Название: Les mille et une nuits: contes choisis
Автор: Anonyme
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066074821
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Zobéide dit aux deux dames en les abordant: Mes sœurs, ne voyez-vous pas que ce bonhomme succombe sous le fardeau qu'il porte? Qu'attendez-vous à le décharger? Alors Amine et Safie prirent le panier, l'une par devant et l'autre par derrière; Zobéide y mit aussi la main, et toutes les trois le posèrent à terre. Elles commencèrent à le vider, et quand cela fut fait, l'agréable Amine tira de l'argent et paya libéralement le porteur.
XXIIIE NUIT
Le porteur, reprit la sultane la nuit suivante, très-satisfait de l'argent qu'on lui avait donné, devait prendre son panier et se retirer; mais il ne put s'y résoudre: il se sentait, malgré lui, arrêter par le plaisir de voir trois beautés si rares, et qui lui paraissaient également charmantes; car Amine avait aussi ôté son voile et il ne la trouvait pas moins belle que les autres. Néanmoins la plupart des provisions qu'il avait apportées, comme les fruits secs et les différentes sortes de gâteaux et de confitures, ne convenaient proprement qu'à des gens qui voulaient boire et se réjouir.
Zobéide crut d'abord que le porteur s'arrêtait pour prendre haleine; mais voyant qu'il restait trop longtemps: Qu'attendez-vous? lui dit-elle, n'êtes-vous pas payé suffisamment? Ma sœur, ajouta-t-elle, en s'adressant à Amine, donnez-lui encore quelque chose; qu'il s'en aille content. Madame, répondit le porteur, ce n'est pas cela qui me retient; je ne suis que trop payé de ma peine. Je vois bien que j'ai commis une incivilité en demeurant ici plus que je ne devais; mais j'espère que vous aurez la bonté de la pardonner à l'étonnement où je suis de ne voir aucun homme dans cette maison.
Les dames se prirent à rire du raisonnement du porteur. Après cela, Zobéide lui dit, d'un air sérieux: Mon ami, vous poussez un peu trop loin votre indiscrétion; mais, quoique vous ne méritiez pas que j'entre dans aucun détail avec vous, je veux bien toutefois vous dire que nous sommes trois sœurs, qui faisons si secrètement nos affaires, que personne n'en sait rien. Nous avons un trop grand sujet de craindre d'en faire part à des indiscrets; et un bon auteur que nous avons lu dit: Garde ton secret et ne le révèle à personne: qui le révèle n'en est plus le maître. Si ton sein ne peut contenir ton secret, comment le sein de celui à qui tu l'auras confié pourra-t-il le contenir?
Mesdames, reprit le porteur, à votre air seulement j'ai jugé d'abord que vous étiez des personnes d'un mérite très-rare, et je m'aperçois que je ne me suis pas trompé. Quoique la fortune ne m'ait pas donné assez de biens pour m'élever à une profession au-dessus de la mienne, je n'ai pas laissé de cultiver mon esprit, autant que je l'ai pu, par la lecture des livres de science et d'histoire, et vous me permettrez, s'il vous plaît, de vous dire que j'ai lu aussi dans un autre auteur une maxime que j'ai toujours heureusement pratiquée: Nous ne cachons notre secret, dit-il, qu'à des gens reconnus de tout le monde pour des indiscrets, qui abuseraient de notre confiance; mais nous ne faisons nulle difficulté de le découvrir aux sages, parce que nous sommes persuadés qu'ils sauront le garder. Le secret chez moi est dans une aussi grande sûreté que s'il était dans un cabinet dont la clef fût perdue et la porte bien scellée.
Zobéide connut que le porteur ne manquait pas d'esprit; mais jugeant qu'il avait envie d'être du régal qu'elles voulaient se donner, elle lui repartit en souriant: Vous savez que nous nous préparons à nous régaler; mais vous savez en même temps que nous avons fait une dépense considérable, et il ne serait pas juste que, sans y contribuer, vous fussiez de la partie. La belle Safie appuya le sentiment de sa sœur. Mon ami, dit-elle au porteur, n'avez-vous jamais ouï dire ce que l'on dit assez communément: Si vous apportez quelque chose, vous serez quelque chose avec nous; si vous n'apportez rien, retirez-vous avec rien?
Le porteur, malgré sa rhétorique, aurait peut-être été obligé de se retirer avec confusion, si Amine, prenant fortement son parti, n'eût dit à Zobéide et à Safie: Mes chères sœurs, je vous conjure de permettre qu'il demeure avec nous: il n'est pas besoin de vous dire qu'il nous divertira, vous voyez bien qu'il en est capable. Je vous assure que, sans sa bonne volonté, sa légèreté et son courage à me suivre, je n'aurais pu venir à bout de faire tant d'emplettes en si peu de temps.
A ces paroles d'Amine, le porteur, transporté de joie, se laissa tomber sur les genoux, baisa la terre aux pieds de cette charmante personne, et en se relevant: Mon aimable dame, lui dit-il, vous avez commencé aujourd'hui mon bonheur; vous y mettez le comble par une action si généreuse; je ne puis assez vous témoigner ma reconnaissance. Au reste, mesdames, ajouta-t-il en s'adressant aux trois sœurs ensemble, puisque vous me faites un si grand honneur, ne croyez pas que j'en abuse et que je me considère comme un homme qui le mérite; non, je me regarderai toujours comme le plus humble de vos esclaves. En achevant ces mots, il voulut rendre l'argent qu'il avait reçu; mais la grave Zobéide lui ordonna de le garder. Ce qui est une fois sorti de nos mains, dit-elle, pour récompenser ceux qui nous ont rendu service, n'y retourne plus.
XXIVE NUIT
Zobéide, reprit la sultane, ne voulut donc point reprendre l'argent du porteur. Mon ami, lui dit-elle, en consentant que vous demeuriez avec nous, je vous avertis que ce n'est pas seulement à condition que vous garderez le secret que nous avons exigé de vous: nous prétendons encore que vous observiez exactement les règles de la bienséance et de l'honnêteté. Pendant qu'elle tenait ce discours, la charmante Amine quitta son habillement de ville, attacha sa robe à sa ceinture pour agir avec plus de liberté et prépara la table, elle servit plusieurs sortes de mets, et mit sur un buffet des bouteilles de vin et des tasses d'or. Après cela les dames se placèrent et firent asseoir à leur côté le porteur, qui était satisfait, au delà de tout ce qu'on peut dire, de se voir à table avec trois personnes d'une beauté si extraordinaire.
Après les premiers morceaux, Amine, qui s'était placée près du buffet, prit une bouteille et une tasse, se versa à boire et but la première, suivant la coutume des Arabes. Elle versa ensuite à ses sœurs, qui burent l'une après l'autre; puis, remplissant pour la quatrième fois la même tasse, elle la présenta au porteur, lequel, en la recevant, baisa la main d'Amine et chanta, avant que de boire, une chanson dont le sens était que, comme le vent emporte avec lui la bonne odeur des lieux parfumés par où il passe, de même le vin qu'il allait boire, venant de sa main, en recevait un goût plus exquis que celui qu'il avait naturellement. Cette chanson réjouit les dames, qui chantèrent à leur tour. Enfin, la compagnie fut de très-bonne humeur pendant le repas, qui dura fort longtemps et fut accompagné de tout ce qui pouvait le rendre agréable.
Le jour allait bientôt finir, lorsque Safie, prenant la parole au nom des trois dames, dit au porteur: Levez-vous, partez, il est temps de vous retirer. Le porteur, ne pouvant se résoudre à les quitter, répondit: Eh! mesdames, où me commandez-vous d'aller en l'état où je suis: je ne retrouverai jamais le chemin de ma maison. Donnez-moi la nuit pour me reconnaître, je la passerai où il vous plaira.
Amine prit une seconde fois le parti du porteur. Mes sœurs, dit-elle, il a raison; je lui sais bon gré de la demande qu'il nous fait. Il nous a assez bien diverties: si vous voulez m'en croire, ou plutôt si vous m'aimez autant que j'en suis persuadée, nous le retiendrons pour passer la soirée avec nous. Ma sœur, dit Zobéide, nous ne pouvons rien refuser à votre prière. Porteur, continua-t-elle en s'adressant à lui, nous voulons bien encore vous faire cette grâce; mais nous y mettons une nouvelle condition. Quoi que nous puissions faire en votre présence, par rapport à nous ou à autre chose, gardez-vous bien d'ouvrir seulement la bouche pour nous en demander la raison; car, en nous faisant des questions sur des choses qui ne vous regardent nullement, vous pourriez entendre ce qui ne vous plairait pas. Prenez-y garde, et ne vous avisez pas d'être trop curieux, en voulant approfondir les motifs de nos actions.
Madame, repartit le porteur, je vous promets d'observer cette condition avec tant d'exactitude, que vous n'aurez pas lieu de me reprocher d'y СКАЧАТЬ