Название: Les mystères d'Udolphe
Автор: Анна Радклиф
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066080297
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Le soleil commençait à quitter le vallon: ses derniers rayons brillaient sur le torrent et relevaient les riches couleurs du genêt et de la bruyère en fleurs. Saint-Aubert questionna Michel sur la distance du hameau qu'il avait annoncé, mais celui-ci ne put répondre avec exactitude. Emilie commença à craindre qu'il ne les eût égarés: il n'y avait pas un être humain qui pût les secourir ni les conduire. Ils avaient laissé depuis longtemps et le berger et la cabane; le crépuscule se brunissait à chaque instant, l'œil ne pouvait en percer l'obscurité, et ne distinguait ni hameau ni chaumière; une raie colorée marquait seule l'horizon, et c'était l'unique ressource des voyageurs. Michel s'efforçait d'entretenir son courage en chantant. Sa musique, néanmoins, n'était pas de nature à chasser la mélancolie; il traînait des sons lugubres et détonnait avec tant de tristesse, que Saint-Aubert eut peine à reconnaître une hymne de vêpres adressée à son patron.
Ils continuèrent, abîmés dans ces rêveries profondes où la solitude et la nuit ne manquent jamais d'entraîner. Michel ne chantait plus; on n'entendait que le murmure du zéphyr dans les bois, et l'on ne sentait que la fraîcheur. Tout à coup, le bruit d'une arme à feu les réveilla. Saint-Aubert fit arrêter; on écoute. Le bruit ne se répète pas, mais l'on entend courir dans les halliers. Saint-Aubert prend son pistolet; il commande à Michel de doubler le pas. Le son d'un cor fait retentir les montagnes; Saint-Aubert regarde et voit un jeune homme s'élancer dans la route, suivi de deux chiens. L'étranger était mis en chasseur; un fusil en bandoulière, un cor à sa ceinture, une espèce de pique à la main, donnaient une grâce particulière à sa personne et secondaient l'agilité de sa marche.
Le chasseur.
Après un moment de réflexion, Saint-Aubert fit arrêter et l'attendit pour l'interroger sur le hameau qu'il cherchait. L'étranger répondit que le village n'était plus qu'à une demi-lieue, qu'il s'y rendait lui-même, et qu'il allait être leur guide. Saint-Aubert le remercia; et touché de ses manières franches et simples, il lui proposa une place dans la voiture. L'étranger le refusa, en l'assurant qu'il suivrait bien les mules. Mais vous serez mal logé, ajouta-t-il, les habitants de ces montagnes sont de pauvres gens; non-seulement ils n'ont pas de luxe, mais ils manquent de mille choses qu'ailleurs on juge indispensables.
—Je m'aperçois que vous n'êtes pas du pays, dit Saint-Aubert.
—Non monsieur, je suis voyageur.
L'équipage avança, et l'obscurité s'augmentant, fit mieux sentir l'utilité d'un guide: les sentiers qui s'ouvraient de temps à autre dans les montagnes eussent ajouté à leur perplexité.
A la fin on distingua les lumières du hameau; on vit quelques masures, ou plutôt on les discerna au moyen du ruisseau qui reflétait encore la faible clarté du crépuscule.
L'étranger s'avança, et Saint-Aubert apprit qu'il n'existait là ni auberge, ni maison publique d'aucun genre. L'étranger s'offrit à chercher un asile; Saint-Aubert le remercia; et comme le village était fort près, il descendit pour l'accompagner, tandis qu'Emilie suivait dans la voiture.
En cheminant, Saint-Aubert demanda à son compagnon s'il avait fait une bonne chasse.—Non, monsieur, répliqua-t-il, et ce n'était même pas mon projet; j'aime ce pays et me propose de le parcourir encore quelques semaines; mes chiens sont avec moi plutôt pour l'agrément que pour l'utilité; ce costume d'ailleurs me sert de prétexte et m'attire la considération qu'on refuserait sans doute à un étranger sans occupation apparente.
—J'admire vos goûts, dit Saint-Aubert, et si j'étais plus jeune, j'aimerais à passer quelques semaines comme vous le faites; je suis comme vous un voyageur, mais notre objet n'est pas le même: je cherche la santé encore plus que le plaisir. Saint-Aubert soupira et se tut un moment; puis, paraissant se recueillir, il ajouta: Je voudrais trouver une route passable qui me conduisît en Roussillon pour gagner ensuite le Languedoc. Vous, monsieur, qui paraissez connaître le pays, il vous serait possible de m'en indiquer une.
L'étranger l'assura que tous ses moyens étaient à son service, et lui parla d'un chemin plus à l'est qui devait conduire à une ville, et de là facilement en Roussillon.
Ils arrivèrent au village et commencèrent à chercher une chaumière qui pût leur offrir un gîte pour la nuit; ils ne trouvaient dans la plupart des maisons que la pauvreté, l'ignorance et la gaieté; on regardait Saint-Aubert d'un air timide et curieux; il ne fallait rien attendre qui ressemblât à un lit. Emilie survint, et observant l'air fatigué et souffrant de son pauvre père, se plaignit qu'il eût pris une route si peu commode pour un malade. D'autres chaumières étaient un peu moins sauvages; l'on y trouvait deux pièces, l'une pour les mules et le bétail, l'autre pour la famille, composée presque partout de six ou huit enfants, couchés, comme les père et mère, sur des peaux ou des feuilles sèches. Le jour n'avait d'entrée et la fumée de sortie, que par un trou pratiqué dans la couverture, et l'odeur d'eau-de-vie, dont les contrebandiers avaient amené l'usage, suffoquait presque en entrant. Emilie détourna les yeux et regarda son père avec une tendre inquiétude dont le jeune étranger parut entendre l'expression. Il tira Saint-Aubert à part et lui fit offre de son lit: Il est commode, lui dit-il, si nous le comparons aux autres, mais partout ailleurs j'aurais eu honte de vous l'offrir. Saint-Aubert lui témoigna sa reconnaissance et refusa d'accepter son offre; mais l'étranger insista: Point de refus, je souffrirais trop, monsieur, répliqua-t-il, si vous étiez sur une peau lorsque je me trouverais dans un lit; vos refus blesseraient mon amour-propre, et je pourrais penser que ma proposition vous désoblige; je vais vous montrer le chemin, et mon hôtesse trouvera moyen d'arranger aussi cette jeune dame.
Saint-Aubert consentit enfin, et fut un peu surpris que l'étranger fût assez peu galant pour préférer le repos d'un malade à celui d'une jeune et charmante personne, car il n'avait point offert la chambre à Emilie; mais Emilie n'en pensa pas de même, et le sourire expressif qu'elle lui adressa montrait assez combien elle était sensible à l'attention qu'il avait pour son père.
L'étranger, qui se nommait Valancourt, s'arrêta le premier pour dire un mot à son hôtesse, et l'habitation qu'elle ouvrit ne ressemblait en rien à ce qu'on avait encore vu. Cette bonne femme mettait tous ses soins à accueillir les voyageurs, et ils furent contraints d'accepter les deux seuls lits qui fussent dans la maison. Elle n'avait à leur offrir que des œufs et du lait; mais Saint-Aubert avait des provisions, et pria Valancourt de partager son souper. L'invitation fut bien reçue, et la conversation s'anima. La franchise, la simplicité, les grandes idées et le goût pour la nature que montrait le jeune homme enchantaient Saint-Aubert. Il avait dit souvent que ce goût pour la nature ne pouvait exister dans une âme sans y supposer une grande pureté de cœur et d'imagination.
Il était tard quand Saint-Aubert et Emilie se retirèrent dans leurs chambres. Valancourt resta devant la porte; dans cette agréable saison, il aimait mieux cette place qu'un étroit cabinet et un lit de peaux. Saint-Aubert fut un peu surpris de trouver près de lui Homère, Horace et Pétrarque, mais le nom de Valancourt écrit sur les volumes lui en fit connaître le possesseur.
CHAPITRE IV.
Saint-Aubert СКАЧАТЬ