La Débâcle. Emile Zola
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Название: La Débâcle

Автор: Emile Zola

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066086398

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СКАЧАТЬ et arrêtaient les lignes de fantassins. Des brigades entières durent attendre pendant une heure, l'arme au pied. Et le pis, ce fut qu'un épouvantable orage éclata, dix minutes à peine après le départ, une pluie diluvienne qui trempa les hommes jusqu'aux os, alourdissant sur leurs épaules le sac et la capote. Le 106e, pourtant, avait pu se remettre en marche, comme la pluie cessait; tandis que, dans un champ voisin, des zouaves, forcés d'attendre encore, avaient trouvé, pour prendre patience, le petit jeu de se battre à coups de boules de terre, des paquets de boue dont l'éclaboussement, sur les uniformes, soulevait des tempêtes de rire.

      Presque aussitôt, le soleil reparut, un soleil triomphal, dans la chaude matinée d'août. Et la gaieté revint, les hommes fumaient comme une lessive, étendue au grand air: très vite ils furent secs, pareils à des chiens crottés, retirés d'une mare, plaisantant des sonnettes de fange durcie qu'ils emportaient à leurs pantalons rouges. À chaque carrefour, il fallait s'arrêter encore. Tout au bout d'un faubourg de Reims, il y eut une dernière halte, devant un débit de boissons qui ne désemplissait pas.

      Alors, Maurice eut l'idée de régaler l'escouade, comme souhait de bonne chance à tous.

      — Caporal, si vous le permettez…

      Jean, après une courte hésitation, accepta un petit verre. Et il y avait là Loubet et Chouteau, ce dernier sournoisement respectueux, depuis que le caporal faisait sentir sa poigne; et il y avait également Pache et Lapoulle, deux braves garçons, lorsqu'on ne leur montait pas la tête.

      — À votre santé, caporal! dit Chouteau d'une voix de bon apôtre.

      — À la vôtre, et que chacun tâche de rapporter sa tête et ses pieds! Répondit Jean avec politesse, au milieu d'un rire approbateur.

      Mais on partait, le capitaine Beaudoin s'était approché d'un air choqué, pendant que le lieutenant Rochas affectait de tourner la tête, indulgent à la soif de ses hommes. Déjà, l'on filait sur la route de Châlons, un interminable ruban, bordé d'arbres, allant d'un trait, tout droit, parmi l'immense plaine, des chaumes à l'infini, que bossuaient çà et là de hautes meules et des moulins de bois, agitant leurs ailes. Plus au nord, des files de poteaux télégraphiques indiquaient d'autres routes, où l'on reconnaissait les lignes sombres d'autres régiments en marche. Beaucoup même coupaient à travers champs, en masses profondes. Une brigade de cavalerie, en avant, sur la gauche, trottait dans un éblouissement de soleil. Et tout l'horizon désert, d'un vide triste et sans bornes, s'animait, se peuplait ainsi de ces ruisseaux d'hommes débordant de partout, de ces coulées intarissables de fourmilière géante.

      Vers neuf heures, le 106e quitta la route de Châlons, pour prendre, à gauche, celle de Suippe, un autre ruban tout droit, à l'infini. On marchait par deux files espacées, laissant le milieu de la route libre. Les officiers s'y avançaient à l'aise, seuls; et Maurice avait remarqué leur air soucieux, qui contrastait avec la belle humeur, la satisfaction gaillarde des soldats, heureux comme des enfants de marcher enfin. Même, l'escouade se trouvant presque en tête, il apercevait de loin le colonel, M De Vineuil, dont l'allure sombre, la grande taille raidie, balancée au pas du cheval, le frappait. On avait relégué la musique à l'arrière, avec les cantines du régiment. Puis, accompagnant la division, venaient les ambulances et le train des équipages, que suivait le convoi du corps tout entier, un immense convoi, des fourragères, des fourgons fermés pour les provisions, des chariots pour les bagages, un défilé de voitures de toutes sortes, qui tenait plus de cinq kilomètres, et dont, aux rares coudes de la route, on apercevait l'interminable queue. Enfin, à l'extrême bout, des troupeaux fermaient la colonne, une débandade de grands boeufs piétinant dans un flot de poussière, la viande encore sur pied, poussée à coups de fouet, d'une peuplade guerrière en migration.

      Cependant, Lapoulle, de temps à autre, remontait son sac, d'un haussement d'épaule. Sous le prétexte qu'il était le plus fort, on le chargeait des ustensiles communs à toute l'escouade, la grande marmite et le bidon, pour la provision d'eau. Cette fois même, on lui avait confié la pelle de la compagnie, en lui persuadant que c'était un honneur. Et il ne se plaignait pas, il riait d'une chanson dont Loubet, le ténor de l'escouade, charmait la longueur de la route. Loubet, lui, avait un sac célèbre, dans lequel on trouvait de tout: du linge, des souliers de rechange, de la mercerie, des brosses, du chocolat, un couvert et une timbale, sans compter les vivres réglementaires, des biscuits, du café; et, bien que les cartouches y fussent aussi, qu'il y eût encore, sur le sac, la couverture roulée, la tente-abri et ses piquets, tout cela paraissait léger, tellement il savait, selon son mot, bien faire sa malle.

      — Foutu pays tout de même! répétait de loin en loin Chouteau, en jetant un regard de mépris sur ces plaines mornes de la Champagne pouilleuse.

      Les vastes étendues de terre crayeuse continuaient, se succédaient sans fin. Pas une ferme, pas une âme, rien que des vols de corbeaux tachant de noir l'immensité grise. À gauche, très loin, des bois de pin, d'une verdure sombre, couronnaient les lentes ondulations qui bornaient le ciel; tandis que, sur la droite, on devinait le cours de la Vesle, à une ligne d'arbres continue. Et là, derrière les coteaux, on voyait, depuis une lieue, monter une fumée énorme, dont les flots amassés finissaient par barrer l'horizon d'une effrayante nuée d'incendie.

      — Qu'est-ce qui brûle donc, là-bas? demandaient des voix de tous côtés.

      Mais l'explication courut d'un bout à l'autre de la colonne. C'était le camp de Châlons qui flambait depuis deux jours, incendié par ordre de l'empereur, pour sauver des mains des Prussiens les richesses entassées. La cavalerie d'arrière-garde avait, disait-on, été chargée de mettre le feu à un grand baraquement, appelé le magasin jaune, plein de tentes, de piquets, de nattes, et au magasin neuf, un immense hangar fermé, où s'empilaient des gamelles, des souliers, des couvertures, de quoi équiper cent autres mille hommes. Des meules de fourrage, allumées elles aussi, fumaient comme des torches gigantesques. Et, à ce spectacle, devant ces tourbillons livides qui débordaient des collines lointaines, emplissant le ciel d'un irréparable deuil, l'armée, en marche par la grande plaine triste, était tombée dans un lourd silence. Sous le soleil, on n'entendait plus que la cadence des pas, tandis que les têtes, malgré elles, se tournaient toujours vers les fumées grossissantes, dont la nuée de désastre sembla suivre la colonne pendant toute une lieue encore.

      La gaieté revint à la grande halte, dans un chaume, où les soldats purent s'asseoir sur leurs sacs, pour manger un morceau. Les gros biscuits, carrés, servaient à tremper la soupe; mais les petits, ronds, croquants et légers, étaient une vraie friandise, qui avait le seul défaut de donner une soif terrible. Invité, Pache à son tour chanta un cantique, que toute l'escouade reprit en choeur. Jean, bon enfant, souriait, laissait faire, tandis que Maurice reprenait confiance, à voir l'entrain de tous, le bel ordre et la belle humeur de cette première journée de marche. Et le reste de l'étape fut franchi du même pas gaillard. Pourtant, les huit derniers kilomètres semblèrent durs. On venait de laisser à droite le village de Prosnes, on avait quitté la grand'route pour couper à travers des terrains incultes, des landes sablonneuses plantées de petits bois de pins; et la division entière, suivie de l'interminable convoi, tournait au milieu de ces bois, dans ce sable, où l'on enfonçait jusqu'à la cheville. Le désert s'était encore élargi, on ne rencontra qu'un maigre troupeau de moutons, gardé par un grand chien noir.

      Enfin, vers quatre heures, le 106e s'arrêta à Dontrien, un village bâti au bord de la Suippe. La petite rivière court parmi des bouquets d'arbres, la vieille église est au milieu du cimetière, qu'un marronnier immense couvre tout entier de son ombre. Et ce fut sur la rive gauche, dans un pré en pente, que le régiment dressa ses tentes. Les officiers disaient que les quatre corps d'armée, ce soir-là, allaient bivouaquer sur la ligne de la Suippe, d'Auberive à Heutrégiville, en passant par Dontrien, Béthiniville et Pont-Faverger, un front de bandière qui avait près de cinq lieues.

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