Un philosophe sous les toits. Souvestre Émile
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Название: Un philosophe sous les toits

Автор: Souvestre Émile

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066082864

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СКАЧАТЬ l'a enveloppé d'un cache-pot en papier verni, embelli d'arabesques. Les ornements pourraient être de meilleur goût, mais on y sent la bonne volonté attentive.

      Ce présent inattendu, la rougeur modeste de la petite fille et son compliment balbutié dissipent, comme un rayon de soleil, l'espèce de brouillard qui m'enveloppait le cœur; mes idées passent brusquement des teintes plombées du soir aux teintes les plus roses de l'aurore; je fais asseoir Paulette et je l'interroge gaiement.

      La petite répond d'abord par des monosyllabes; mais bientôt les rôles sont renversés, et c'est moi qui entrecoupe de courtes interjections ses longues confidences. La pauvre enfant mène une vie difficile. Orpheline depuis longtemps, elle est restée, avec son frère et sa sœur, à la charge d'une vieille grand'mère qui les a élevés de misère, comme elle a coutume de le dire. Cependant Paulette l'aide maintenant dans la confection des cartonnages, sa petite sœur Perrine commence à coudre, et Henri est apprenti dans une imprimerie. Tout irait bien sans les pertes et sans les chômages, sans les habits qui s'usent, sans les appétits qui grandissent, sans l'hiver qui oblige à acheter son soleil! Paulette se plaint de ce que la chandelle dure trop peu et de ce que le bois coûte trop cher. La cheminée de leur mansarde est si grande qu'une falourde y produit l'effet d'une allumette; elle est si près du toit que le vent y renvoie la pluie et qu'on y gèle sur l'âtre en hiver: aussi y ont-ils renoncé. Tout se borne désormais à un réchaud de terre sur lequel cuit le repas. La grand'mère avait bien parlé d'un poêle marchandé chez le revendeur du rez-de-chaussée; mais celui-ci en a voulu sept francs, et les temps sont trop difficiles pour une pareille dépense; la famille s'est, en conséquence, résignée à avoir froid par économie!

      A mesure que Paulette parle, je sens que je sors de plus en plus de mon abattement chagrin. Les premières révélations de la petite cartonnière ont fait naître en moi un désir qui est bientôt devenu un projet. Je l'interroge sur ses occupations de la journée, et elle m'apprend qu'en me quittant elle doit visiter, avec son frère, sa sœur et sa grand'mère, les différentes pratiques auxquelles ils doivent leur travail. Mon plan est aussitôt arrêté: j'annonce à l'enfant que j'irai la voir dans la soirée, et je la congédie en la remerciant de nouveau.

      Le violier a été posé sur la fenêtre ouverte, où un rayon de soleil lui souhaite la bienvenue; les oiseaux gazouillent à l'entour, l'horizon s'est éclairci, et le jour, qui s'annonçait si triste, est devenu radieux. Je parcours ma chambre en chantant, je m'habille à la hâte, je sors.

      Trois heures. Tout est convenu avec mon voisin le fumiste: il répare le vieux poêle que j'avais remplacé, et me répond de le rendre tout neuf. A cinq heures, nous devons partir pour le poser chez la grand'mère de Paulette.

      Minuit. Tout s'est bien passé. A l'heure dite, j'étais chez la vieille cartonnière encore absente. Mon Piémontais a dressé le poêle tandis que j'arrangeais, dans la grande cheminée, une douzaine de bûches empruntées à ma provision d'hiver. J'en serai quitte pour m'échauffer en me promenant, ou pour me coucher plus tôt.

      A chaque pas qui retentit dans l'escalier j'ai un battement de cœur; je tremble que l'on ne m'interrompe dans mes préparatifs et que l'on ne gâte ainsi ma surprise. Mais non, voilà que tout est en place: le poêle allumé ronfle doucement, la petite lampe brille sur la table et la burette d'huile a pris place sur l'étagère. Le fumiste est reparti. Cette fois ma crainte qu'on n'arrive s'est transformée en impatience de ce qu'on n'arrive pas. Enfin, j'entends la voix des enfants; les voici qui poussent la porte et qui se précipitent... Mais tous s'arrêtent avec des cris d'étonnement.

      A la vue de la lampe, du poêle et du visiteur qui se tient comme un magicien au milieu de ces merveilles, ils reculent presque effrayés. Paulette est la première à comprendre; l'arrivée de la grand'mère, qui a monté moins vite, achève l'explication.—Attendrissement, transports de joie, remercîments!

      Mais les surprises ne sont point finies. La jeune sœur ouvre le four et découvre des marrons qui achèvent de griller; la grand'mère vient de mettre la main sur les bouteilles de cidre qui garnissent le buffet, et je retire du panier que j'ai caché une langue fourrée, un coin de beurre et des pains frais.

      Cette fois l'étonnement devient de l'admiration; la petite famille n'a jamais assisté à un pareil festin! On met le couvert, on s'asseoit, on mange; c'est fête complète pour tous, et chacun y contribue pour sa part. Je n'avais apporté que le souper; la cartonnière et ses enfants fournissent la joie.

      Que d'éclats de rire sans motifs! quelle confusion de demandes qui n'attendent point les réponses, de réponses qui ne correspondent à aucune demande! La vieille femme elle-même partage la folle gaieté des petits! J'ai toujours été frappé de la facilité avec laquelle le pauvre oubliait sa misère. Accoutumé à vivre du présent, il profite du plaisir dès qu'il se présente. Le riche, blasé par l'usage, se laisse gagner plus difficilement; il lui faut le temps et toutes ses aises pour consentir à être heureux.

      La soirée s'est passée comme un instant. La vieille femme m'a raconté sa vie, tantôt souriant, tantôt essuyant une larme. Perrine a chanté une ronde d'autrefois avec sa voix fraîche et enfantine. Henri, qui apporte des épreuves aux écrivains célèbres de l'époque, nous a dit ce qu'il en savait. Enfin, il a fallu se séparer, non sans de nouveaux remercîments de la part de l'heureuse famille.

      Je suis revenu à petits pas, savourant à plein cœur les purs souvenirs de cette soirée. Elle a été pour moi une grande consolation et un grand enseignement. Maintenant les années peuvent se renouveler; je sais que nul n'est assez malheureux pour n'avoir rien à recevoir, ni rien à donner.

      Comme je rentrais, j'ai rencontré le nouvel équipage de mon opulente voisine. Celle-ci, qui revient aussi de soirée, a franchi le marche-pied avec une impatience fébrile, et je l'ai entendue murmurer: Enfin!

      En quittant la famille de Paulette, moi, j'avais dit: Déjà!

       Table des matières

      LE CARNAVAL.

      20 février. Quelle rumeur au dehors! Pourquoi ces cris d'appel et ces huées?... Ah! je me rappelle: nous sommes au dernier jour du carnaval; ce sont les masques qui passent.

      Le Christianisme n'a pu abolir les bacchanales des anciens temps, il en a changé le nom. Celui qu'il a donné à ces jours libres annonce la fin des banquets et le mois d'abstinence qui doit suivre. Carn-à-val signifie, mot à mot, chair à bas! C'est un adieu de quarante jours aux «benoîtes poulardes et gras jambons» tant célébrés par le chantre de Pantagruel. L'homme se prépare à la privation par la satiété, et achève de se damner avant de commencer à faire pénitence.

      Pourquoi, à toutes les époques et chez tous les peuples, retrouvons-nous quelqu'une de ces fêtes folles? Faut-il croire que, pour les hommes, la raison est un effort dont les plus faibles ont besoin de se reposer par instants? Condamnés au silence d'après leur règle, les trappistes recouvrent une fois par mois la parole, et, ce jour-là, tous parlent en même temps, depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher. Peut-être en est-il de même dans le monde. Obligés toute l'année à la décence, à l'ordre, au bon sens, nous nous dédommageons, pendant le carnaval, d'une longue contrainte. C'est une porte ouverte aux velléités incongrues jusqu'alors refoulées dans un coin de notre cerveau. Comme aux jours des saturnales, les esclaves deviennent pour un instant les maîtres, et tout est abandonné aux folles СКАЧАТЬ