Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi
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Читать онлайн книгу Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi страница 25

Название: Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï

Автор: León Tolstoi

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066446673

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      Il en tomba d’accord et nous restâmes ensemble auprès de la balustrade du balcon; j’appuyai la main sur la traverse humide et glissante et j’avançai la tête dehors. Une pluie fraîche m’aspergea les cheveux et le cou par jets saccadés. Le nuage, lumineux déjà et devenant à chaque instant plus clair, se fondit en eau sur nous; au bruit régulier de la pluie succéda bientôt celui des gouttes tombant de plus en plus rares du ciel et des feuillages. De nouveau les grenouilles reprirent leurs coassements, de nouveau les rossignols secouèrent leurs ailes et recommencèrent à se répondre de derrière les touffes humides, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Tout redevint serein sous nos yeux.

      — Qu’il fait donc bon vivre! Dit-il en se penchant sur le balustre et en passant sa main sur mes cheveux mouillés.

      Cette simple caresse agit sur moi comme un reproche, et j’eus envie de pleurer.

      — Qu’est-ce qu’il faut de plus à un homme? Continua-t-il. Je suis en ce moment si content, qu’il ne me manque rien, et que je suis complètement heureux.

      — Tu ne me parlais pas ainsi quand cela eût fait mon bonheur, pensai-je. Quelque grand que fût le tien, tu disais alors que tu en voulais plus et plus encore. Et maintenant tu es calme et content, quand mon âme est remplie d’un repentir en quelque sorte inénarrable et de larmes inassouvies!

      — À moi aussi la vie est bonne, dis-je, mais je suis triste précisément de ce que la vie soit si bonne pour moi. Je me sens si décousue, si incomplète; j’ai toujours envie de quelque autre chose, et pourtant ici tout est tellement bon, tellement tranquille! Est-il donc possible que pour toi, il ne se mêle aucun chagrin aux jouissances que la nature t’a accordées, comme si, par exemple, tu regrettais quelque chose du passé?

      Il retira sa main qui reposait sur ma tête et garda un moment le silence.

      — Oui, jadis cela m’est arrivé à moi aussi, surtout au printemps, me dit-il, comme recueillant ses souvenirs. Oui, moi aussi j’ai passé des nuits entières à former des désirs et des espérances, et quelles belles nuits que celles-là! Mais alors tout était devant moi, et à présent tout est derrière; à présent je suis content de ce qui est, et cela est la perfection pour moi, conclut-il avec une assurance si dégagée que, tout douloureux à entendre que ce fût pour moi, je demeurai convaincue qu’il me disait vrai.

      — Ainsi tu ne désires plus rien? Demandai-je.

      — Rien d’impossible, répondit-il, en devinant mon sentiment. Et toi, vois comme tu as mouillé ta tête, ajouta-t-il en me caressant comme un enfant et passant de nouveau sa main sur mes cheveux; tu es jalouse des feuillages, de l’herbe que la pluie a mouillée; tu voudrais être et l’herbe et les feuilles et la pluie; mais moi je me réjouis seulement en les voyant, comme en voyant tout ce qui est bon, jeune, heureux.

      — Et tu ne regrettes rien du passé? Continuai-je à demander, sentant un poids de plus en plus lourd oppresser mon cœur.

      Il rêva un moment et de nouveau garda le silence. Je voyais qu’il voulait répondre en toute franchise.

      — Non! Répondit-il enfin brièvement.

      — Ce n’est pas vrai! Ce n’est pas vrai! M’écriai-je, en me tournant vers lui et attachant mes yeux sur les siens. Tu ne regrettes pas le passé?

      — Non! Répondit-il encore une fois, je le bénis, mais je ne le regrette pas.

      — Et ne souhaiterais-tu pas d’y revenir?

      Il se détourna et se mit à regarder dans le jardin.

      — Je ne le souhaite pas plus que je ne souhaiterais qu’il me poussât des ailes. Cela ne se peut.

      — Et tu ne voudrais pas reconstituer ce passé? Et tu ne fais de reproches ni à toi ni à moi? — Jamais! Tout a été pour le mieux.

      — Écoute! Dis-je en saisissant sa main pour le forcer à se retourner vers moi. Écoute, pourquoi ne m’avoir jamais dit ce que tu voulais de moi, afin que je pusse vivre exactement comme tu le voulais? Pourquoi m’avoir donné une liberté dont je ne savais pas faire bon usage, pourquoi avoir cessé de m’instruire? Si tu l’avais voulu, si tu avais voulu me diriger autrement, rien, rien ne fût arrivé, poursuivis-je d’une voix qui, de plus en plus énergiquement, exprimait un froid dépit et un reproche, et non plus l’amour d’autrefois.

      — Qu’est-ce qui ne serait pas arrivé? Dit-il avec surprise, en se tournant vers moi. Il n’y a rien eu de pareil. Tout est bien, très-bien, répéta-t-il en souriant.

      Serait-il possible qu’il ne me comprît pas, ou, ce qui serait pis encore, qu’il ne voulût pas me comprendre? Pensai-je; et des larmes jaillirent de mes yeux.

      — Il serait arrivé ceci, que, ne m’étant pas rendue coupable envers toi, je n’en aurais pas été punie par ton indifférence, ton mépris même, répliquai-je tout à coup. Ce qui ne serait pas arrivé, c’eût été de me voir, sans aucune faute de ma part, enlever soudainement par toi tout ce qui m’était cher.

      — Que dis-tu là, mon amie! S’écria-t-il, comme s’il n’eût pas compris ce que je disais.

      — Non, laisse-moi achever. Tu m’as enlevé ta confiance, ton amour, jusqu’à ton estime, et cela parce que j’ai cessé de croire que tu m’aimais encore après ce qui s’était passé. Non, il me faut dire une bonne fois tout ce qui depuis si longtemps me torture, repris-je en l’interrompant encore. Étais-je coupable de ce que je ne connaissais pas la vie et de ce que tu me laissais la découvrir toute seule?… Et suis-je coupable, à présent que j’ai fini par comprendre moi-même ce qu’il faut dans cette vie, à présent que depuis bientôt un an je lutte pour revenir à toi, si tu ne cesses pas de me repousser, faisant semblant de ne pas comprendre ce que je veux? Et si les choses s’arrangent de telle sorte qu’il n’y ait jamais rien à te reprocher, et que je reste coupable et malheureuse! Oui, tu voudrais me rejeter encore dans cette vie qui doit faire mon malheur et le tien!

      — En quoi vois-tu que je fasse cela? Demanda-t-il avec une surprise et un effroi sincères.

      — Ne me disais-tu pas, encore hier, oui, tu me le dis continuellement, que Je ne m’accommode pas ici, qu’il nous faut de nouveau aller passer l’hiver à Pétersbourg, que j’ai maintenant en horreur? Au lieu de me soutenir, continuai-je, tu as évité toute franchise avec moi, toute parole sincère et douce. Et ensuite, quand je tomberai, tu me reprocheras cette chute et tu la prendras gaîment.

      — Arrête, arrête, dit-il sévèrement et froidement; ce n’est pas bien, ce que tu dis là. Cela montre seulement que tu es mal disposée envers moi, que tu ne…

      — Que je ne t’aime pas! Dis-le, dis-le donc! Achevai-je, et des larmes mouillèrent mes yeux. Je m’assis sur le banc et je me couvris la figure avec mon mouchoir.

      Voilà comme il me comprend! Pensai-je, en essayant de contenir les sanglots qui m’oppressaient. C’en est fait, c’en est fait de notre ancien amour, dit une voix dans mon cœur. Il ne s’approcha pas de moi, ne me consola point. Il était blessé de ce que j’avais dit. Sa voix était tranquille et sèche.

      — Je ne sais pas ce que tu as à me reprocher, commença-t-il, si c’est que je ne t’aime plus comme autrefois.

      — Comme autrefois tu m’as aimée!… murmurai-je sous mon mouchoir, et СКАЧАТЬ