Название: Son Excellence Eugène Rougon
Автор: Emile Zola
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066086770
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Mme Bouchard se tourna tout d'un coup, en criant:
«Oh! monsieur Rougon, venez donc voir!» Et, comme Rougon se hâtait de quitter le colonel pour obéir, Du Poizat, qui avait suivi la jeune femme, se retira discrètement, alla rejoindre M. Kahn à la fenêtre du milieu.
«Tenez, ce bateau chargé de briques, qui a failli sombrer», racontait Mme Bouchard.
Rougon resta là complaisamment, au soleil, jusqu'à ce que M. d'Escorailles, sur un nouveau regard de la jeune femme, lui dît:
«M. Bouchard veut donner sa démission. Nous l'avons amené pour que vous le raisonniez.» Alors, M. Bouchard expliqua que les injustices le révoltaient.
«Oui, monsieur Rougon, j'ai commencé par être expéditionnaire à l'Intérieur, et je suis arrivé au poste de chef de bureau, sans rien devoir à la faveur ni à l'intrigue.... Je suis chef de bureau depuis 47. Eh bien, le poste de chef de division a déjà été cinq fois vacant, quatre fois sous la république, et une fois sous l'empire, sans que le ministre ait songé à moi, qui avais des droits hiérarchiques.... Maintenant vous n'allez plus être là pour tenir la promesse que vous m'aviez faite, et j'aime mieux me retirer.» Rougon dut le calmer. La place n'était toujours pas donnée à un autre; si elle lui échappait cette fois encore, ce ne serait qu'une occasion perdue, une occasion qui se retrouverait certainement. Puis, il prit les mains de Mme Bouchard, en la complimentant d'un air paternel. La maison du chef de bureau était la première qui l'eût accueilli, lors de son arrivée à Paris. C'était là qu'il avait rencontré le colonel, cousin germain du chef de bureau. Plus tard, lorsque M. Bouchard hérita de son père, à cinquante-quatre ans, et se trouva tout d'un coup mordu du désir de se marier, Rougon servit de témoin à Mme Bouchard, née Adèle Desvignes, une demoiselle très bien élevée, d'une honorable famille de Rambouillet. Le chef de bureau avait voulu une jeune fille de province, parce qu'il tenait à l'honnêteté. Adèle, blonde, petite, adorable, avec la naïveté un peu fade de ses yeux bleus, en était à son troisième amant, au bout de quatre ans de mariage.
«Là, ne vous tourmentez pas, dit Rougon qui lui serrait toujours les poignets dans ses grosses mains. Vous savez bien qu'on fait tout ce que vous voulez.... Jules vous dira ces jours-ci où nous en sommes.» Et il prit à part M. d'Escorailles, pour lui annoncer qu'il avait écrit le matin à son père, afin de le tranquilliser. Le jeune auditeur devait conserver tranquillement sa situation. La famille d'Escorailles était une des plus anciennes familles de Plassans, où elle jouissait de la vénération publique. Aussi Rougon, qui autrefois avait traîné des souliers éculés devant l'hôtel du vieux marquis, père de Jules, mettait-il son orgueil à protéger le jeune homme. La famille gardait un culte dévot pour Henri V, tout en permettant que l'enfant se ralliât à l'empire. C'était un résultat de l'abomination des temps.
A la fenêtre du milieu, qu'ils avaient ouverte pour mieux s'isoler, M. Kahn et Du Poizat causaient, en regardant au loin les toits des Tuileries, qui bleuissaient dans une poussière de soleil. Ils se tâtaient, ils lâchaient des mots coupés par de grands silences. Rougon était trop vif. Il n'aurait pas dû se fâcher, à propos de cette affaire Rodriguez, si facile à arranger. Puis, les yeux perdus, M. Kahn murmura, comme se parlant à lui-même:
«On sait que l'on tombe, on ne sait jamais si l'on se relèvera.» Du Poizat feignit de n'avoir pas entendu. Et, longtemps après, il dit:
«Oh! c'est un garçon très fort.» Alors, le député se tourna brusquement, lui parla très vite, dans la figure.
«Là, entre nous, j'ai peur pour lui. Il joue avec le feu.... Certes, nous sommes ses amis, et il n'est pas question de l'abandonner. Je tiens à constater seulement qu'il n'a guère songé à nous, dans tout ceci.... Ainsi moi, par exemple, j'ai entre les mains des intérêts énormes qu'il vient de compromettre par son coup de tête. Il n'aurait pas le droit de m'en vouloir, n'est-ce pas? si j'allais maintenant frapper à une autre porte: car, enfin, ce n'est pas seulement moi qui souffre, ce sont aussi les populations.
—Il faut frapper à une autre porte», répéta Du Poizat avec un sourire.
Mais l'autre, pris d'une colère subite, lâcha la vérité.
«Est-ce que c'est possible!... Ce diable d'homme vous fâche avec tout le monde. Quand on est de sa bande, on a une affiche dans le dos.» Il se calma, soupirant, regardant du côté de l'Arc de Triomphe, dont le bloc de pierre grisâtre émergeait de la nappe verte des Champs-Élysées. Il reprit doucement:
«Que voulez-vous? moi, je suis d'une fidélité bête.» Le colonel, depuis un instant, se tenait debout derrière ces messieurs.
«La fidélité est le chemin de l'honneur», dit-il de sa voix militaire.
Du Poizat et M. Kahn s'écartèrent pour faire place au colonel, qui continua:
«Rougon contracte aujourd'hui une dette envers nous. Rougon ne s'appartient plus.» Ce mot eut un succès énorme. Non, certes, Rougon ne s'appartenait plus. Et il fallait le lui dire nettement, pour qu'il comprît ses devoirs. Tous trois baissèrent la voix, complotant, se distribuant des espérances. Parfois, ils se retournaient, ils jetaient un coup d'œil dans la vaste pièce, pour voir si quelque ami n'accaparait pas trop longtemps le grand homme.
Maintenant, le grand homme ramassait les dossiers, tout en continuant de causer avec Mme Bouchard.
Cependant, dans le coin où ils étaient restés silencieux et gênés jusque-là, les Charbonnel se disputaient. A deux reprises, ils avaient tenté de s'emparer de Rougon, qui s'était laissé enlever par le colonel et la jeune femme. M. Charbonnel finit par pousser Mme Charbonnel vers lui.
«Ce matin, balbutia-t-elle, nous avons reçu une lettre de votre mère...» Il ne la laissa pas achever. Il emmena lui-même les Charbonnel dans l'embrasure de droite, lâchant une fois encore les dossiers, sans trop d'impatience.
«Nous avons reçu une lettre de votre mère», répéta Mme Charbonnel.
Et elle allait lire la lettre, lorsqu'il la lui prit pour la parcourir d'un regard. Les Charbonnel, anciens marchands d'huile de Plassans, étaient les protégés de Mme Félicité, comme on nommait dans sa petite ville la mère de Rougon. Elle les lui avait adressés à l'occasion d'une requête qu'ils présentaient au conseil d'État.
Un de leurs petits-cousins, un sieur Chevassu, avoué à Faverolles, le chef-lieu d'un département voisin, était mort en laissant une fortune de cinq cent mille francs aux sœurs de la Sainte-Famille. Les Charbonnel, qui n'avaient jamais compté sur l'héritage, devenus brusquement héritiers par la mort d'un frère du défunt, crièrent alors à la captation; et comme la communauté demandait au conseil d'État d'être autorisée à accepter le legs, ils quittèrent leur vieille demeure de Plassans, ils accoururent à Paris se loger rue Jacob, hôtel du Périgord, pour suivre leur affaire de près. Et l'affaire traînait depuis six mois.
«Nous sommes bien tristes, soupirait Mme Charbonnel, pendant que Rougon lisait la lettre. Moi, je ne voulais pas entendre parler de ce procès, mais M. Charbonnel répétait qu'avec vous c'était tout argent gagné, que vous n'aviez qu'un mot à dire pour nous mettre les cinq cent mille francs dans la poche.... N'est-ce pas, monsieur Charbonnel?» L'ancien marchand d'huile branla désespérément la tête.
«C'était un chiffre, continua СКАЧАТЬ