Histoire des salons de Paris. Tome 2. Abrantès Laure Junot duchesse d'
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СКАЧАТЬ bout d'une heure, Duranthon revint. Il avait une figure assez ridicule habituellement: son air était celui d'une vieille femme avec ses petits traits mal arrangés, ses rides mal placées; cette peau d'une teinte blafarde avait de la ressemblance avec des joues fardées; enfin il avait une figure déplaisante et désagréable à l'excès. Madame Roland le supportait, mais avec grand'peine. Il était vain, sans talent, et n'avait pour lui que la réputation d'un honnête homme qu'il vint perdre dans ce ministère sans en attraper une autre… C'était bien la peine d'être ministre…

      En le voyant arriver avec une physionomie abattue, comme s'il avait appris la mort de son fils unique, ses collègues et madame Roland ne purent retenir un éclat de rire… Il tira alors de sa poche un papier, qu'il allait lire avec une figure de circonstance qui ne laissait pas d'avoir son prix, lorsque madame Roland s'écria:

      – M. Duranthon, c'est la démission de mon mari et la vôtre que vous apportez là, n'est-il pas vrai? Donnez donc, mon Dieu!..

      Et elle lui prend le papier des mains. C'était en effet la démission des quatre ministres!..

      – Mon ami, dit-elle à son mari, c'est encore mieux mérité de notre part que de celle de ces messieurs!.. Mais le Roi ne l'annoncera pas à l'Assemblée! et puisqu'il n'a pas profité de la leçon de votre lettre de ce matin, il faut rendre ces leçons utiles au public, en les lui faisant connaître… Je ne vois rien de plus conséquent au courage de l'avoir écrite que celui d'en envoyer une copie à l'Assemblée!.. Au moins, en apprenant votre renvoi, elle en apprendra la cause.

      Cette idée devait plaire à Roland… Il la saisit, la lettre fut envoyée à l'Assemblée. On sait comment elle accueillit le renvoi des trois ministres!.. elle ordonna d'abord l'impression de la lettre et son envoi dans les départements, en faisant une mention honorable de la conduite des trois ministres.

      Après cette dernière marque de courage, madame Roland rentra dans sa vie privée… Mais elle n'y retrouva plus la paix et le repos… Elle voyait sa patrie livrée au malheur et sentait dans son cœur tout ce qui pouvait donner peut-être d'utiles lumières. Elle était réduite au silence et à se consumer par son propre feu!..

      SALON

      DE MADAME DE BRIENNE

      ET

      DU CARDINAL DE LOMÉNIE

      C'était une femme assez laide que madame de Brienne, et qui, en cas de besoin, aurait pu se faire passer pour un homme. Elle avait des moustaches, même de la barbe, et sa voix et sa démarche ne donnaient pas le démenti à ce premier aspect masculin. Elle avait, dit-on, de l'esprit; je ne le puis nier, parce qu'elle ne m'a pas prouvé le contraire; tout ce que je puis dire, c'est que je ne voudrais pas en avoir un semblable.

      Elle avait eu un salon composé de parties assez originales pour faire un tout au milieu duquel on se plaisait. L'abbé Morellet, qui en était un des plus intimes, me dit, lorsque je lui racontai comment j'avais connu madame la comtesse de Brienne, que son intimité était fort agréable, et que les habitués de cette maison y trouvaient du charme. À cela je ne puis rien objecter. J'ai vu aussi le salon de madame de Brienne, à Brienne, lorsque Madame Mère y fut passer quelques jours, de Pont-sur-Seine, son château… Mais, à cette seconde époque, il ne restait plus rien, à ce que me dit le cardinal Maury, de la comtesse de Brienne d'autrefois.

      Son salon, soit à Brienne, soit à Paris, avait toujours été le rendez-vous d'hommes supérieurs et même célèbres: l'abbé Morellet, Marmontel, Chamfort, La Harpe, Suard, Condorcet, Turgot, Buffon, Malesherbes, Helvétius et sa femme, etc., et plusieurs artistes fameux, tels que Piccini, David, dont le talent commençait déjà à se faire connaître… Cette réunion, à laquelle venaient se joindre plusieurs femmes spirituelles et remarquables, était en renom à Paris, et les étrangers qui arrivaient, n'importe de quel pays, se faisaient présenter chez la comtesse de Brienne.

      L'abbé Morellet est celui dont j'ai tiré les renseignements les plus exacts sur cet intérieur. Il était à la fois disciple de Quesnay, ami de d'Alembert, camarade de Delille, et savant enfin tout autant qu'il faut pour montrer que la cloison du cabinet d'études n'était pas tellement épaisse qu'il n'y entendît souvent le bruit du monde… Seulement il montra qu'il n'avait fait que traverser la logomachie de Quesnay, ne prit des économistes que le vrai et l'utile, et l'appliqua au commerce, qui chaque jour à cette époque devenait presque toute la politique des temps modernes. On estimait l'abbé Morellet; on l'aimait. J'ai entendu dire à madame Helvétius qu'elle ne savait jamais comment elle aimait M. Morellet… si c'était comme un frère ou bien un père devant lequel elle allait s'agenouiller; et madame Helvétius n'était pas prodigue de ces paroles-là.

      Le château de Brienne, dont je parlerai d'abord comme un premier établissement de la famille de Brienne, mérite déjà une mention particulière à lui seul, et voici comment:

      L'abbé de Brienne, depuis cardinal de Loménie, archevêque de Toulouse, puis de Sens, ministre constitutionnel, l'un des hommes peut-être qui ont le plus nui à la France, mais qui l'a expié par une mort terrible, cet homme n'était pas originairement destiné à un si brillant avenir, ni à des malheurs si retentissants. Cependant, il prévoyait sa haute fortune et il a eu à cet égard une seconde vue. Fils d'un père et d'une mère qui n'avaient pas quinze mille livres de rentes, sans aucune place à la Cour, l'abbé de Brienne descendait des Loménie, secrétaires d'état sous Henri III et Henri IV, Louis XIII et Louis XIV. Malgré son peu de fortune, il pensait à devenir ministre, étant encore sur les bancs du séminaire, ce fameux séminaire des trente-trois, si renommé pour la force et la bonté des études. L'abbé de Loménie, comme on l'appelait alors, n'était pas l'aîné de sa famille; il était le second; son frère aîné fut tué au combat d'Exiles: l'abbé de Loménie avait alors vingt-un ans; il ne possédait qu'un chétif prieuré en Languedoc du revenu de quinze cents livres par an, et de plus quelques barils de cuisses d'oie dont il régalait ses amis lorsqu'il avait oublié lui-même de les manger, ce qui était rare. Il devenait l'aîné de sa maison par la mort de son frère, mais il rêvait déjà d'être un jour cardinal-premier-ministre!.. Cela fut, mais au lieu de la soutane du cardinal de Richelieu il ne revêtit que sa plus méchante doublure… Il laissa donc le droit de perpétuer le nom de Brienne à son plus jeune frère, et poursuivit ses études ecclésiastiques, convaincu qu'il trouverait dans l'état de prêtre ce qu'une autre carrière lui refuserait. Il fallait que sa confiance fût bien grande, car il était encore en Sorbonne qu'il traçait le plan d'un château royal!.. Et le château de Brienne, dont la construction a coûté deux millions, a été bâti sur les plans du cardinal, lorsqu'il était encore abbé de Loménie. Il avait fait en même temps le plan des routes magnifiques qui devaient conduire à ce château, soit de Paris, soit de Troyes. N'avais-je pas raison de dire que le château méritait bien un mot sur lui seul?

      Tout en rêvant cependant à ce roman qui ne paraissait pas devoir s'accomplir, un événement extraordinaire lui donna une nouvelle confiance dans la pensée qu'il serait un jour le premier de l'État… Son frère, qui n'avait rien de remarquable, épousa mademoiselle Clément, fille d'un homme extrêmement riche, de la haute finance, qui avait laissé trois millions… Le frère ne regarda pas à la figure de la future, qui avait, comme je l'ai dit, une vraie tournure d'héritière;

      Et trois millions d'écus avec elle obtenus

      La firent à ses yeux plus belle que Vénus.

      On arrondit la petite terre de Brienne en Champagne, on acheta les propriétés environnantes, et bientôt le revenu de la terre de Brienne fut porté à cent mille francs annuellement… Un mauvais donjon était tout ce qui restait de l'ancien château, et M. l'abbé Morellet y ayant été un jour avec l'abbé de Loménie, qui n'était encore que simple grand-vicaire de l'archevêque de Rouen à Pontoise, pour juger des СКАЧАТЬ