Название: Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера
Автор: Александр Дюма
Издательство: КАРО
Серия: Littérature classique (Каро)
isbn: 978-5-9925-1601-2
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M. de Tréville attendait le roi à cette chute. Il connaissait le roi de longue main ; il avait compris que toutes ses plaintes n’étaient qu’une préface, une espèce d’excitation pour s’encourager lui-même, et que c’était où il était arrivé enfin qu’il en voulait venir.
« Et en quoi ai-je été assez malheureux pour déplaire à Votre Majesté ? demanda M. de Tréville en feignant le plus profond étonnement.
– Est-ce ainsi que vous faites votre charge, monsieur ? continua le roi sans répondre directement à la question de M. de Tréville ; est-ce pour cela que je vous ai nommé capitaine de mes mousquetaires, que ceux-ci assassinent un homme, émeuvent tout un quartier et veulent brûler Paris sans que vous en disiez un mot ? Mais, au reste, continua le roi, sans doute que je me hâte de vous accuser, sans doute que les perturbateurs sont en prison et que vous venez m’annoncer que justice est faite.
– Sire, répondit tranquillement M. de Tréville, je viens vous la demander au contraire.
– Et contre qui ? s’écria le roi.
– Contre les calomniateurs, dit M. de Tréville.
– Ah ! voilà qui est nouveau, reprit le roi. N’allez-vous pas dire que vos trois mousquetaires damnés, Athos, Porthos et Aramis et votre cadet de Béarn, ne se sont pas jetés comme des furieux sur le pauvre Bernajoux, et ne l’ont pas maltraité de telle façon qu’il est probable qu’il est en train de trépasser à cette heure ! N’allez-vous pas dire qu’ensuite ils n’ont pas fait le siège de l’hôtel du duc de La Trémouille, et qu’ils n’ont point voulu le brûler ! ce qui n’aurait peut-être pas été un très grand malheur en temps de guerre, vu que c’est un nid de huguenots, mais ce qui, en temps de paix, est un fâcheux exemple. Dites, n’allez-vous pas nier tout cela ?
– Et qui vous a fait ce beau récit, Sire ? demanda tranquillement M. de Tréville.
– Qui m’a fait ce beau récit, monsieur ! et qui voulez-vous que ce soit, si ce n’est celui qui veille quand je dors, qui travaille quand je m’amuse, qui mène tout au-dedans et au-dehors du royaume, en France comme en Europe ?
– Sa Majesté veut parler de Dieu, sans doute, dit M. de Tréville, car je ne connais que Dieu qui soit si fort au-dessus de Sa Majesté.
– Non monsieur ; je veux parler du soutien de l’État, de mon seul serviteur, de mon seul ami, de M. le cardinal.
– Son Éminence n’est pas Sa Sainteté, Sire.
– Qu’entendez-vous par là, monsieur ?
– Qu’il n’y a que le pape qui soit infaillible, et que cette infaillibilité ne s’étend pas aux cardinaux.
– Vous voulez dire qu’il me trompe, vous voulez dire qu’il me trahit. Vous l’accusez alors. Voyons, dites, avouez franchement que vous l’accusez.
– Non, Sire ; mais je dis qu’il se trompe lui-même, je dis qu’il a été mal renseigné ; je dis qu’il a eu hâte d’accuser les mousquetaires de Votre Majesté, pour lesquels il est injuste, et qu’il n’a pas été puiser ses renseignements aux bonnes sources.
– L’accusation vient de M. de La Trémouille, du duc lui-même. Que répondrez-vous à cela ?
– Je pourrais répondre, Sire, qu’il est trop intéressé dans la question pour être un témoin bien impartial ; mais loin de là, Sire, je connais le duc pour un loyal gentilhomme, et je m’en rapporterai à lui, mais à une condition, Sire.
– Laquelle ?
– C’est que Votre Majesté le fera venir, l’interrogera, mais elle-même, en tête-à-tête, sans témoins, et que je reverrai Votre Majesté aussitôt qu’elle aura reçu le duc.
– Oui-da ! fit le roi, et vous vous en rapporterez à ce que dira M. de La Trémouille ?
– Oui, Sire.
– Vous accepterez son jugement ?
– Sans doute.
– Et vous vous soumettrez aux réparations qu’il exigera ?
– Parfaitement.
– La Chesnaye ! fit le roi. La Chesnaye ! »
Le valet de chambre de confiance de Louis XIII, qui se tenait toujours à la porte, entra.
« La Chesnaye, dit le roi, qu’on aille à l’instant même me quérir M. de La Trémouille ; je veux lui parler ce soir.
– Votre Majesté me donne sa parole qu’elle ne verra personne entre M. de La Trémouille et moi ?
– Personne, foi de gentilhomme.
– À demain, Sire, alors.
– À demain, monsieur.
– À quelle heure, s’il plaît à Votre Majesté ?
– À l’heure que vous voudrez.
– Mais, en venant par trop matin, je crains de réveiller votre Majesté.
– Me réveiller ? Est-ce que je dors ? Je ne dors plus, monsieur ; je rêve quelquefois, voilà tout. Venez donc d’aussi bon matin que vous voudrez, à sept heures ; mais gare à vous, si vos mousquetaires sont coupables !
– Si mes mousquetaires sont coupables, Sire, les coupables seront remis aux mains de Votre Majesté, qui ordonnera d’eux selon son bon plaisir. Votre Majesté exige-t-elle quelque chose de plus ? qu’elle parle, je suis prêt à lui obéir.
– Non, monsieur, non, et ce n’est pas sans raison qu’on m’a appelé Louis le Juste. À demain donc, monsieur, à demain.
– Dieu garde jusque-là Votre Majesté ! »
Si peu que dormit le roi, M. de Tréville dormit plus mal encore ; il avait fait prévenir dès le soir même ses trois mousquetaires et leur compagnon de se trouver chez lui à six heures et demie du matin. Il les emmena avec lui sans rien leur affirmer, sans leur rien promettre, et ne leur cachant pas que leur faveur et même la sienne tenaient à un coup de dés.
Arrivé au bas du petit escalier, il les fit attendre. Si le roi était toujours irrité contre eux, ils s’éloigneraient sans être vus ; si le roi consentait à les recevoir, on n’aurait qu’à les faire appeler.
En arrivant dans l’antichambre particulière du roi, M. de Tréville trouva La Chesnaye, qui lui apprit qu’on n’avait pas rencontré le duc de La Trémouille la veille au soir à son hôtel, qu’il était rentré trop tard pour se présenter au Louvre, qu’il venait seulement d’arriver, et qu’il était à cette heure chez le roi.
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