Voyage en Espagne. Theophile Gautier
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Название: Voyage en Espagne

Автор: Theophile Gautier

Издательство: Bookwire

Жанр: Книги о Путешествиях

Серия:

isbn: 4064066082253

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СКАЧАТЬ la disposition intérieure. Autour de l'arène, d'une grandeur vraiment romaine, règne une barrière circulaire en planches de six pieds de haut peinte en rouge sang de bœuf et garnie de chaque côté, à deux pieds de terre environ, d'un rebord en charpente, où les chulos et banderilleros posent le pied pour sauter de l'autre côté lorsqu'ils sont trop vivement pressés par le taureau. Cette barrière s'appelle las tablas. Elle est percée de quatre portes pour le service de la place, l'entrée des taureaux, l'enlèvement des cadavres, etc. Après cette barrière, il y en a une autre un peu plus élevée qui forme avec la première une espèce de couloir où se tiennent les chulos fatigués, le picador sobre-saliente (remplaçant), qui doit toujours être là tout habillé et tout caparaçonné au cas où son chef d'emploi serait blessé ou tué; le cachetero et quelques aficionados qui, à force de persévérance, parviennent, malgré les règlements, à se glisser dans ce bienheureux couloir dont les entrées sont aussi recherchées en Espagne que celles des coulisses de l'Opéra peuvent l'être à Paris.

      Comme il arrive souvent que le taureau exaspéré franchit la première barrière, la seconde est garnie en outre d'un réseau de cordes destinées à prévenir un autre élan; plusieurs charpentiers avec des haches et des marteaux se tiennent prêts à réparer les dommages qui peuvent en résulter pour les clôtures, en sorte que les accidents sont pour ainsi dire impossibles. Cependant l'on a vu des taureaux de muchas piernas (de beaucoup de jambes), comme on les appelle techniquement, franchir la seconde enceinte, comme en fait foi une gravure de la Tauromaquia de Goya, le célèbre auteur des Caprices, gravure qui représente la mort de l'alcade de Torrezon, misérablement embroché par un taureau sauteur.

      À partir de cette seconde enceinte commencent les gradins destinés aux spectateurs: ceux qui sont près des cordes s'appellent places de barrera, ceux du milieu tendido, et les autres qui sont adossés au premier rang de la grada cubierta, prennent le nom de tabloncillos. Ces gradins, qui rappellent ceux des amphithéâtres de Rome, sont en granit bleuâtre, et n'ont d'autre toiture que le ciel. Immédiatement après viennent les places couvertes, gradas cubiertas, qui se divisent ainsi: delantera, places de devant; centro, places du milieu; et tabloncillo, places adossées. Par-dessus, s'élèvent les loges appelées palcos et palcos por asientos, au nombre de cent dix. Ces loges sont très-grandes et peuvent contenir une vingtaine de personnes. Le palco por asientos offre cette différence avec le palco simple, qu'on y peut prendre une seule place, comme une stalle de balcon à l'Opéra. Les loges de la Reina Gobernadora y de la inocente Isabel sont décorées avec des draperies de soie et fermées par des rideaux. À côté se trouve la loge de l'ayuntamiento (municipalité), qui préside la place et doit résoudre les difficultés qui se présentent.

      Le cirque, ainsi distribué, contient douze mille spectateurs, tous assis à l'aise et voyant parfaitement, chose indispensable dans un spectacle purement oculaire. Cette immense enceinte est toujours pleine, et ceux qui ne peuvent se procurer des places de sombra (places à l'ombre) aiment encore mieux cuire tout vifs sur les gradins au soleil que de manquer une course. Il est de rigueur, pour les gens qui se piquent d'élégance, d'avoir leur loge aux Taureaux, comme à Paris, une loge aux Italiens.

      Quand je débouchai du corridor pour m'asseoir à ma place, j'éprouvai une espèce d'éblouissement vertigineux. Des torrents de lumière inondaient le cirque, car le soleil est un lustre supérieur qui a l'avantage de ne pas répandre d'huile, et le gaz lui-même ne l'effacera pas de longtemps. Une immense rumeur flottait comme un brouillard de bruit au-dessus de l'arène. Du côté du soleil palpitaient et scintillaient des milliers d'éventails et de petits parasols ronds emmanchés dans des baguettes de roseau; on eût dit des essaims d'oiseaux de couleurs changeantes essayant de prendre leur vol: il n'y avait pas un seul vide. Je vous assure que c'est déjà un admirable spectacle que douze mille spectateurs dans un théâtre si vaste que Dieu seul peut en peindre le plafond avec le bleu splendide qu'il puise à l'urne de l'éternité.

      La garde nationale à cheval, qui est fort bien montée et fort bien habillée, faisait le tour de l'arène, précédée de deux alguazils en costume, panache et chapeau à la Henri IV, justaucorps et manteau noirs, bottes à l'écuyère, et chassait devant elle quelques aficionados obstinés et quelques chiens retardataires. L'arène demeurée vide, les deux alguazils allèrent chercher les toreros, se composant des picadores, des chulos, des banderilleros et de l'espada, principal acteur du drame, qui firent leur entrée au son d'une fanfare. Les picadores montaient des chevaux dont les yeux étaient bandés, parce que la vue du taureau pourrait les effrayer et les jeter dans des écarts dangereux. Leur costume est très-pittoresque: il se compose d'une veste courte, qui ne se boutonne pas, de velours orange, incarnat, vert ou bleu, chargée de broderies d'or ou d'argent, de paillettes, de passequilles, de franges, de boutons en filigrane et d'agréments de toutes sortes, surtout aux épaulettes où l'étoffe disparaît complètement sous un fouillis lumineux et phosphorescent d'arabesques entrelacées; d'un gilet dans le même style, d'une chemise à jabot, d'une cravate bariolée et nouée négligemment, d'une ceinture de soie, et de pantalons de peau de buffle fauve rembourrés et garnis de tôle intérieurement, comme les bottes des postillons, pour défendre les jambes contre les coups de corne du taureau; un chapeau gris (sombrero) à bords énormes, à forme basse, enjolivé d'une énorme touffe de faveurs; une grosse bourse, ou cadogan, en rubans noirs, qui se nomme, je crois, moño, et qui réunit les cheveux derrière la tête, complètent l'ajustement. Le picador a pour arme une lance ferrée d'une pointe d'un ou deux pouces de longueur; ce fer ne peut pas blesser le taureau dangereusement, mais suffit pour l'irriter et le contenir. Un pouce de peau adapté à la main du picador empêche la lance de glisser; la selle est très-haute par devant et par derrière, et ressemble aux harnais bardés d'acier où s'enchâssaient, pour les tournois, les chevaliers du moyen âge; les étriers sont en bois et forment sabots, comme les étriers turcs; un long éperon de fer, aigu comme un poignard, arme le talon du cavalier; pour diriger les chevaux, souvent à moitié morts, un éperon ordinaire ne suffirait pas.

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