Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi
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Название: Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï

Автор: León Tolstoi

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066446673

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СКАЧАТЬ je commençai à jouer comme je pus, bien que j’eusse quelque peur de son appréciation, sachant combien il était connaisseur et quel goût il avait pour la musique. Dans le ton de cet adagio régnait un sentiment qui me reportait, par une sorte de réminiscence, vers nos entretiens d’avant le thé, et sous cette impression je le jouai passablement, paraît-il. Mais il ne voulut pas me laisser jouer le scherzo.

      — Non, vous ne le joueriez pas bien, dit-il en se rapprochant de moi; restez-en sur ce premier morceau, qui n’a pas été mal. Je vois que vous comprenez la musique.

      Cet éloge, assurément modéré, me réjouit si fort que je me sentis rougir. C’était une chose si nouvelle et si agréable pour moi que l’ami, l’égal de mon père, me parlât seul à seule, sérieusement, et non plus comme à une enfant, ainsi qu’il faisait jadis.

      Il m’entretint de mon père, me raconta combien ils s’étaient convenu l’un à l’autre, combien ils avaient agréablement vécu ensemble, alors que je ne m’occupais encore que de jouets et de livres d’étude; et dans ces récits mon père, pour la première fois, m’apparut l’homme simple et bon que je n’avais pas connu jusque-là. Il me questionna aussi sur ce que j’aimais, ce que je lisais, ce que je comptais faire, et il me donnait des conseils. Je n’avais plus près de moi l’homme plaisant qui aimait le badinage ou la taquinerie, mais bien un homme sérieux, franc, amical, pour qui je ressentais en même temps un respect involontaire et de la sympathie. Cette impression m’était douce, agréable, et tout ensemble j’éprouvais en moi une certaine et inconsciente tension en lui parlant. Chaque mot que je prononçais me laissait craintive; j’aurais tant voulu mériter moi-même son affection, qui jusqu’à présent ne m’était acquise qu’en qualité de fille de mon père!

      Après avoir couché Sonia, Macha nous rejoignit et fit à Serge Mikaïlovitch des doléances au sujet de mon apathie, d’où il résultait que je n’avais jamais rien à dire.

      — Alors elle ne m’a pas raconté le plus important, répondit-il en souriant et en branlant la tête de mon côté d’un air de reproche.

      — Qu’aurais-je eu à raconter? Répliquai-je: que je m’ennuyais beaucoup, mais cela passera. (Et effectivement il me semblait maintenant, non-seulement que mon ennui passerait, mais que c’était déjà chose faite et qu’il ne reviendrait plus.)

      — Ce n’est pas bien de ne savoir pas supporter la solitude: est-il possible que vous soyez vraiment une demoiselle?

      — Mais je crois bien que oui, répondis-je en riant!

      — Non, non, ou du moins une vilaine demoiselle qui ne vit que pour être admirée, et qui, dès qu’elle se trouve isolée, se relâche et ne sait plus rien trouver bien; tout pour la montre, rien pour elle-même.

      — Vous avez là une belle idée de moi, dis-je, pour dire quelque chose.

      — Non, reprit-il après un moment de silence: ce n’est pas en vain que vous ressemblez à votre père; il y a quelque chose en vous!

      Et son bon et attentif regard vint de nouveau exercer son charme sur moi et me remplir d’un trouble singulier.

      Je remarquai à ce moment seulement qu’à travers ce visage qui paraissait gai au premier coup d’œil, sous ce regard qui n’appartenait qu’à lui et où on aurait cru d’abord ne lire que la sérénité, se peignait ensuite, et toujours de plus en plus vivement, un fond de grande réflexion et d’un peu de tristesse.

      — Vous ne devez ni ne pouvez vous ennuyer, dit-il encore, vous avez la musique que vous savez comprendre, les livres, l’étude, vous avez devant vous une vie tout entière à laquelle voici seulement pour vous le moment de vous préparer, afin de n’avoir pas ensuite à vous en plaindre. Dans un au il sera déjà trop tard.

      Il me parlait ainsi comme un père ou un oncle, et je comprenais qu’il faisait un effort continu pour demeurer toujours à mon niveau. Cela m’offensait bien un peu qu’il me crût si fort au-dessous de lui, et d’un autre côté il m’était agréable que, pour moi, il crût devoir faire cet effort.

      Le reste de la soirée fut consacré à une conversation d’affaires entre lui et Macha.

      — Et maintenant, bonsoir, ma chère Katia, me dit-il en se levant et s’approchant de moi, et en me prenant la main.

      — Quand nous reverrons-nous? Demanda Macha.

      — Au printemps, répondit-il en continuant à me tenir la main; pour le moment je vais à Danilovka (notre autre bien); je verrai un peu ce qui s’y passe, j’arrangerai ce que je pourrai, puis je passerai par Moscou pour mes affaires, et cet été nous pourrons nous voir.

      — Pourquoi partir pour si longtemps? Dis-je très-tristement; et en effet, j’espérais déjà le voir chaque jour, et j’éprouvais tout à coup un affreux crève-cœur à me retrouver aux prises avec mon ennui. Probablement que cela se laissa deviner dans mes yeux et dans le son de ma voix.

      — Allons, occupez-vous davantage, chassez le spleen, me dit-il d’un ton qui me parut trop placide et trop froid. Au printemps, je vous examinerai, ajouta-t-il en lâchant ma main et sans me regarder.

      Dans l’antichambre, où nous nous rendîmes en le reconduisant, il se hâta de passer sa pelisse, et de nouveau son regard sembla m’éviter.

      — Il prend là une peine bien inutile! Me dis-je, serait-il possible qu’il pensât me faire déjà tant de plaisir en me regardant? C’est un homme excellent, tout à fait bon… Mais voilà tout.

      Cependant nous restâmes longtemps ce soir-là, Macha et moi, sans nous endormir, parlant toujours, non pas de lui, mais de l’emploi de l’été suivant, du lieu où nous passerions l’hiver et de la façon de le passer. Grosse question; et pourquoi? Pour moi, il me semblait aussi simple qu’évident que la vie devait consister à être heureuse, et dans l’avenir il ne m’était pas possible de me figurer autre chose que le bonheur, comme si tout à coup notre vieille et sombre demeure de Pokrovski venait de se remplir de vie et de lumière…

      II

      En attendant, le printemps était arrivé. Mes ennuis d’autrefois s’étaient évanouis et je les avais échangés contre ces tristesses rêveuses et printanières, tissues d’espérances inconnues et de désirs inassouvis. Et pourtant ma vie n’était plus celle que j’avais menée au commencement de l’hiver; je m’occupais de Sonia, de musique, d’études, et souvent j’allais au jardin où j’errais longtemps, bien longtemps, seule à travers les allées, ou bien je m’asseyais sur quelque banc. Dieu sait à quoi je songeais, ce que je souhaitais, ce que j’espérais! Quelquefois je m’accoudais des nuits entières, surtout par les temps de lune, à la fenêtre de ma chambre et j’y demeurais jusqu’au matin; quelquefois, à l’insu de Macha et en simple costume de nuit, je descendais encore au jardin et je m’enfuyais vers l’étang au milieu de la rosée; je poussai même une fois jusque dans les champs, ou bien je passais la nuit à faire toute seule le tour du parc.

      Maintenant il m’est difficile de me rappeler, encore moins de comprendre, les rêveries qui, à cette époque, remplissaient mon imagination. Si même je parviens à m’en souvenir, j’ai peine à croire que ces rêveries fussent bien miennes. Tant elles étaient étranges et en dehors de la vie réelle.

      À la fin de mai, Serge Mikaïlovitch, ainsi qu’il l’avait promis, revint de sa tournée.

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