Récits d'une tante (Vol. 1 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond
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СКАЧАТЬ y étaient sous la surveillance personnelle d'un précepteur, homme de beaucoup d'esprit, mais qui, pour toute instruction, leur administrait des coups de pied dans le ventre. Le résultat fut que, lorsque, à quatorze ans, on mit un uniforme sur le corps de mon père, il eut enfin le courage d'annoncer à l'évêque que, depuis six ans, il était parfaitement malheureux et ne savait rien du tout. Cette révélation profita à ses frères; quant à lui, on lui fit enfourcher un bidet de poste et on l'envoya rejoindre son régiment à Metz. Heureusement il ne prit pas goût à la vie de café, et, pendant les premières années passées dans les garnisons, il fit tout seul cette éducation que l'évêque croyait pieusement aussi excellente qu'elle était dispendieuse.

      Ayant atteint l'âge de dix-neuf ans, son père lui envoya de Saint-Domingue un cadeau de deux mille écus, en dehors de sa pension, pour s'amuser pendant le premier semestre qu'il devait passer à son goût et, par conséquent, à Paris. Le jeune homme employa cet argent à se rendre à Nantes et à y prendre son passage sur le premier bâtiment qu'il trouva pour donner ses moments de liberté à son père et faire connaissance avec lui, car il avait quitté Saint-Domingue depuis l'âge de trois ans. Cet aimable empressement acheva de le mettre en pleine possession du cœur paternel, et le père et le fils se sont toujours adorés. Quant à ma grand'mère, c'était une franche créole pour laquelle ses enfants n'ont jamais eu qu'une affection de devoir.

      Plusieurs années s'écoulèrent; mon père suivit sa carrière militaire, passant ses hivers à Paris chez son oncle et dans la société très intime du Palais-Royal où il était traité, à cause du comte d'Osmond, comme un enfant de la maison. Il fut nommé lieutenant-colonel du régiment d'Orléans aussitôt que son âge permit qu'il profitât de la bienveillance du prince, et madame de Montesson, déjà mariée à monseigneur le duc d'Orléans, le comblait de bontés. Il donnait toujours une grande partie du temps dont il pouvait disposer à l'évêque de Comminges; il l'accompagna aux eaux de Barèges (en 1776). Ils y rencontrèrent madame et mademoiselle Dillon, dont l'évêque devint presque aussi amoureux que son neveu. Il engagea ces dames à venir à Allan, château situé dans les Pyrénées et résidence des évêques de Comminges, où il voulait absolument que le mariage fût célébré tout de suite, afin que sa jolie nièce vînt faire les honneurs de sa maison, et s'établît dès l'hiver même à Paris. Mais mon père ne voulut pas se marier sans le consentement du sien, et la cérémonie fut remise au printemps.

      Il me faut maintenant parler de la famille de ma mère. Monsieur Robert Dillon, des Dillon de Roscomon, était un gentilhomme irlandais catholique, possesseur d'une jolie fortune; pour l'augmenter, et dans la nullité où étaient condamnés les catholiques, un sien frère fut chargé de la faire valoir dans le négoce. Monsieur R. Dillon avait épousé une riche héritière dont il eut une seule fille, lady Swinburne. Devenu veuf, il épousa miss Dicconson, la plus jeune de trois sœurs, belles comme des anges, que leur père, gouverneur du prince de Galles, fils de Jacques II, avait élevées à Saint-Germain. Lors du mariage, leurs parents étaient rentrés en Angleterre et établis chez eux en Lancashire, dans une très belle terre.

      Monsieur Dillon et sa charmante épouse se fixèrent en Worcestershire, et c'est là où ma mère et six enfants aînés sont nés. Mais le frère, chargé des affaires en Irlande, vint à mourir et on s'aperçut qu'il les avait très mal gérées. Monsieur Dillon fut obligé de s'en occuper lui-même. Les plus importantes étaient avec Bordeaux: il se décida à s'y rendre et emmena sa famille; il s'y plut; sa femme, élevée en France, la préférait à l'Angleterre. Il prit une belle maison à Bordeaux, acheta une terre aux environs et y menait la vie d'un homme riche, lorsqu'un jour, en sortant de table, il porta la main à sa tête en s'écriant: «Ah! ma pauvre femme, mes pauvres enfants!», et il expira.

      Son exclamation était bien justifiée. Il laissait madame Dillon, âgée de trente-deux ans, grosse de son treizième enfant, dans un pays étranger, sans un seul parent, sans aucune liaison intime que l'excessive jalousie de son mari n'aurait guère tolérée. Cet isolement excita l'intérêt, lui suscita des protecteurs. Ses affaires, dont elle n'avait aucune notion, furent éclaircies, et, pour résultat, on découvrit que monsieur Dillon vivait sur des capitaux qui touchaient à leur fin et qu'elle restait avec treize enfants et pour tout bien une petite terre, à trois lieues de Bordeaux, qui pouvait valoir quatre mille livres de rente.

      Madame Dillon était encore belle comme un ange, très aimable et très sage; ses enfants étaient aussi d'une beauté frappante; toute cette nichée d'amours intéressa. On s'occupa d'une famille si abandonnée. Tout le monde voulut venir à son secours: tant il y a, que, sans avoir jamais quitté ses tourelles de Terrefort, ma grand'mère y soutint noblesse et trouva le secret d'élever treize enfants, de les établir dans des positions qui promettaient d'être très brillantes, lorsque la Révolution arrêta toutes les carrières. À l'époque dont je parle, il ne lui restait plus qu'une fille à marier; elle était belle et aimable, mais elle n'avait pas un sol de fortune.

      La noce de mon père étant fixée au printemps, l'évêque partit pour Paris. À peine arrivé, et ne se trouvant plus sous le charme de l'enchanteresse, on n'eut pas de peine à lui faire comprendre que ce mariage n'avait pas le sens commun, que mon père devait profiter de son nom et de sa position pour faire un mariage d'argent. Il n'avait pas de fortune en Europe; celle des colonies était précaire et, les partages y étant égaux, il n'aurait jamais un revenu suffisant pour épouser une femme qui n'avait rien; l'évêque, en les recevant chez lui, ne leur donnait qu'un secours temporaire; mademoiselle Dillon, d'ailleurs, pouvait être une bonne demoiselle, mais ne procurait aucune alliance dans le pays. Le comte d'Osmond surtout, qui était très fier de son neveu et le croyait appelé à tout, s'élevait fort contre ce qu'il appelait lui mettre la corde au col.

      L'évêque fut assez facilement ramené à partager ces idées. Sur ces entrefaites, survint la réponse de Saint-Domingue, toute approbative. Mon père, qui n'était pas dans la confidence de ce qui se passait, arriva de sa garnison pour prendre les derniers ordres de son oncle avant de se rendre à Bordeaux. Il apprit que l'évêque avait changé d'avis et ne voulait plus entendre parler de ce mariage; il avait déjà cessé d'écrire à Terrefort. Il y eut une scène fort vive entre mon père et l'évêque qui lui dit que le jeune ménage ne devait plus s'attendre à trouver un asile chez lui.

      Mon père informa le sien de ce changement survenu dans les dispositions de son oncle, et écrivit à mademoiselle Dillon la situation où il se trouvait. Elle prit sur elle de rompre entièrement toute relation, lui rendit sa parole, retira la sienne, et puis se prit à vouloir en mourir de chagrin, en véritable héroïne de roman. Mon père avait été un peu blessé d'une décision contre laquelle il n'osait guère s'élever, les avantages qu'il avait à offrir étant fort diminués par la mauvaise humeur de l'évêque. Mais, ayant appris par hasard l'état de désespoir de mademoiselle Dillon qu'on croyait mourante, il rendit plus de justice à la noblesse des sentiments qui avaient dirigé sa conduite. Il reçut la réponse de son père: elle était aussi tendre qu'il pouvait la désirer; il lui confirmait son approbation, lui disait d'accomplir son mariage puisque son bonheur y était attaché, et lui promettait de fournir aux besoins de son ménage, dût-il être obligé de faire les plus grands sacrifices. Il lui annonçait l'expédition de barriques de sucre estimées vingt mille francs pour les premiers frais d'établissement.

      Armé de cette lettre, mon père partit à franc étrier, força toutes les consignes, arriva jusqu'à mademoiselle Dillon, et, huit jours après, elle était sa femme.

      Aussitôt qu'elle fut complètement rétablie, il la ramena à Paris; l'évêque refusait toujours de les voir. Le comte d'Osmond, qui avait apporté les plus fortes objections à ce mariage, du moment qu'il fut fait, ne fut plus occupé qu'à en diminuer les inconvénients. Il présenta ma mère au Palais-Royal, comme il aurait pu faire de sa belle-fille, et elle y fut bientôt impatronisée. Madame de Montesson s'en engoua, et aurait voulu qu'elle fût attachée à madame la duchesse de Chartres, mais le comte d'Osmond s'y refusa formellement. Il ne lui convenait pas que la femme de son neveu fût dame d'une princesse СКАЧАТЬ