La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle. Marie Catherine d'Aulnoy
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Читать онлайн книгу La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle - Marie Catherine d'Aulnoy страница 6

СКАЧАТЬ remarqua, et badinant avec elle, il les prit adroitement et trouva que c'était une déclaration d'amour timide et respectueuse que je lui faisais. Il les garda jusques au soir, que m'étant retiré dans ma chambre avec la dernière inquiétude, il vint m'y trouver, et m'embrassant tendrement, il me dit qu'il venait me témoigner l'excès de sa joie de me savoir amoureux de mademoiselle de Messignac.

      »Je demeurai comme un homme frappé de la foudre; je voyais mes tablettes entre ses mains, je me persuadais qu'elle lui en avait fait un sacrifice et qu'il venait insulter à mon malheur. Il connut à mon air et dans mes yeux une partie de ce que je pensais. Détrompez-vous, continua-t-il, elle ne m'a point confié vos tablettes; je les ai prises sans qu'elle ait eu le temps de les voir. Je veux vous servir auprès d'elle; mais, mon cher frère, servez-moi aussi près de sa sœur aînée. Je l'embrassai alors et je lui promis tout ce qu'il voulait; ainsi, mutuellement, nous nous rendions de bons offices l'un à l'autre, et nos maîtresses, qui ne connaissaient point encore le pouvoir de l'amour, commencèrent à s'accoutumer à en entendre parler.

      «Ce serait abuser de votre patience de vous dire, madame, comme nous parvînmes enfin par nos soins et nos assiduités à gagner leurs cœurs. Que d'heureux moments! que de beaux jours! de voir sans cesse ce que l'on aime, d'en être aimé, de se trouver ensemble à la campagne où la vie innocente et champêtre laisse goûter sans trouble les plaisirs d'une passion naissante! C'est une félicité que l'on ne peut exprimer.

      «Comme l'hiver approchait, madame de Messignac fut à Bordeaux, où elle avait une maison; nous l'y accompagnâmes: mais cette maison n'étant pas assez grande pour nous loger avec toute sa famille, nous en prîmes une proche de la sienne.

      «Bien que cette séparation ne fût que pour la nuit, nous ne laissâmes pas de la ressentir vivement; ce n'était plus se trouver à tous moments, nos visites avaient un certain air de cérémonies qui nous alarmait; mais nos alarmes redoublèrent beaucoup lorsque nous vîmes deux hommes riches et bien faits s'attacher à mesdemoiselles de Messignac et attaquer la place en forme; cela s'appelle qu'ils déclarèrent qu'ils prétendaient à l'hyménée et qu'ils furent agréablement écoutés du père et de la mère. O Dieu! que devînmes-nous? Leurs affaires allaient fort vite et nos chères maîtresses, qui partageaient notre désespoir, mêlaient tous les jours leurs larmes avec les nôtres. Enfin, après nous être bien tourmentés et avoir cherché mille moyens inutiles, je me résolus d'aller trouver M. de Messignac. Je lui parlai et je lui dis tout ce que ma passion me put inspirer, pour lui persuader de différer ces mariages. Il me dit qu'il recevait avec reconnaissance les offres que mon frère et moi lui faisions; que n'étant point encore en âge, ce que nous ferions à présent pourrait être cassé dans la suite; qu'il aimait l'honneur; que sa fortune était médiocre, mais qu'il s'estimerait toujours heureux tant qu'il pourrait vivre sans reproche; que mon oncle qui nous avait confiés à lui serait en droit de l'accuser de nous avoir séduits, et qu'en un mot, il n'y fallait pas penser.

      «Je me retirai dans une affliction inconcevable, je la partageai avec mon frère, et ce fut un trouble affreux parmi nous. M. de Messignac, pour mettre le comble à nos malheurs, écrivit à mon oncle ce qui se passait et le conjura de nous donner des ordres précis de partir. Il le fit aussitôt; et ne voyant plus de remèdes à nos maux, nous fûmes, mon frère et moi, trouver mesdemoiselles de Messignac; nous nous jetâmes à leurs pieds, nous leur dîmes ce qui peut persuader des cœurs déjà prévenus, nous leur donnâmes notre foi et des promesses signées de notre sang; enfin, l'amour acheva de les vaincre, elles consentirent à leur enlèvement. Il ne nous fut pas malaisé de prendre des mesures justes, et notre voyage avait été heureux jusqu'à notre arrivée céans; mais il y a deux jours, entrant dans cette maison, la première personne qui se présenta à nous, ce fut Don Diègue. Il était impatient de notre retour, et, pour se tirer de peine, il venait nous quérir lui-même. Que devînmes-nous à cette vue? Il nous fit arrêter comme des criminels, et oubliant que mesdemoiselles de Messignac étaient les filles de son meilleur ami et personnes de qualité, il les chargea d'injures et les accabla de reproches après qu'il eut appris d'un de mes gens que nous avions résolu d'aller incognito jusqu'à Madrid, chez des parents que nous y avons, pour attendre en ce lieu que nous eussions une entière liberté de déclarer notre mariage. Il nous enferma dans une chambre proche de la sienne, et nous y étions lorsque ces demoiselles sont venues cette nuit, au clair de la lune, tousser sous nos fenêtres. Nous les avons entendues et nous y sommes courus. Elles nous ont fait voir leurs lettres et nous cherchions quelque chose pour les tirer, quand mon oncle a été averti de ce qui se passait. Il est descendu sans bruit avec tous ses gens, et à nos yeux il a outragé ces aimables personnes. Dans l'excès de notre désespoir, nos forces ont sans doute augmenté, nous avons enfoncé les portes que l'on avait fermées sur nous et nous courions pour les secourir, lorsque imprudemment, madame, nous sommes entrés dans votre chambre.

      «Le cavalier se tut en cet endroit; je trouvai qu'il avait raconté sa petite histoire avec esprit. Je le remerciai, et j'offris à ces demoiselles mes soins et ceux de mes amis pour apaiser leur famille. Elles les acceptèrent et m'en témoignèrent beaucoup de reconnaissance.»

      Quelques dames de la ville, qui me sont venues voir, veulent m'arrêter; elles me proposent d'aller chez des religieuses dont le couvent est au haut de la côte. Elles m'offrent de m'y faire entrer, et me disent que la vue de ce lieu n'a point de bornes, que l'on découvre tout à la fois la mer, des vaisseaux, des villes, des bois et des campagnes; elles vantent fort la voix, la beauté et les agréments de ces religieuses. Ajoutez à cela que le mauvais temps est augmenté d'une telle manière, et que la neige est tombée en si grande abondance, que personne ne me conseille de me mettre en chemin.

      J'ai balancé un peu, mais l'impatience que j'ai de me rendre à Madrid l'emporte sur toutes ces considérations, et je pars demain; j'ai reçu de mon banquier l'argent dont j'avais besoin. Il ne faut pas, au reste, que j'oublie de vous dire que les habitants de cette ville ont un privilége assez particulier, et dont aussi ils se vantent beaucoup. C'est que, lorsqu'ils traitent de quelques affaires avec le roi d'Espagne, et que c'est directement avec lui, il est obligé de leur parler la tête découverte; on ne m'en a pu dire la raison10.

      On m'a avertie qu'il faut faire une grosse provision pour ne pas mourir de faim en quelques endroits par où nous devons passer. Comme les jambons et les langues de porc sont en réputation dans le pays, j'en ai fait prendre une bonne quantité, et, à l'égard du reste, nous n'avons rien oublié11. Cependant c'est aujourd'hui le jour du courrier, je ne veux pas laisser passer cette occasion de vous donner de mes nouvelles, ma chère cousine, et de vous assurer de toute ma tendresse.

      A Saint-Sébastien, ce 20 février 1679.

      DEUXIÈME LETTRE

      Je reprends sans compliment la suite de mon voyage, ma chère cousine. En sortant de Saint-Sébastien, nous entrâmes dans un chemin fort rude qui aboutit à des montagnes si affreuses et si escarpées, que l'on ne peut les monter qu'en grimpant; on les appelle sierra de San Andrian. Elles ne montrent que des précipices et des rochers, sur lesquels un amant désespéré se tuerait à coup sûr, pour peu qu'il en eût envie. Des pins d'une hauteur extraordinaire couronnent la cime de ces montagnes: tant que la vue peut s'étendre, on ne voit que des déserts coupés de ruisseaux plus clairs que du cristal. Vers le haut du mont San Andrian, on trouve un rocher fort élevé qui semble avoir été mis au milieu du chemin pour enfermer le passage, et séparer ainsi la Biscaye de la Vieille-Castille.

      Un long et pénible travail a percé cette masse de pierre en façon de voûte: on marche quarante ou cinquante pas dessous, sans recevoir de jour que par les ouvertures qui sont à chaque entrée. Elles sont fermées par de grandes portes. On trouve sous cette voûte une hôtellerie que l'on abandonne l'hiver à cause des neiges. On y voit aussi une petite chapelle de saint Adrian et plusieurs cavernes où, d'ordinaire, les voleurs se retirent; de sorte qu'il est dangereux d'y passer sans être en état de se défendre. СКАЧАТЬ



<p>10</p>

Il nous semble à propos de donner quelques explications à ce sujet. Lors de leur réunion à la couronne de Castille, les provinces basques, Alava, Viscaya et Guipuscoa, avaient expressément stipulé le maintien de leurs priviléges. Les Basques, n'ayant jamais subi le joug des Maures, étaient considérés comme hidalgos. En conséquence, ils ne payaient pas d'impôts au roi, ils ne pouvaient être jugés que par les tribunaux de leur pays, avaient seuls droit aux emplois et jouissaient d'une liberté de commerce illimitée avec leurs voisins. Chaque province était gouvernée par une junte, dont l'organisation était à peu près partout la même. La junte était élue par tous les habitants indistinctement, pourvu qu'ils fussent d'origine basque et chrétienne. Elle votait les lois, les règlements de police, fixait la quotité des impôts et du don gratuit qu'elle accordait au roi. Lorsqu'elle se séparait, elle déléguait les pouvoirs à une commission, qui se partageait les diverses attributions du gouvernement, nommait aux emplois, administrait les fonds provinciaux, rendait la justice, pourvoyait à la défense du pays, et veillait surtout à ce que le roi n'empiétât pas sur ses priviléges et n'amenât pas de troupes étrangères dans la province. Le roi, à son avénement, se rendait en Biscaye sous l'antique chêne de Guernica, jurait de respecter les fueros. Les délégués de la junte prêtaient le même serment en prononçant, la main étendue sur le machete vittoriano: «Je veux que ce couteau me coupe la gorge si je ne défends pas les fueros.» (Llhorente, Provincias Vascongadas, t. II; passim., Weiss, t. I, p. 210.)

<p>11</p>

Les vivres, en effet, étaient si rares, que Gourville, se rendant à Madrid, se vit dans la nécessité de faire faire du biscuit pour son voyage. (Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France, t. XXIX, p. 552.)