Название: Création et rédemption: Le docteur mystérieux
Автор: Alexandre Dumas
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066081614
isbn:
Mais ces soupçons de magie reposaient surtout sur des cures vraiment merveilleuses que le jeune médecin avait opérées par des moyens d'une simplicité extrême; beaucoup de malades condamnés et abandonnés par les autres praticiens avaient été sauvés par lui en si peu de temps, que les bienveillants criaient au miracle et que les ingrats et les curieux criaient au sortilège. Or, comme il y a plus d'ingrats et d'envieux que de bienveillants, le docteur avait pour ennemis, non seulement presque tous ceux à qui il avait fait du tort comme concurrent, mais encore tous ceux qu'il avait soulagés, secourus, guéris comme malades, et le nombre en était grand.
Les vieilles femmes qui n'étaient pas méchantes, et on en comptait cinq ou six dans Argenton, disaient de lui qu'il avait le bon œil. C'est en effet une croyance très répandue dans cette partie du Berri que certains individus naissent non seulement pour le bien ou le mal de leurs semblables, mais encore pour le bien ou le mal de la création, étendant leur influence jusque sur les animaux, les moissons et les autres productions de la terre. Quelques-uns, aux idées plus abstraites, attribuaient cette faculté surprenante de faire des miracles à un souffle de vie que le docteur projetait sur le front de ses malades; d'autres à certains gestes et à certaines paroles qu'il récitait tout bas; d'autres enfin à une connaissance approfondie de la nature humaine et de ses lois les plus obscures.
Toujours est-il que, si l'on différait sur la cause, nul ne contestait l'évidence des phénomènes, cette science s'étant exercée publiquement sur les hommes et sur les animaux.
Ainsi, un jour, un voiturier qui s'était endormi, comme cela arrive souvent, sur le siège mobile suspendu en avant de la roue de sa charrette, était tombé de ce siège, et ses chevaux, en continuant de marcher, lui avaient écrasé une cuisse sous la roue du gros véhicule qu'ils traînaient. Ce n'était pas une cuisse cassée, c'était une cuisse bel et bien écrasée. Les trois médecins d'Argenton s'étaient réunis, et, comme il n'y avait d'autre remède à l'horrible blessure que la désarticulation du col du fémur, c'est-à-dire une de ces opérations devant lesquelles reculent les plus habiles praticiens de la capitale, ils avaient décidé d'un commun accord d'abandonner le malade à la nature, c'est-à-dire à la gangrène, et à la mort qui ne pouvait manquer de la suivre.
C'est alors que le pauvre diable, comprenant la gravité de sa situation, avait appelé à son secours le docteur mystérieux. Celui-ci, étant accouru, avait déclaré l'opération grave, mais inévitable, et, en conséquence avait annoncé qu'il allait la tenter sans aucun retard. Les trois médecins lui avaient fait observer, à titre d'avis charitable, qu'à côté de la gravité de l'inévitable opération, il y avait la douleur physique pendant la durée de cette opération et la terreur morale qu'allait éprouver, l'opération terminée, le malade en voyant une partie de lui-même se détacher de lui sous le tranchant du bistouri.
Mais le docteur, à cette objection, s'était contenté de sourire, et, se rapprochant du blessé, l'avait regardé fixement en étendant la main vers lui, et, d'un ton impératif, lui avait commandé de dormir.
Les trois médecins s'étaient regardés en riant; éloignés de Paris, ils avaient bien entendu parler vaguement des phénomènes du mesmérisme, mais ils n'en avaient pas vu l'application. À leur grand étonnement, le malade alors, obéissant à l'ordre de dormir que lui avait donné le médecin, s'était endormi presque subitement. Le docteur lui avait pris la main, et lui avait demandé de sa voix douce, mais dans laquelle cependant était mêlée une nuance de commandement: «Dormez-vous?» Et, sur la réponse affirmative, il avait tiré sa trousse, choisi ses instruments, et, avec la même sérénité que s'il eût opéré sur un cadavre, il avait sur le corps insensible du blessé pratiqué l'effroyable opération; il avait demandé dix minutes, et, au bout de neuf minutes, montre à la main, le membre avait été détaché, emporté hors de la chambre, le linge taché de sang enlevé, le malade couché sur un autre lit; et, au grand étonnement des trois médecins, l'appareil posé, l'amputé s'était, sur l'ordre du docteur, réveillé en souriant.
La convalescence avait été longue; mais, lorsqu'elle fut complète et que le malade put se lever, il trouva un appareil préparé par le médecin lui-même, et à l'aide duquel, quoiqu'il eût perdu à peu près le quart de sa personne, il retrouva la faculté de se mouvoir.
Mais maintenant qu'allait faire ce malheureux, disaient non seulement les trois médecins qui avaient eu l'intention de le laisser mourir, mais encore bon nombre de personnes qui trouvent toujours quelque chose à redire aux événements et aux dénouements les mieux conduits? Ne valait-il pas mieux, en effet, laisser mourir le pauvre diable que de prolonger avec une infirmité pareille son existence de dix, vingt, trente années peut-être? Qu'allait-il faire? Vivrait-il d'aumônes, et serait-ce une charge de plus pour la commune déjà si pauvre?
Mais tout à coup on apprit par le receveur particulier, qui avait été avisé de cette décision par celui de la province, qu'une rente de trois cents livres était faite au pauvre diable, sans qu'on sût d'où lui venait cette rente et qui l'avait sollicitée.
Sans doute le blessé n'en savait pas plus que les autres sur le sujet; mais quand il parlait du docteur, c'était habituellement pour dire:
—Ah! quant à celui-là, ma vie lui appartient. Il n'a qu'à me la demander et je la lui donnerai de grand cœur.
Eh bien, chose presque incroyable pour quiconque ne connaîtrait pas le monde des petites villes, cette splendide cure fut une de celles qui firent le plus de tort au docteur dans la ville d'Argenton; les trois autres médecins ayant déclaré que peut-être eussent-ils pu sauver le malade en se servant des mêmes moyens, mais qu'ils aimaient mieux voir mourir un homme que de lui sauver la vie à pareil prix, attendu qu'ils regardaient l'âme d'un malade plus précieuse que son corps.
C'était la première fois que ces trois honnêtes praticiens parlaient de l'âme.
Un autre jour, jour de foire, un taureau furieux avait jeté le désordre dans le marché, et les cris des fuyards, femmes et enfants, étaient montés jusqu'au laboratoire du docteur, qui dominait la place. Le docteur avait mis alors la tête à sa fenêtre et avait vu ce dont il s'agissait. Tout fuyait devant l'animal furieux, qui venait d'éventrer un boucher, lequel avait eu l'audace de l'attendre une masse à la main. Lui était descendu alors précipitamment sans chapeau; ses beaux cheveux jetés au vent, les angles de la bouche plissés par cette volonté de fer qui était une des principales qualités ou un des principaux défauts de son caractère, il avait été se placer tout droit sur la route du taureau, l'appelant du geste. L'animal l'avait à peine aperçu, que, acceptant le défi, il s'était élancé sur lui la tête basse...
De sorte que son adversaire, n'ayant pas pu rencontrer son œil, avait été obligé de se jeter de côté pour éviter sa rencontre. Le taureau, emporté par sa course, l'avait dépassé de dix pas, puis s'était retourné, avait relevé la tête, et avait regardé de son œil sombre et profond l'audacieux lutteur qui venait lui présenter le combat. Mais un instant avait suffi, cet œil sombre et profond de l'animal avait rencontré l'œil fixe et dominateur СКАЧАТЬ