Le Blé qui lève. Rene Bazin
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Название: Le Blé qui lève

Автор: Rene Bazin

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ de cela. Elle craignait bien pour l'avenir, sachant que les jeunes gars ne sont guère sages; qu'ils échappent aux mères qui veillent de près sur eux, et qu'ils peuvent donc tromper les mères qui sont au loin. Mais elle ne montrait son inquiétude que par de petits mots, dits bien bas à Gilbert, et par ses yeux ridés qui se troublaient, quand elle avait fini de lui sourire. Sa manière était l'Ave Maria, qu'elle récitait ici et là, éveillée ou demi-sommeillante, et toujours avec la même vision de l'enfant grandissant et aventuré. «Heureusement qu'il m'aime!» pensait-elle. Son mari aussi l'avait aimée. Cela lui donnait un peu de confiance dans les hommes de chez elle.

      A la Vigie, les saisons passaient vite et repassaient, mêlant tour à tour, sur les flancs de la colline, au vert des pâturages, le violet des guérets nouveaux, le blond pâle des avoines, et l'or roux du froment. A l'aube, M. Fortier, debout dans la cour, parmi les domestiques et les attelages, disait quelquefois:

      – Eh bien! enfants, une forte journée devant nous! Si l'héritage est tout labouré ce soir, je paye une tournée de vin rouge!.. Qui va me rentrer mes foins avant l'orage?.. Qui portera le plus de sacs au grenier?.. Qui est assez brave pour monter à la fine pointe du châtaignier et gauler les châtaignes?

      En pareil cas, Gilbert était le premier à partir, à revenir, à se proposer, l'un des plus adroits et des plus résistants. Le blondin était devenu un grand jeune homme blond, grave, un peu distrait de regard à l'habitude, mais dont les yeux s'éveillaient dès que l'émotion, une plaisanterie, un défi, un ordre, rapprochait les sourcils et relevait aux deux coins la lèvre toute dorée par la barbe nouvelle. Quand il se couchait le soir, sur la paille, dans «sa bauge», dans l'ancien coffre de carriole placé à gauche de la porte de l'étable, il ne rêvassait guère. La fatigue l'empêchait de causer avec le compagnon plus âgé qui couchait de l'autre côté de l'entrée; elle le terrassait, et ni le bruit des chaînes, que les vaches tiraient ou laissaient retomber sur les planches des auges, ni leurs meuglements, ni les coups de pied des chevaux dans l'écurie voisine, ne rompaient le sommeil de ce jeune gars de la Vigie. Il était sobre, un peu par économie, un peu parce qu'il avait de l'ambition, et qu'on remarque vite, dans les villages, les hommes que le vin ne fait jamais déraisonner. Faute d'occasion, et grâce aussi au dur métier qu'il faisait, il était chaste. Il grandissait, en somme, à peu près droit, sans que personne pût dire: «C'est par moi qu'il est meilleur que d'autres.»

      Jusqu'à l'époque de sa majorité, Gilbert salua souvent le curé de Fonteneilles, mais il ne le vit qu'une seule fois monter à la Vigie et parler aux hommes rassemblés. Ce fut pendant la guerre. L'abbé apportait aux habitants de la ferme la lettre d'un ancien domestique, mobilisé de la Nièvre, qui écrivait, en quelques lignes, des nouvelles tristes. Il arrivait à la ferme un des soirs de ce dur hiver où les soleils couchants avaient tant de rouge que les mères en prenaient peur, et il rencontra, dans le petit chemin qui conduit de la route au domaine, Gilbert Cloquet, qui ramenait le harnais de labour.

      – Eh! te voilà, Gilbert, ça va bien, à ce que je vois? Comme tu es grand! Dommage qu'on te rencontre si rarement à Fonteneilles!

      Si le curé avait ajouté: «Viens donc causer avec moi? Je suis un ami, je t'assure, et toi tu es une âme, un cher enfant qui m'est confié, et qui n'aura bientôt plus de religion que la semence de son baptême: viens me voir!» peut-être le jeune homme serait-il allé au presbytère de Fonteneilles. Gilbert ne descendait guère au village, et quand il y faisait une apparition, c'était au cabaret, pour y boire un seul verre, avec les camarades, ou, quelquefois, les jours d'«apport» qui sont les fêtes du pays, dans les salles de danse ou sur les parquets dressés devant les maisons, et où les filles de Fonteneilles, de Bazolles, de Vitry-Laché venaient danser.

      On aurait aisément compté, de même, les circonstances où il s'était trouvé en présence des gros propriétaires de la région. Une fois, étant tout jeune encore, il avait été livrer une taure au château de la Vaucreuse. La date, il se la rappelait bien: un 3 mai, jour de l'Invention de la Sainte-Croix. Madame Fortier, sitôt la soupe du matin mangée, avait fait venir le nouveau bouvier. «Tu vas partir pour la Vaucreuse, Gilbert. Passe donc, en descendant, par la chaume des Troches; façonne-moi une douzaine de croisettes, bien solides, dont une plus belle pour la chenevière, et tu me les rapporteras au retour. Pendant que tu les feras bénir, tu trouveras bien un gamin pour garder la taure. Mais ne te fie pas à tout le monde. – Il n'y a pas de danger, madame Fortier,» avait répondu le bouvier. Et il était parti, vêtu de sa meilleure blouse, conduisant la taure blanche, et frottant avec une pierre, pour l'aiguiser, la lame de son couteau. Dans «la chaume», il avait cueilli douze brins de noisetier, – le noisetier est sacré, depuis qu'il servit de bâton à saint Joseph en voyage, – il avait fait onze croix petites, et une grande qui portait encore un plumet de feuilles au sommet. Et il était entré dans l'église, comme avait dit madame Fortier, puis, tenant ses croisettes bénites par le curé, attachées en faisceau et légères sur l'épaule, il avait continué la route vers la vallée de l'Aron où le château de la Vaucreuse se voit de loin, tout blanc parmi les prés. La châtelaine n'était jamais absente quand on avait besoin de lui parler. C'était la vieille madame Jacquemin, marchant doux, parlant doux, et plus volontaire que dix hommes ensemble. Quand Gilbert longea les murs des étables, avant même qu'il l'eût vue venir, elle était là, examinant la bête qu'on lui livrait et la figure du bouvier. Quand elle eut bien regardé et palpé la taure, immobile dans la cour pavée, en vue du château, elle leva sa petite tête de chef, gloussa un moment, ce qui était sa façon de rire et dit:

      – Mais, te voilà fleuri comme un genêt, Gilbert Cloquet! Seize ans! C'est l'âge où vous commencez à être des petits hommes, c'est-à-dire pas grand'chose de bon. Heureusement tu ressembles à ta mère, toi, mon garçon. Tâche de lui ressembler complètement, car c'est une honnête créature, bien près de Dieu, travailleuse et délicate pour tous ceux qui ne le sont pas.

      Elle avait ensuite tapé sur la croupe de la taure:

      – Mène-la à l'étable, à présent. Au revoir! Gilbert était resté sans répondre, car les paroles lui remuaient trop le cœur, et il regardait s'en aller la dame fluette, tout en noir, et qui avait la figure aussi nette et aussi blanche qu'un osselet.

      A quelques années de là, – il allait prendre ses vingt ans, – s'étant rendu à la grande foire du 11 novembre à Saint-Saulge, la foire aux veaux, celle dont les marchands de bestiaux ont coutume de dire: «Il n'y a en France qu'une Saint-Martin», il avait rencontré, au détour d'une rue, le marquis de Meximieu qui arrivait en voiture. Le marquis, alors lieutenant de dragons, élégant, taille fine, épaules d'athlète, lui avait jeté les guides et dit, avec ce sourire qui ajoute tant aux paroles, et qu'ils ont tous chez les Meximieu:

      – Garde ma jument, Gilbert, veux-tu? Je n'ai confiance qu'en des hommes comme toi, qui sont de chez nous. Je te retrouverai en face de l'hôtel Touchevier.

      En face de l'hôtel Touchevier, près de la vieille église gothique tout incrustée de boutiques borgnes, Gilbert avait attendu, tenant la bride de la jument. Et après une heure, «Monsieur Philippe», comme on disait à Fonteneilles, était revenu et avait donné cent sous au gars de la Vigie, cent sous avec une poignée de main et un regard de bonne humeur qui valaient bien cent autres sous. Malheureusement, le marquis n'habitait pas le pays, et ne s'occupait que de toucher les fermages et le prix des coupes de bois: il était officier, en garnison, loin, très loin.

      Et ç'avait été toute la part que Gilbert avait prise à la vie des «autorités» de la paroisse, et toute la lumière directe qui lui permettait de les juger. Heureusement pour lui, il n'avait pas eu le temps de lire, car n'ayant aucun guide, ni aucun moyen de choisir, il aurait eu toute chance de gâter sa raison, qu'il avait saine et point fumeuse.

      A cette époque et depuis un an déjà, il était premier domestique de la ferme de M. Honoré Fortier, sous les ordres du bassecourier. Sa moustache blonde et relevée en croc; ses yeux bleus dans lesquels il СКАЧАТЬ