Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel Proust
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Читать онлайн книгу Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel - Marcel Proust страница 229

Название: Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel

Автор: Marcel Proust

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066373511

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СКАЧАТЬ presque la même. Il était résulté de cette question de préséance des incidents comiques, comme un déjeuner qui fut servi en retard de plus d’une grande heure que mit l’une de ces dames à accepter de se laisser présenter. Elles étaient malgré cela devenues de grandes amies et elle avait donné à ma mère un fauteuil du genre de celui-ci et où, comme vous venez de faire, chacun refusait de s’asseoir. Un jour ma mère entend une voiture dans la cour de son hôtel. Elle demande à un petit domestique qui c’est. «C’est Madame la duchesse de La Rochefoucauld, madame la comtesse. – Ah! bien, je la recevrai.» Au bout d’un quart d’heure, personne. «Hé bien, Madame la duchesse de La Rochefoucauld? où estelle donc? – Elle est dans l’escalier, a souffle, madame la comtesse», répond le petit domestique qui arrivait depuis peu de la campagne où ma mère avait la bonne habitude de les prendre. Elle les avait souvent vu naître. C’est comme cela qu’on a chez soi de braves gens. Et c’est le premier des luxes. En effet, la duchesse de La Rochefoucauld montait difficilement, étant énorme, si énorme, que quand elle entra ma mère eut un instant d’inquiétude en se demandant où elle pourrait la placer. A ce moment le meuble donné par Mme de Praslin frappa ses yeux: «Prenez donc la peine de vous asseoir», dit ma mère en le lui avançant. Et la duchesse le remplit jusqu’aux bords. Elle était, malgré cette importance, restée assez agréable. «Elle fait encore un certain effet quand elle entre», disait un de nos amis. «Elle en fait surtout quand elle sort», répondit ma mère qui avait le mot plus leste qu’il ne serait de mise aujourd’hui. Chez Mme de La Rochefoucauld même, on ne se gênait pas pour plaisanter devant elle, qui en riait la première, ses amples proportions. «Mais est-ce que vous êtes seul?» demanda un jour à M. de La Rochefoucauld ma mère qui venait faire visite à la duchesse et qui, reçue à l’entrée par le mari, n’avait pas aperçu sa femme qui était dans une baie du fond. «Est-ce que Madame de La Rochefoucauld n’est pas là? je ne la vois pas. – Comme vous êtes aimable!» répondit le duc qui avait un des jugements les plus faux que j’aie jamais connus mais ne manquait pas d’un certain esprit.

      Après le dîner, quand j’étais remonté avec ma grand’mère, je lui disais que les qualités qui nous charmaient chez Mme de Villeparisis, le tact, la finesse, la discrétion, l’effacement de soi-même n’étaient peut-être pas bien précieuses puisque ceux qui les possédèrent au plus haut degré ne furent que des Molé et des Loménie, et que si leur absence peut rendre les relations quotidiennes désagréables, elle n’a pas empêché de devenir Chateaubriand, Vigny, Hugo, Balzac, des vaniteux qui n’avaient pas de jugement, qu’il était facile de railler, comme Bloch… Mais au nom de Bloch ma grand’mère se récriait. Et elle me vantait Mme de Villeparisis. Comme on dit que c’est l’intérêt de l’espèce qui guide en amour les préférences de chacun, et pour que l’enfant soit constitué de la façon la plus normale fait rechercher les femmes maigres aux hommes gras et les grasses aux maigres, de même c’était obscurément les exigences de mon bonheur menacé par le nervosisme, par mon penchant maladif à la tristesse, à l’isolement, qui lui faisaient donner le premier rang aux qualités de pondération et de jugement, particulières non seulement à Mme de Villeparisis mais à une société où je pourrais trouver une distraction, un apaisement, une société pareille à celle où l’on vit fleurir l’esprit d’un Doudan, d’un M. de Rémusat, pour ne pas dire d’un Beausergent, d’un Joubert, d’une Sévigné, esprit qui met plus de bonheur, plus de dignité dans la vie que les raffinements opposés lesquels ont conduit un Baudelaire, un Poe, un Verlaine, un Rimbaud, à des souffrances, à une déconsidération dont ma grand’mère ne voulait pas pour son petit-fils. Je l’interrompais pour l’embrasser et lui demandais si elle avait remarqué telle phrase que Mme de Villeparisis avait dite et dans laquelle se marquait la femme qui tenait plus à sa naissance qu’elle ne l’avouait. Ainsi soumettais-je à ma grand’mère mes impressions car je ne savais jamais le degré d’estime dû à quelqu’un que quand elle me l’avait indiqué. Chaque soir je venais lui apporter les croquis que j’avais pris dans la journée d’après tous ces êtres inexistants qui n’étaient pas elle. Une fois je luis dis: – Sans toi je ne pourrai pas vivre. – Mais il ne faut pas, me répondit-elle d’une voix troublée. Il faut nous faire un coeur plus dur que ça. Sans cela que deviendrais-tu si je partais en voyage? J’espère au contraire que tu serais très raisonnable et très heureux.

      – Je saurais être raisonnable si tu partais pour quelques jours, mais je compterais les heures.

      – Mais si je partais pour des mois… (à cette seule idée mon coeur se serrait), pour des années… pour…

      Nous nous taisions tous les deux. Nous n’osions pas nous regarder. Pourtant je souffrais plus de son angoisse que de la mienne. Aussi je m’approchai de la fenêtre et distinctement je lui dis en détournant les yeux:

      – Tu sais comme je suis un être d’habitudes. Les premiers jours où je viens d’être séparé des gens que j’aime le plus, je suis malheureux. Mais tout en les aimant toujours autant, je m’accoutume, ma vie devient calme, douce; je supporterais d’être séparé d’eux, des mois, des années.

      Je dus me taire et regarder tout à fait par la fenêtre. Ma grand’mère sortit un instant de la chambre. Mais le lendemain je me mis à parler de philosophie, sur le ton le plus indifférent, en m’arrangeant cependant pour que ma grand’mère fît attention à mes paroles; je dis que c’était curieux, qu’après les dernières découvertes de la science, le matérialisme semblait ruiné, et que le plus probable était encore l’éternité des âmes et leur future réunion.

      Mme de Villeparisis nous prévint que bientôt elle ne pourrait nous voir aussi souvent. Un jeune neveu qui préparait Saumur, actuellement en garnison dans le voisinage, à Doncières, devait venir passer auprès d’elle un congé de quelques semaines et elle lui donnerait beaucoup de son temps. Au cours de nos promenades, elle nous avait vanté sa grande intelligence, surtout son bon coeur; déjà je me figurais qu’il allait se prendre de sympathie pour moi, que je serais son ami préféré et quand, avant son arrivée, sa tante laissa entendre à ma grand’mère qu’il était malheureusement tombé dans les griffes d’une mauvaise femme dont il était fou et qui ne le lâcherait pas, comme j’étais persuadé que ce genre d’amour finissait fatalement par l’aliénation mentale, le crime et le suicide, pensant au temps si court qui était réservé à notre amitié, déjà si grande dans mon coeur sans que je l’eusse encore vu, je pleurai sur elle et sur les malheurs qui l’attendaient comme sur un être cher dont on vient de nous apprendre qu’il est gravement atteint et que ses jours sont comptés.

      Une après-midi de grande chaleur j’étais dans la salle à manger de l’hôtel qu’on avait laissée à demi dans l’obscurité pour la protéger du soleil en tirant des rideaux qu’il jaunissait et qui par leurs interstices laissaient clignoter le bleu de la mer, quand, dans la travée centrale qui allait de la plage à la route, je vis, grand, mince, le cou dégagé, la tête haute et fièrement portée, passer un jeune homme aux yeux pénétrants et dont la peau était aussi blonde et les cheveux aussi dorés que s’ils avaient absorbé tous les rayons du soleil. Vêtu d’une étoffe souple et blanchâtre comme je n’aurais jamais cru qu’un homme eût osé en porter, et dont la minceur n’évoquait pas moins que le frais de la salle à manger, la chaleur et le beau temps du dehors, il marchait vite. Ses yeux, de l’un desquels tombait à tout moment un monocle, étaient de la couleur de la mer. Chacun le regarda curieusement passer, on savait que ce jeune marquis de Saint-Loup-en-Bray était célèbre pour son élégance. Tous les journaux avaient décrit le costume dans lequel il avait récemment servi de témoin au jeune duc d’Uzès, dans un duel. Il semblait que la qualité si particulière de ses cheveux, de ses yeux, de sa peau, de sa tournure, qui l’eussent distingué au milieu d’une foule comme un filon précieux d’opale azurée et lumineuse, engaîné dans une matière grossière, devait correspondre à une vie différente de celle des autres hommes. Et en conséquence, quand avant la liaison dont Mme de Villeparisis se plaignait, les plus jolies femmes du grand monde se l’étaient disputé, sa présence, dans une plage par СКАЧАТЬ