Anna Karénine (Texte intégral). León Tolstoi
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Читать онлайн книгу Anna Karénine (Texte intégral) - León Tolstoi страница 29

Название: Anna Karénine (Texte intégral)

Автор: León Tolstoi

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066373498

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СКАЧАТЬ fut traduit en jugement pour coups portés à un supérieur. Tout cela était odieux, mais pour Levine l’impression était moins mauvaise que pour ceux qui ne connaissaient pas Nicolas, car il s’imaginait connaître le fond de ce cœur et sa véritable histoire.

      Levine n’oubliait pas qu’au temps où Nicolas avait cherché dans les pratiques de la dévotion un frein à ses mauvaises passions, personne ne l’avait approuvé ou soutenu; chacun, au contraire, lui le premier, l’avait tourné en ridicule; puis, lorsque était venue la chute, personne ne chercha à le relever: on le fuyait avec horreur et dégoût.

      Levine sentait que Nicolas, dans le fond de son âme, ne devait pas se trouver plus coupable que ceux qui le méprisaient. Était-il responsable de sa nature indomptable, de son intelligence bornée? N’avait-il pas cherché à rester dans la bonne voie? «Je lui parlerai à cœur ouvert et l’obligerai à en faire autant, et je lui prouverai que je le comprends parce que je l’aime.»

      Il se fit donc conduire à l’hôtel indiqué sur l’adresse, vers onze heures du soir.

      «En haut, aux numéros 12 et 13, répondit le suisse de l’hôtel.

      – Est-il chez lui?

      – Probablement.»

      La porte du numéro 12 était entr’ouverte, et il sortait de la chambre une épaisse fumée de tabac de qualité inférieure; Levine entendit le son d’une voix inconnue, puis il reconnut la présence de son frère en l’entendant tousser.

      Quand il entra dans une espèce d’antichambre, la voix inconnue disait:

      «Tout dépend de la façon raisonnable et rationnelle dont l’affaire sera menée.»

      Levine jeta un coup d’œil dans l’entre-bâillement de la porte, et vit que celui qui parlait était un jeune homme, vêtu comme un homme du peuple, un énorme bonnet sur la tête; sur le divan était assise une jeune femme grêlée, en robe de laine, sans col et sans manchettes. Le cœur de Constantin se serra à l’idée du milieu dans lequel vivait son frère! Personne ne l’entendit, et, tout en ôtant ses galoches, il écouta ce que disait l’individu mal vêtu. Il parlait d’une affaire qu’il cherchait à conclure.

      «Que le diable les emporte, les classes privilégiées! Dit la voix de son frère après avoir toussé. Macha! Tâche de nous avoir à souper, et donne-nous du vin s’il en reste; sinon, fais-en chercher.»

      La femme se leva, et en sortant aperçut Constantin de l’autre côté de la cloison.

      «Quelqu’un vous demande, Nicolas Dmitrievitch, dit-elle.

      – Que vous faut-il? Cria la voix de Nicolas avec colère.

      – C’est moi, répondit Constantin en paraissant à la porte.

      – Qui moi?» répéta la voix de Nicolas sur un ton irrité.

      Levine l’entendit se lever vivement en s’accrochant à quelque chose, et vit se dresser devant lui la haute taille, maigre et courbée de son frère, dont l’aspect sauvage, hagard et maladif lui fit peur.

      Il avait encore maigri depuis la dernière fois que Constantin l’avait vu, trois ans auparavant; il portait une redingote écourtée; sa structure osseuse, ses mains, tout paraissait plus grand. Ses cheveux étaient devenus plus rares, ses moustaches se hérissaient autour de ses lèvres comme autrefois, et il avait le même regard effrayé qui se fixa sur son visiteur avec une sorte de naïveté.

      «Ah! Kostia!» s’écria-t-il tout à coup en reconnaissant son frère, et ses yeux brillèrent de joie; puis, se tournant vers le jeune homme, il fit de la tête et du cou un mouvement nerveux, bien connu de Levine, comme si sa cravate l’eût étranglé, et une expression toute différente, sauvage et cruelle, se peignit sur son visage amaigri.

      «Je vous ai écrit, à Serge Ivanitch et à vous, mais je ne vous connais pas et ne veux pas vous connaître. Que veux-tu, que voulez-vous de moi?»

      Constantin avait oublié ce que cette nature offrait de mauvais, de difficile à supporter, et qui rendait impossible toute relation de famille; il s’était représenté son frère tout autre, en pensant à lui; maintenant, en revoyant ces traits, ces mouvements de tête bizarres, le souvenir lui revint.

      «Mais je ne veux rien de toi, répondit-il avec une certaine timidité, je suis tout simplement venu te voir.»

      L’air craintif de son frère adoucit Nicolas.

      «Ah! C’est ainsi, dit-il avec une grimace; dans ce cas, entre, assieds-toi; veux-tu souper? Macha, apporte trois portions. Non, attends. Sais-tu qui c’est? Dit-il à son frère en désignant l’individu mal vêtu. C’est M. Kritzki, mon ami; je l’ai connu à Kiew; c’est un homme très remarquable. La police le persécutait, naturellement parce que ce n’est pas un lâche.»

      Et il regarda chacun des assistants, comme il faisait toujours après avoir parlé; puis, s’adressant à la femme qui était sur le point de sortir, il cria:

      «Attends, te dis-je!» Il regarda encore chacun et se mit à raconter, avec la difficulté de parole que connaissait trop bien Constantin, toute l’histoire de Kritzki: comment il avait été chassé de l’Université pour avoir voulu fonder une société de secours et des écoles du dimanche; comment il avait ensuite été nommé instituteur primaire pour être aussitôt chassé; comment il avait été mis en jugement on ne sait pourquoi.

      «Vous êtes de l’Université de Kiew? Demanda Constantin à Kritzki pour rompre un silence gênant.

      – Oui, j’en ai été, répondit Kritzki, fronçant le sourcil d’un air mécontent.

      – Et cette femme, interrompit Nicolas en la désignant, est Maria-Nicolaevna, la compagne de ma vie. Je l’ai prise dans une maison, mais je l’aime et je l’estime, et tous ceux qui veulent me connaître doivent l’aimer et l’honorer. Je la considère comme ma femme. Ainsi tu sais à qui tu as affaire: et maintenant, si tu crois t’abaisser, libre à toi de sortir.»

      Et il jeta un regard interrogateur sur ceux qui l’entouraient.

      «Je ne comprends pas en quoi je m’abaisserais.

      – Alors, fais-nous monter trois portions, Macha, trois portions, de l’eau-de-vie, du vin. Non, attends; non, c’est inutile, va.»

      XXV

      «Vois-tu, – continua Nicolas Levine en plissant le front avec effort et s’agitant, car il ne savait ni que dire, ni que faire. – Vois-tu, – et il montra dans un coin de la chambre quelques barres de fer attachées avec des sangles. – Vois-tu cela? C’est le commencement d’une œuvre nouvelle que nous entreprenons; cette œuvre est un artel professionnel.»

      Constantin n’écoutait guère; il observait ce visage maladif de phtisique, et sa pitié croissante l’empêchait de prêter grande attention à ce que disait son frère. Il savait bien d’ailleurs que cette œuvre n’était qu’une ancre de salut destinée à empêcher Nicolas de se mépriser complètement. СКАЧАТЬ