verts, chênes, érables, frênes, tout pousse bien sur la butte. La saison du sucre d'érable est à peine terminée. La sève sucrée coule encore le long des troncs qui sont percés de deux ou trois trous d'un demi-pouce de diamètre. Je demande à mon guide combien produit un érable de taille moyenne.
– Cinquante ou soixante litres d'eau, me dit-il, qui donnent une livre de sucre.
Pendant que nous traversons de nouveau la plaine, il me raconte des traits de mœurs rurales. Je sens bien, au ton de la voix, que ce prêtre a le respect et l'amour de la profession de laboureur. Il me dit encore:
– Mon père avait fait ses humanités jusqu'à la rhétorique. A ce moment, il se mit à cultiver la terre. Et il avait coutume de nous répéter: «Je n'ai jamais eu de regrets.»
Ce pays de haut labourage me conquiert. En peu de temps nous gagnons la partie de la paroisse où commencent les premières pentes du cap Tourmente, et les forêts merveilleuses ne sont plus très loin. Les cimes des érablières ont une grâce qui retient. Il me semble que le sol est plus pauvre. Mais les cultures sont toujours bien encloses. Des fossés bordés de saules suivent le pli des pâtures. Nous entrons un moment chez M. Thomassin, qui est propriétaire de Valmont, vieil homme, tout droit encore, qui ressemble à un retraité de la marine.
– Venez au moins dans la grand'chambre? me dit-il.
Et nous allons dans la grand'chambre. La mère de famille arrive: des cheveux très blancs, des yeux très bleus, un visage doux; puis un gars de dix-neuf ans, géant magnifique et rieur, le torse serré dans un tricot de laine; puis une des filles, qui porte, – ce doit être la mode dans le comté de Montmorency, – un joli tablier brodé. La maison, dont nous visitons une partie, est double. Elle a trois belles pièces en avant, du coté opposé à la montagne. Dans la troisième, où est le poêle, il y a des provisions, la table à manger et des vaisselles.
– Voulez-vous goûter la tire?
La tire, c'est le sucre d'érable à l'état filant, une pâte brune dans le plat, dorée par transparence, où l'on pique la pointe d'un couteau. Je goûte la tire, et la déclare délicieuse, ce qui me vaut une demi-naturalisation canadienne. On cause de l'hiver, des terres qui sont encore bien froides pour le labour, et aussi de la race. En prenant congé de M. Thomassin, je ne puis me tenir d'observer tout haut, voyant l'homme au grand jour, à la porte de son royaume:
– Avez-vous l'air d'un de nos marins!
– Eh! monsieur, riposte-t-il, ça se peut bien: on est venu du comté d'Avranches!
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