Haine d'amour. Daniel Lesueur
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Название: Haine d'amour

Автор: Daniel Lesueur

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066078973

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СКАЧАТЬ et détournait les yeux de Gilberte et de Vincent. Ils se sentirent plus éloignés l’un de l’autre. Alors ils se regardèrent, ils se parlèrent. Mais avec un regret de leur étrange et délicieuse angoisse...

      —C’est comme leur façon de comprendre la théorie de la main fixe, continuait le général. C’est très bien, la main fixe... Mais encore faut-il s’entendre!... Ça ne veut pas dire la main de bois, car alors, plantez-moi un crochet dans l’arçon de la selle et attachez-y les rênes, ça sera la même chose. La main parle à la bouche du cheval. Et comment une main de bois pourrait-elle parler?...

      —Mademoiselle, demanda Vincent à Gilberte, faites-vous aussi des contre-changements de main de deux pistes au galop?

      —Pas correctement, non, monsieur. Je n’y suis jamais arrivée.

      —Et tu n’y arriveras jamais, reprit le général. Une femme ne peut pas. C’est là qu’il en faut des jambes, pour le soutien de l’allure et pour les changements de pied!...

      Il s’interrompit.

      —Ah! dit-il, voici le maréchal.

      Vincent leva les yeux. Un cavalier, qu’il connaissait de vue, comme le connaissaient tous les habitués du Bois, venait à eux d’un pas tranquille. Tout de suite le jeune homme fut saisi par le respect un peu ému que lui inspirait cette maigre figure, d’une crânerie si élégante à cheval malgré ses quatre-vingts ans, et qui semblait résister à l’âge avec toute la puissante inertie de sa légendaire obstination.

      Cependant M. Méricourt eut, de côté, vers sa fille et M. de Villenoise, un coup d’œil rapide. Il hésita; puis, brusquement, dit à Vincent—mais d’une voix qui manquait de chaleur:

      —Désirez-vous que je vous présente?

      Le jeune homme comprit. Sa présence prolongée auprès de Mlle Méricourt allait devenir un sujet de remarques, non seulement pour les amis du général, mais pour tout ce monde assoiffé de cancans qui n’a pas en vain baptisé son point de ralliement dans le Bois matinal du nom de La Potinière.

      Aussitôt il prit congé, s’excusant même:

      —C’était si intéressant de vous écouter, mon général! Je ne voulais pas vous interrompre.

      —Ah! j’en ai bien d’autres à vous dire, cria gaiement M. Méricourt. Mais je vous repincerai. Venez donc un de ces matins, vers huit heures, me demander au Champ de Mars, au grand manège de l’École. Je vous montrerai ce que j’obtiens par le dressage à pied. Vous verrez... C’est très curieux.

      Après avoir, en la saluant, rencontré de nouveau le regard de Gilberte,—un long regard brun et doux qu’il emporta dans son cœur, comme l’autre soir il avait emporté dans sa poche, contre sa poitrine, le brin de réséda,—Vincent retourna en arrière et reprit la petite allée verte que tout à l’heure ils avaient suivie côte à côte.

      Oh! la charmante petite allée, si bien enclose de feuillage, et si peu à la mode, si dédaignée des promeneurs que les pas de leurs chevaux n’y seraient peut-être pas effacés jusqu’au soir! A y attarder ainsi sa rêverie, Vincent oubliait le mouvement de la vie mondaine qui s’agitait à peu de distance. Il se croyait au fond de son parc immense à Villenoise. Et il n’y était pas seul. De nouveau Gilberte y chevauchait à côté de lui. Le général aussi était là qui développait sa théorie de la main fixe. Oui, le général en personne. Car il ne gênait en rien l’espèce de mirage en train de se fixer dans l’esprit de Vincent. Ce brave cœur de vieux militaire, que l’on sentait si paternel, si dévoué à l’adoration de ses deux fillettes, donnait au contraire comme une consistance, une solidité, à l’espèce de tableau de famille qui s’esquissait dans l’imagination de M. de Villenoise. Une famille... Une femme, un père, un foyer... Étaient-ce donc ces choses dont le confus désir tourmentait, depuis le matin de la noce, celui qui avait été—tellement contre son gré—le garçon d’honneur de Robert Dalgrand? Étaient-ce donc ces choses qui prêtaient une signification plus profonde au charme de Gilberte, à ce charme fait de grâce et de fraîcheur morales autant que de grâce et de fraîcheur physiques?

      «Une famille!...» se dit Vincent, «Est-ce que j’en ai eu? Est-ce que j’en aurai jamais?»

      Sa mère?... Il se la rappelait à peine. Le seul souvenir qu’il conservât d’elle était celui des pleurs qu’elle versait en cachette, disant à son petit garçon: «Ne le raconte pas à ton père, que j’ai pleuré. Mais, vois-tu, mon pauvre enfant, avec ses idées d’inventeur, il nous mettra sur la paille.»

      Son père?... Eh bien, non, c’était plus fort que lui!... Quand il voulait penser au père Bertet, ce qui s’évoquait devant ses yeux c’était l’affiche énorme avec la bouteille de l’Apéritif.

      Voilà pour la famille dans le passé. Puis, lorsqu’il regardait l’avenir, il y apercevait... Sabine.

      Jusqu’à présent, il avait étouffé ses vagues regrets sous une ironie voulue à l’égard du mariage, de la fidélité des femmes et de la candeur des jeunes filles. En cherchant les mauvais côtés de la famille, il avait fini par ne plus voir que ceux-là. Et il triomphait de les découvrir plus nombreux que les bons, oubliant qu’il en est ainsi pour toutes les choses humaines. D’ailleurs, à force de dénigrer en face de lui-même aussi bien que devant les autres ce qu’il ne pouvait posséder, Vincent avait fini par croire, de bonne foi, qu’il conformait sa vie à ses théories, alors que c’étaient ses théories, au contraire, qu’il conformait aux nécessités et aux fatalités de son existence.

      De là vint son étonnement de tout ce qui s’éveilla en lui dès qu’il eut rencontré Gilberte.

      Il ne pouvait croire à ce qu’il éprouvait. Il ne se reconnaissait pas.

       Table des matières

      Comme M. de Villenoise s’y attendait, il trouva chez lui, à son retour du Bois, un mot de Sabine. Elle l’avait écrit dès son arrivée rue de la Pompe, pour appeler Vincent près d’elle le plus vite possible. Et elle comptait sur lui pour déjeuner.

      Le jeune homme changea de vêtements et partit à pied pour se rendre chez son amie.

      Il se mit en marche sans entrain, comme il l’avait prévu deux jours auparavant. Et tout de suite se déroula le décor de cette promenade tant de fois accomplie depuis six années. C’étaient les mêmes perspectives d’avenues élégantes, les mêmes carrefours qu’il coupait machinalement suivant une ligne identique, les mêmes jardinets où toutes les fleurs se tenaient droites comme dans les bouquets montés; et, là-haut, dans le ciel, c’étaient toujours les deux minarets du Trocadéro, qui semblaient à Vincent deux bornes immuables limitant et rétrécissant son rêve. Il reconnut encore, au bout de toutes les rues dans lesquelles son œil s’enfonçait, des pans découpés dans l’énorme charpente rougeâtre de la Tour Eiffel; tantôt l’assise d’un des piliers; tantôt une courbe de l’arête; et là-bas, à ce tournant qu’il reconnaissait, une brusque apparition d’ensemble: un grand spectre de fer, grêle et déchiqueté, tel que l’ossature d’un monument antédiluvien, construit par une race de géants disparue. Et, comme toutes les fois, le regard de Vincent monta de la base au faîte, s’obstinant СКАЧАТЬ