Nouvelles mille et une nuits. Robert Louis Stevenson
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Читать онлайн книгу Nouvelles mille et une nuits - Robert Louis Stevenson страница 8

Название: Nouvelles mille et une nuits

Автор: Robert Louis Stevenson

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066086077

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СКАЧАТЬ sentait pas plus méchant qu'auparavant; ses bonnes qualités lui revenaient sans avoir subi d'atteintes apparentes; il se hâtait même de réparer le mal accompli par Hyde quand cela était possible. De cette façon il se tranquillisait.

      «Je n'ai nul dessein d'entrer dans le détail des infamies dont je me rendais complice (quant à les avoir commises moi-même, je ne puis aujourd'hui encore l'admettre). Je ne veux qu'indiquer les avertissements que je reçus et les degrés de mon châtiment. Une fois, je courus un véritable danger. Un acte de cruauté contre une enfant excita contre moi la colère de la foule, qui m'eût déchiré, je crois, si je n'avais pas apaisé la famille de ma petite victime en lui remettant un chèque au nom d'Henry Jekyll. Ceci me donna l'idée d'avoir un compte dans une autre banque au nom d'Edward Hyde, et quand, en altérant mon écriture, j'eus pourvu mon double d'une signature, je me crus de nouveau à l'abri du destin.

      «Deux mois environ avant le meurtre de sir Danvers Carew, j'étais allé courir les aventures. Rentré fort tard, je m'éveillai le lendemain avec des sensations bizarres. Ce fut en vain que je regardai autour de moi, en reconnaissant les belles proportions et le mobilier décent de ma chambre du square, le dessin des rideaux, la forme du lit d'acajou où j'étais couché. Quelque chose me laissait convaincu que je n'étais pas réellement où je croyais être, mais bien dans mon galant réduit de Soho, où j'avais coutume de dormir sous le masque d'Edward Hyde. Je me mis à rire de cette illusion et, toujours curieux de psychologie, à en chercher les causes. Par intervalles, toutefois, le sommeil m'emportait, interrompant ma rêverie, que je reprenais ensuite. Dans un moment lucide, mon regard tomba sur ma main à demi fermée. Or la main de Jekyll, vous l'avez souvent remarqué, était une main professionnelle de forme et de dimensions, une grande main blanche, ferme et bien faite, tandis que la main qui m'apparaissait distinctement sur les draps, à la clarté jaunissante d'une matinée de Londres, était d'une pâleur brune, maigre, osseuse, avec de gros nœuds et couverte partout d'un épais duvet noir. Cette main velue était la main d'Edward Hyde.

      «Je dus la contempler fixement pendant près d'une minute, abasourdi comme je l'étais, jusqu'à ce que l'effroi éclatât dans mon sein avec un fracas de cymbales. Bondissant hors du lit, je courus à mon miroir. Au spectacle qui frappa mes yeux, tout le sang de mes veines se glaça. Oui, je m'étais couché sous la forme de Jekyll, et c'était Hyde qui s'éveillait. Comment expliquer ce phénomène?... Comment y remédier?... Nouvelles terreurs. La matinée était avancée déjà, les domestiques devaient être tous levés, et mes drogues se trouvaient dans le cabinet. Il me fallait faire un voyage pour les atteindre, descendre l'escalier, traverser la cour. Sans doute, je pourrais dissimuler mon visage, mais à quoi bon, puisque je ne pouvais cacher de même le changement de stature? Enfin, je me rappelai que mes gens étaient habitués déjà à voir aller et venir mon second moi, et j'éprouvai là-dessus une sensation délicieuse de soulagement. Je fus vite prêt; dans des habits à la taille du docteur, je traversai la maison, où le valet de pied recula ébahi en reconnaissant M. Hyde à pareille heure et si singulièrement accoutré. Dix minutes après, le docteur Jekyll, revenu à sa première forme, s'asseyait assez sombre devant un déjeuner qu'il ne mangeait que du bout des lèvres.

      «J'avais assurément peu d'appétit; cet accident inexplicable renversait toutes mes expériences et semblait, comme le doigt qui écrivit sur le mur durant l'orgie babylonienne, tracer ma condamnation. Je commençai à réfléchir plus sérieusement que je ne l'avais encore fait aux possibilités de ma double existence. Cette partie de moi-même, que j'avais le pouvoir de projeter au dehors, avait été, depuis quelque temps, terriblement exercée; il me sembla qu'elle grandissait, que le sang circulait plus vif dans les veines de Hyde, et je commençai à entrevoir le péril d'un renversement de la balance. Que ferais-je si le pouvoir du changement volontaire m'échappait, si le caractère d'Edward Hyde allait devenir le mien irrévocablement? La vertu de la drogue ne se manifestait pas toujours d'une façon égale. Une fois, au commencement, elle m'avait fait défaut; depuis, il m'avait fallu, en plus d'une circonstance, doubler et même tripler la dose, au risque d'en mourir. Ces incertitudes assombrissaient quelque peu mon contentement, qui eut été parfait sans elles. Maintenant, à la lumière de cet accident matinal, je fus conduit à remarquer que la difficulté qui avait été, au commencement, de me débarrasser du corps de Jekyll, s'était transférée peu à peu du côté opposé. Il devenait clair que je perdais lentement possession de mon premier moi, le meilleur, et que je m'incorporais de plus en plus à mon second moi, le pire. Entre les deux, je devais faire un choix. Mes deux natures avaient en commun la mémoire, mais toutes les autres facultés étaient fort inégalement réparties entre elles. Jekyll (qui était composite) prenait part aux aventures de Hyde, tantôt avec appréhension, tantôt avec curiosité; mais Hyde était fort indifférent à Jekyll et ne se souvenait de lui que comme le brigand se rappelle la caverne où il se cache et déjoue les poursuites.

      «Faire cause, commune avec Jekyll, c'était renoncer à ces appétits que j'avais longtemps caressés en secret et auxquels, depuis peu, je m'abandonnais éperdument. Préférer Hyde, c'était mourir à mille intérêts et à mille aspirations qui m'étaient chers, c'était devenir d'un coup méprisable, c'était perdre mes amis. Le marché peut paraître inégal, mais il y avait encore une autre considération dans la balance: tandis que Jekyll souffrirait cruellement de l'abstinence, Hyde ne se rendrait même pas compte de ce qu'il avait perdu. Si particulier que fût mon cas, les termes de ce débat étaient vieux comme l'homme lui-même: des tentations, des alarmes identiques assiègent le premier pécheur venu, et il en fut pour moi comme pour le grand nombre de mes semblables. Je choisis la meilleure part, et puis manquai de force pour m'y tenir.

      «Oui, je donnai la préférence au docteur déjà vieux et contrarié dans ses passions, mais entouré d'amitiés honorables et rempli d'intentions généreuses; je dis un adieu résolu à la liberté, à une jeunesse relative, aux impulsions ardentes et aux secrètes débauches; mais peut-être apportai-je dans ce choix quelques réserves inconscientes, car je ne renonçai pas à ma maison de Soho, et je gardai les vêtements d'Edward Hyde, préparés pour tout événement, dans mon cabinet. Pendant deux mois, cependant, je fus fidèle à ma détermination; pendant deux mois, je pratiquai une austérité à laquelle jamais, jusque-là, je n'avais pu atteindre, et je jouis des compensations que procure la paix de la conscience. Mais le temps finit par atténuer mes craintes, des désirs frénétiques me torturèrent, comme si Hyde eût réclamé la liberté; enfin, dans une heure de faiblesse morale, j'avalai de nouveau la liqueur transformatrice.

      «De même que l'ivrogne, quand il raisonne avec lui-même sur son vice, n'est pas, une fois sur cinq cents, frappé des dangers qu'il court par suite de son inconscience de brute, je n'avais jamais, en considérant ma position, tenu compte suffisamment de la complète insensibilité morale, de la propension perpétuelle à mal faire qui dominait chez Hyde. Ce fut par là cependant que je fus puni. Mon démon avait été longtemps en cage, il s'échappa rugissant. Au moment même où je bus, je me sentis plus furieusement porté au crime que par le passé. Une tempête d'impatience bouillonnait en moi. Sur une imperceptible provocation, je m'emportai comme aucun homme pourvu de sens n'aurait pu le faire, je frappai un vieillard inoffensif sans plus de motifs que ceux qu'un enfant gâté peut avoir pour casser son joujou. Volontairement, je m'étais dessaisi de ces instincts qui maintiennent une sorte d'équilibre chez les plus mauvais d'entre nous; pour moi, être tenté, la tentation fut-elle légère, c'était succomber aussitôt. L'esprit infernal me poussant, je m'abandonnai à une rage meurtrière, et ce ne fut que la lassitude qui mit fin au terrible accès de délire dont le résultat fut la mort de sir Danvers Carew. Tout à coup, mon cœur se glaça d'effroi; je compris qu'il y allait de ma vie, et, fuyant le théâtre du meurtre, je ne songeai plus qu'à me mettre en sûreté.

      «Je courus à ma maison de Soho et je détruisis mes papiers; puis je commençai d'errer par les rues, à la fois fier de mon crime et tremblant d'en subir les conséquences, rêvant d'en commettre de nouveaux, et l'oreille tendue, néanmoins, au bruit des pas du vengeur qui devait me poursuivre. Hyde avait une chanson cynique sur les lèvres en mêlant sa drogue, et il la but à la santé du mort. СКАЧАТЬ