Название: Le legs de Caïn
Автор: Леопольд фон Захер-Мазох
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066087470
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—Est-ce que je vous plais ainsi? demanda-t-elle à Maryan.
Perdu dans une muette admiration, il oublia de répondre.
—Mais vous aussi, ajouta-t-elle, vous tremblez de froid. Allez changer d'habits. Ne m'entendez-vous pas?
—J'écoute.
—Cela ne suffit pas; il faut obéir.
—Comme vous voudrez.
Après s'être déguisé en paysan gallicien Maryan fouilla toute la chaumière.
—Il n'y a de thé nulle part, dit-il enfin. Je ne trouve que de l'eau-de-vie.
—Donnez-m'en donc un peu, ordonna la baronne. Maryan versa de l'eau-de-vie: elle y trempa ses lèvres, puis lui rendit le verre, qu'il vida d'un trait.
Tous deux tendirent une corde devant le poêle pour y sécher leurs habits.
La tempête avait cessé; il ne pleuvait plus. Les gouttes d'eau qui tremblaient sur les feuilles ressemblaient à des diamants; la lumière dorée du soleil ruisselait de nouveau sur toute la campagne, au-dessus de laquelle s'arrondissait l'arc-en-ciel.
—Nous pouvons partir, dit Maryan.
—Affublés comme nous le sommes?...
Un sourire effleura ses lèvres, tandis qu'il regardait, pensif, le sol à ses pieds.
—A quoi pensez-vous?
—Qu'il vaudrait mieux pour moi que vous fussiez toujours vêtue ainsi.
—Et pourquoi?
—Parce que je pourrais dire à une paysanne bien des choses que je dois cacher à la baronne.
—Qu'est-ce que ce devoir-là? qui vous l'impose? s'écria Warwara avec un regard étincelant de colère charmante. Je ne vous ai pas condamné à rester muet; c'est vous qui me gardez rancune. Vous dites des absurdités... Si j'étais paysanne, vous ne m'aimeriez pas. Allons-nous-en.
Elle sortit de la chaumière d'un pas dégagé. Maryan suivait à quelque distance; brusquement elle s'arrêta et l'attendit:
—Mais parlez donc, dit-elle, je vous le permets, ou plutôt je le veux. Avez-vous tout oublié? Vous paraissiez m'aimer autrefois; comment vous suis-je devenue indifférente?
—Si je l'expliquais, vous me comprendriez mal peut-être. Je ne veux pas avant toutes choses que vous me méprisiez.
—Décidément, vous êtes fou! Je n'aurais jamais cru les hommes si romanesques. Où avez-vous pris tout cela? Dans Werther?
Tout en faisant une moue de dédain, elle approchait ses lèvres du visage de Maryan qui sentit la fraîcheur de son haleine et recula.
Là-dessus, elle le toisa fièrement de bas en haut et secoua la tête comme pour dire:
—Attends! tu me demanderas à genoux ce que tu feins de dédaigner aujourd'hui.
Cette femme, malgré toute sa perspicacité, n'entendait rien aux scrupules de la conscience.
—Il m'aime pourtant, disait-elle rêveuse, il me désire et il me fuit!..
Bromirski avait laissé une assez belle bibliothèque à laquelle Maryan empruntait parfois des livres. Un jour Warwara, feuilletant certain volume de Mickiewicz qu'il venait de rapporter, vit une marque autour de quatre vers qui peuvent se traduire ainsi:
«Mon âme, le souvenir habite en toi, comme un vautour.—Il dort pendant la tempête du sort et tu es sauve.—Mais le repos et la confiance te sont-ils rendus,—Aussitôt, tu saignes sous des serres impitoyables.»
—Pourquoi, demanda Warwara, pourquoi donc avoir marqué ce passage?
Maryan s'en défendit.
—C'est inutile de nier, s'écria-t-elle, vous l'avez marqué, vous dis-je! De quel souvenir êtes-vous tourmenté? Qu'avez-vous perdu? A quoi bon saigner et vous débattre?
—Il est donné au poëte, répondit Maryan d'une manière évasive, de rendre dans la langue des anges la souffrance muette de l'homme...
—Continuerez-vous à parler par énigmes? interrompit Warwara avec emportement. Prétendez-vous, monsieur, vous jouer de moi? Assez de phrases sentimentales! Si je vous plais comme autrefois... alors... ces vers sont superflus, je ne vous ai pas repoussé! Si vous ne tenez plus à moi, que signifient ces soupirs, ces allusions, ces aveux à demi étouffés qui agacent mes nerfs et qui commencent, entendez-vous... à m'ennuyer?
Maryan éclata enfin:
—Faut-il vous dire que je vous aime?
—Vous ne pouvez pourtant vous attendre raisonnablement à ce que je le dise la première?
—Où nous conduirait ma folie? Vous êtes libre, mais moi...
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