Название: Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера
Автор: Александр Дюма
Издательство: КАРО
Серия: Littérature classique (Каро)
isbn: 978-5-9925-1601-2
isbn:
– Comme un vrai niais, dit Porthos ; mais la chose est-elle sûre ?
– Je la tiens d’Aramis, répondit le mousquetaire.
– Vraiment ?
– Eh ! vous le savez bien, Porthos, dit Aramis ; je vous l’ai racontée à vous-même hier, n’en parlons donc plus.
– N’en parlons plus, voilà votre opinion à vous, reprit Porthos. N’en parlons plus ! peste ! comme vous concluez vite. Comment ! le cardinal fait espionner un gentilhomme, fait voler sa correspondance par un traître, un brigand, un pendard ; fait, avec l’aide de cet espion et grâce à cette correspondance, couper le cou à Chalais, sous le stupide prétexte qu’il a voulu tuer le roi et marier Monsieur avec la reine ! Personne ne savait un mot de cette énigme, vous nous l’apprenez hier, à la grande satisfaction de tous, et quand nous sommes encore tout ébahis de cette nouvelle, vous venez nous dire aujourd’hui : N’en parlons plus !
– Parlons-en donc, voyons, puisque vous le désirez, reprit Aramis avec patience.
– Ce Rochefort, s’écria Porthos, si j’étais l’écuyer du pauvre Chalais, passerait avec moi un vilain moment.
– Et vous, vous passeriez un triste quart d’heure avec le duc Rouge, reprit Aramis.
– Ah ! le duc Rouge ! bravo, bravo, le duc Rouge ! répondit Porthos en battant des mains et en approuvant de la tête. Le « duc Rouge » est charmant. Je répandrai le mot, mon cher, soyez tranquille. A-t-il de l’esprit, cet Aramis ! Quel malheur que vous n’ayez pas pu suivre votre vocation, mon cher ! quel délicieux abbé vous eussiez fait !
– Oh ! ce n’est qu’un retard momentané, reprit Aramis ; un jour, je le serai. Vous savez bien, Porthos, que je continue d’étudier la théologie pour cela.
– Il le fera comme il le dit, reprit Porthos, il le fera tôt ou tard.
– Tôt, dit Aramis.
– Il n’attend qu’une chose pour le décider tout à fait et pour reprendre sa soutane, qui est pendue derrière son uniforme, reprit un mousquetaire.
– Et quelle chose attend-il ? demanda un autre.
– Il attend que la reine ait donné un héritier à la couronne de France.
– Ne plaisantons pas là-dessus, messieurs, dit Porthos ; grâce à Dieu, la reine est encore d’âge à le donner.
– On dit que M. de Buckingham est en France, reprit Aramis avec un rire narquois qui donnait à cette phrase, si simple en apparence, une signification passablement scandaleuse.
– Aramis, mon ami, pour cette fois vous avez tort, interrompit Porthos, et votre manie d’esprit vous entraîne toujours au-delà des bornes ; si M. de Tréville vous entendait, vous seriez mal venu de parler ainsi.
– Allez-vous me faire la leçon, Porthos ? s’écria Aramis, dans l’oeil doux duquel on vit passer comme un éclair.
– Mon cher, soyez mousquetaire ou abbé. Soyez l’un ou l’autre, mais pas l’un et l’autre, reprit Porthos. Tenez, Athos vous l’a dit encore l’autre jour : vous mangez à tous les râteliers. Ah ! ne nous fâchons pas, je vous prie, ce serait inutile, vous savez bien ce qui est convenu entre vous, Athos et moi. Vous allez chez Mme d’Aiguillon, et vous lui faites la cour ; vous allez chez Mme de Bois-Tracy, la cousine de Mme de Chevreuse, et vous passez pour être fort en avant dans les bonnes grâces de la dame. Oh ! mon Dieu, n’avouez pas votre bonheur, on ne vous demande pas votre secret, on connaît votre discrétion. Mais puisque vous possédez cette vertu, que diable ! Faites-en usage à l’endroit de Sa Majesté. S’occupe qui voudra et comme on voudra du roi et du cardinal ; mais la reine est sacrée, et si l’on en parle, que ce soit en bien.
– Porthos, vous êtes prétentieux comme Narcisse, je vous en préviens, répondit Aramis ; vous savez que je hais la morale, excepté quand elle est faite par Athos. Quant à vous, mon cher, vous avez un trop magnifique baudrier pour être bien fort là-dessus. Je serai abbé s’il me convient ; en attendant, je suis mousquetaire : en cette qualité, je dis ce qu’il me plaît, et en ce moment il me plaît de vous dire que vous m’impatientez.
– Aramis !
– Porthos !
– Eh ! messieurs ! messieurs ! s’écria-t-on autour d’eux.
– M. de Tréville attend M. d’Artagnan », interrompit le laquais en ouvrant la porte du cabinet.
À cette annonce, pendant laquelle la porte demeurait ouverte, chacun se tut, et au milieu du silence général le jeune Gascon traversa l’antichambre dans une partie de sa longueur et entra chez le capitaine des mousquetaires, se félicitant de tout son coeur d’échapper aussi à point à la fin de cette bizarre querelle.
III. L’audience
M. de Tréville était pour le moment de fort méchante humeur ; néanmoins il salua poliment le jeune homme, qui s’inclina jusqu’à terre, et il sourit en recevant son compliment, dont l’accent béarnais lui rappela à la fois sa jeunesse et son pays, double souvenir qui fait sourire l’homme à tous les âges. Mais, se rapprochant presque aussitôt de l’antichambre et faisant à d’Artagnan un signe de la main, comme pour lui demander la permission d’en finir avec les autres avant de commencer avec lui, il appela trois fois, en grossissant la voix à chaque fois, de sorte qu’il parcourut tous les tons intervallaires entre l’accent impératif et l’accent irrité :
« Athos ! Porthos ! Aramis ! »
Les deux mousquetaires avec lesquels nous avons déjà fait connaissance, et qui répondaient aux deux derniers de ces trois noms, quittèrent aussitôt les groupes dont ils faisaient partie et s’avancèrent vers le cabinet, dont la porte se referma derrière eux dès qu’ils en eurent franchi le seuil. Leur contenance, bien qu’elle ne fût pas tout à fait tranquille, excita cependant par son laisser-aller à la fois plein de dignité et de soumission, l’admiration de d’Artagnan, qui voyait dans ces hommes des demi-dieux, et dans leur chef un Jupiter olympien armé de tous ses foudres.
Quand les deux mousquetaires furent entrés, quand la porte fut refermée derrière eux, quand le murmure bourdonnant de l’antichambre, auquel l’appel qui venait d’être fait avait sans doute donné un nouvel aliment eut recommencé ; quand enfin M. de Tréville eut trois ou quatre fois arpenté, silencieux et le sourcil froncé, toute la longueur de son cabinet, passant chaque fois devant Porthos et Aramis, roides et muets comme à la parade, il s’arrêta tout à coup en face d’eux, et les couvrant des pieds à la tête d’un regard irrité :
« Savez-vous ce que m’a dit le roi, s’écria-t-il, et cela pas plus tard qu’hier au soir ? le savez-vous, messieurs ?
– Non, répondirent après un instant de silence les deux mousquetaires ; non, monsieur, nous l’ignorons.
– Mais j’espère que vous nous ferez l’honneur de nous le dire, ajouta Aramis de son ton le plus poli et avec la plus gracieuse révérence.
– Il m’a dit qu’il recruterait désormais ses mousquetaires parmi les СКАЧАТЬ