Название: La main froide
Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066086527
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Paul continuait à jouer de la fourchette, sans lever les yeux. Sa mère, qui aurait voulu l'entendre manifester des velléités conjugales, dut se contenter de répondre à Bardin:
—Vous devriez lui trouver ça.
Et Bardin, qui ne restait jamais court, répliqua sans broncher:
—Autrefois, je n'aurais pas dit: non… du temps où je voyais tant de gens défiler dans mon cabinet. Maintenant je ne donne plus de consultations qu'à des amis. J'ai remercié ma clientèle… un peu à contre-cœur… j'y ai renoncé à cause de Charles… le père d'un magistrat ne doit pas recevoir d'honoraires du premier venu.
—Mais vous avez gardé d'excellentes relations avec vos anciens clients et, dans le nombre, il doit s'en trouver qui ont des filles à marier. Paul aura six cent mille francs après moi, et je lui en donnerai la moitié le jour de la signature du contrat.
—Avec ça et ses qualités physiques et morales, il ne tiendra qu'à lui d'épouser une héritière… car il est plein de qualités, ce mauvais garnement…
—Vous êtes bien bon, monsieur Bardin, murmura Paul, en souriant.
—Je te dis tes vérités, voilà tout. Le diable c'est que, pour le moment, je ne connais pas d'héritières…
—Oh! je ne suis pas pressé.
—Je te crois sans peine, mais ta mère l'est, pressée, et si je pouvais l'aider à te caser avantageusement, je m'y emploierais volontiers,…
Le bonhomme s'arrêta tout à coup, en se frappant le front:
—Mais où ai-je la tête? s'écria-t-il; décidément, je vieillis, car je perds la mémoire… à moins que ce ne soit le Xérès de ta maman qui m'obscurcisse les idées… verse m'en tout de même un dernier verre… là! c'est bien… maintenant, mon garçon, j'ai ton affaire… une jeune orpheline qui doit avoir tout au plus vingt et un ans et qui est l'unique héritière d'une fortune de six millions.
—C'est superbe! dit ironiquement Paul, et pour peu qu'avec cela elle soit jolie…
—On dit qu'elle est charmante.
—Comment! on dit?… vous ne la connaissez donc pas?
—Je ne l'ai jamais vue… mais j'ai vu les titres qui établissent son droit à l'héritage en question… je sais où il est, en quoi il consiste et ce qu'il faut faire pour qu'elle soit envoyée en possession.
—Vous êtes admirablement renseigné. Il ne vous reste plus qu'à m'apprendre où se trouve cette merveille.
L'ancien avocat prit un temps, comme on dit au Palais, aussi bien qu'au théâtre et, après cette pause, il répondit gravement:
—Si je le savais, je t'aurais déjà présenté à elle.
Paul, pour le coup, éclata de rire et madame Cormier fit une moue significative. Elle trouvait mauvais que son vieil ami se permît de plaisanter à propos du mariage de son fils.
—Ris, mon garçon, reprit Bardin, ris tant que tu voudras. C'est très sérieux et vous, ma chère Julie, vous avez tort de vous fâcher. Mon héritière existe. Voulez-vous que je vous raconte son histoire?
—Racontez, monsieur Bardin!… racontez!… dit Paul, toujours pouffant.
—Mon ami, ajouta madame Cormier, vous auriez dû commencer par là.
—C'est vrai, répondit le vieil avocat, j'ai mis la péroraison avant l'exorde, mais quand on cause à table, on ne parle pas comme à l'audience. Je regrette ma bévue et je vais la réparer. Je la regrette d'autant plus que je vous ai mis l'eau à la bouche et qu'il faudra en rabattre…
—Bon! s'écria Paul, il y a une tare… je vois ça d'ici… la jeune héritière a commis une faute… et…
—Pour qui me prends-tu? interrompit sévèrement Bardin. Est-ce que tu te figures que j'ai vécu soixante ans de la vie d'un honnête homme pour me charger à mon âge de trouver un drôle disposé à vendre son nom en reconnaissant l'enfant d'un autre?…
—Non, certainement, monsieur Bardin… mais…
—Tu n'es qu'un étourneau… apprends à tenir ta langue… surtout quand tu parles à un ami de tes parents.
—Excusez-moi… j'avais cru que vous plaisantiez…
—Tais-toi!… pour te punir d'avoir dit une sottise, je devrais garder pour moi mes renseignements.
—Mon cher Bardin, moi, je ne vous ai pas offensé, dit doucement madame
Cormier.
Il n'en fallut pas davantage pour que le vieillard s'apaisât.
—C'est juste, dit-il, et nous ne nous fâcherons pas pour si peu. Voici l'histoire que je vous ai promise. Elle est peut-être invraisemblable, mais elle est vraie. J'ai toutes les preuves entre les mains, certifiées par un homme d'une honorabilité incontestable.
Il y a quatre ans vivait dans un village du département de l'Hérault…, à Fabrègues…, une brave femme que son mari avait abandonnée depuis dix ans… elle était restée sans ressources avec une petite fille et elles seraient peut-être mortes de faim toutes les deux si une demoiselle d'une très bonne famille de Montpellier ne s'était intéressée à elles. Les parents de cette demoiselle avaient, tout près de Fabrègues, un château où ils passaient tous les étés. Ils recueillirent la petite abandonnée et ils la firent élever avec leur fille. On n'avait aucune nouvelle du mari. On savait vaguement qu'il était allé chercher fortune en Californie, mais rien de plus.
—Je devine, s'écria Paul; il l'a trouvée là-bas la fortune… il vient de mourir et alors…
—Alors, quoi?… ce n'était pas la peine de m'interrompre pour dire ce que n'importe qui aurait deviné comme toi.
Paul, ainsi rabroué, baissa le nez et ne dit plus mot.
—Oui, le père est mort, reprit le vieil avocat, sa succession est liquide et revient tout entière à sa fille unique. La mère aussi est morte, deux ans avant son mari. La fille est donc bien et dûment six fois millionnaire. Seulement…
Et comme Bardin, encore une fois, s'était arrêté au moment le plus intéressant, madame Cormier ne put pas s'empêcher de dire:
—Eh! bien?
—Seulement, on ne sait pas où elle est.
—Comment! que nous dites-vous là!
—La vérité, chère amie. Elle a disparu.
—Elle est peut-être allée en Californie comme son père, ricana l'incorrigible Paul.
—Elle a disparu, quelques jours avant le mariage de sa jeune protectrice qui, elle aussi, avait perdu ses parents et qui l'avait prise chez elle comme lectrice.
—Alors, СКАЧАТЬ