Название: Annette Laïs
Автор: Paul Feval
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066080730
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Je pense que je bâillai. Du moins, ma cousine se leva précipitamment et ordonna à Laroche de me conduire à mon appartement. Ce serait de l'effronterie, si je disais que je songeai longtemps à la bizarrerie de mon entrée dans la maison du président de Kervigné. J'avais trois jours et trois nuits de diligence dans la cervelle, et je m'endormis en tombant dans mon lit, absolument comme si j'avais soupé à la table d'une famille toute unie et pareille à la mienne. L'image d'Aurélie, ma nouvelle maman, ne vint pas du tout me visiter, quoique mes doigts gardassent son parfum comme si j'eusse manipulé du savon aux mille fleurs. Je m'endormis, Breton que j'étais, et, chose étrange, si un nom vibra à mon oreille au moment où je perdais connaissance, ce fut celui de cette fillette que mon cousin avait fait débuter au théâtre Beaumarchais, et qui sans doute allait lui coûter mille francs chez son marchand de meubles du faubourg Saint-Antoine: le nom d'Annette Laïs.
VII.
ANNETTE LAÏS.
Annette Laïs! Ce nom tintait encore dans l'air autour de moi quand je m'éveillai le lendemain matin, dans une chambre d'excellente tournure, commodément meublée, et dont les deux belles croisées donnaient sur les jardins de l'hôtel. De mon lit, je pouvais voir les arbres en pleine feuillaison que la brise matinale balançait. Je devais tout avoir à Paris, même des arbres.
Et je me disais:
«Les gens de Vannes se figurent qu'il n'y a point d'arbres à Paris. Je ne connaissais pas à Vannes d'acacias si grands ni de si gros tilleuls. Nos braves du Morbihan connaissent tous Paris à la façon de l'oncle Bélébon.»
Justice du ciel! ce souvenir de l'oncle Bélébon, qui avait tout l'esprit de la famille, me sembla dater du déluge. Vincent disparaissait pour moi à des distances incalculables. Je voyais mes deux tantes Kerfily-Nougat et Kerfily-Bel-Œil perdues tout au bout des lointaines perspectives du passé. Un siècle s'était écoulé depuis mon départ de Bretagne.
Pauvre bonne mère! Elle avait Charlot et Mimi qui devaient bien l'empêcher de me regretter! Et mon père! Ah! celui-là je l'entendais:
«A la soupe, saperbleure! Bon appétit, bonne conscience! Depuis mon dernier repas, je n'ai rien mangé! Apportez le potage, que je le mette dans mes bottes.»
Et ma sœur, jolie, mais un peu maussade; et le prudent abbé Raffroy, et ma pauvre vieille Renotte, vaillante comme un grenadier....
Annette Laïs! Ce nom inconnu me revenait comme ces tyranniques refrains qu'on voudrait chasser et qui vous obsèdent. Notez qu'en dehors du nom, il n'y avait rien pour moi; celle qui le portait ne m'inspirait ni intérêt ni curiosité. Je n'étais même pas comme ma cousine de Kervigné, qui avait envie de la voir.
«J'ai ordre de savoir si M. le chevalier prend du chocolat ou du café, prononça la belle voix du baryton Laroche à ma porte entre-baillée.
—Du café, répondis je, et envoyez-moi mon Breton.»
Laroche referma la porte.
Il fallut cela pour me rappeler ce qui aurait dû être ma préoccupation principale: ma conversation avec la présidente. Je n'aurais point su dire pourquoi j'avais répugnance à tourner mon souvenir de ce côté. Mes aventures du soir précédent se présentaient à moi comme une histoire à la fois biscornue et invraisemblable. Il y avait déception: j'avais compté sur une tante, et cette cousine, qui venait de passer ses vingt-huit ans, m'apparaissait ce matin sous une forme fantastique. Il n'y avait pas jusqu'à son bouquet violent qui n'eût pour moi odeur de fleurs fanées. Je ris pourtant un peu en songeant à Laroche, sa camériste, et aux entreprises intestines du président, mais j'aurais mieux aimé ne pas rire.
Joson Michais arriva avec ma tasse de café au lait. Il était tout blême.
«Quoique çâ, me dit-il d'une voix qui avait déjà perdu quelque chose de son redoutable mordant, comment que nous en vâ, dâ matin, monsié el chevâlier!
—Es-tu malade, Joson? lui demandai-je.
—Point d'en tout, éj'ne mens point.
—As-tu bien dormi dans ton écurie?
—Ah! dame, assez tout de même; c't'etchurie-là est plus plaisante qu'un logis.
—Qu'as-tu donc?
—Ej'vâs vous dire: ej'mennuie dans c'te Pâris, pour sûr et pour vrai, ah! mais dame oui!
—Mais tu ne l'as pas vu encore, ce Paris.
—Quoique çâ!»
Il tournait son grand chapeau entre ses doigts, et je vis qu'il pleurait.
«Ecoute, lui dis-je, si tu t'ennuies encore dans une semaine, je payerai ton voyage de retour.
—En vous remerciant, monsié el chevâlier, mais je n'ai point affaire d'argent, c'est la vérité. Lâ déligence an'me vâ pas plus que l'grand bourg. A vous ervoir tout de même, ah! dame, ej'men vâs!
—Attends à demain, tu auras des lettres pour ma famille.
—A vous ervoir! â vous ervoir!»
Il coiffa résolument son chapeau de Plouharnel et se sauva comme s'il eût craint d'être retenu par la force. Celui-là pouvait donner des renseignements sur Paris à l'oncle Bélébon. Je m'étonnai de ne pas rire; j'avais le cœur serré au point d'envier le sort de ce pauvre garçon qui s'en allait.
Aussitôt levé, je demandai ma cousine; mais il n'était pas jour chez elle. On me dit que le président était à l'hôtel; je voulus le voir; il travaillait, et sa porte était murée. Je sortis, afin de jeter un coup d'œil sur Paris. J'allai au hasard, longeant des rues interminables qui me semblèrent habitées par des pauvres et plus laides que les rues même de Vannes, la ville la plus laide de l'Europe. Une de ces rues, dont l'écriteau portait le nom de Sèvres, me conduisit tout droit à la campagne, au travers des fortifications qu'on achevait. Du haut du terre-plein, je vis un assez beau paysage, gâté par des usines. Le coteau de Meudon, qui riait au loin sous sa couronne de verdure, me parut comme un rempart élevé entre les tristesses suburbaines et la joie des vrais champs. Paris a ainsi, de tous côtés, sa hideuse enveloppe, qu'il faut percer pour y entrer comme pour en sortir. On pourra bien élargir les splendeurs de Paris, mais ce cercle navrant s'élargira de même. Quand Paris gigantesque ira jusqu'à Meudon, Meudon mettra une cheminée cylindrique à son château, qui crachera cette fumée noire, grasse, puante et salissante, haleine de l'industrie.
Je ne songeais pas à cela, je ne songeais à rien. Je n'éprouvais pas le mal du pays comme mon pauvre Joson, mais j'étais las, et mon intelligence subissait une sorte d'engourdissement. Parmi cette atonie, une guêpe bourdonnait, un refrain radotait, un son de cloche tintait sa note odieuse et monotone; tout cela, c'était un nom revenant avec l'absurde obstination d'un rêve de fiévreux, quoique je n'eusse pas la fièvre. Annette Laïs! me disait ma tête.
Je chassais ce nom comme on écarte une mouche, et, comme la mouche entêtée, il revenait précisément à la place d'où je l'avais chassé. L'exactitude de cette comparaison est frappante: ce nom me démangeait; j'aurais voulu le tuer.
C'était СКАЧАТЬ