Название: Le chevalier d'Harmental
Автор: Alexandre Dumas
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066086220
isbn:
Tous deux reportèrent alors les yeux sur leurs compagnons pour voir où en étaient les choses. Le combat était fini. Lafare était assis sur l'herbe, le dos appuyé à un arbre: il avait reçu un coup d'épée qui devait lui traverser la poitrine; mais heureusement, la pointe du fer avait rencontré une côte et avait glissé le long de l'os, de sorte que la blessure paraissait au premier abord plus grave qu'elle ne l'était en effet; il n'en était pas moins évanoui, tant la commotion avait été violente. D'Harmental, à genoux devant lui, épongeait le sang avec son mouchoir.
Fargy et Valef avaient fait coup fourré: l'un avait la cuisse traversée, l'autre le bras à jour. Tous deux se faisaient des excuses et se promettaient de n'en être que meilleurs amis à l'avenir.
—Tenez, jeune homme, dit le capitaine à Ravanne en lui montrant les différents épisodes du champ de bataille, regardez cela et méditez; voilà le sang de trois braves gentilshommes qui coule probablement pour une drôlesse!
—Ma foi! répondit Ravanne tout à fait calmé, je crois que vous avez raison, capitaine, et vous pourriez bien être le seul de nous tous qui ayez le sens commun.
En ce moment, Lafare ouvrit les yeux et reconnut d'Harmental dans l'homme qui lui portait secours.
—Chevalier, lui dit-il, voulez-vous suivre un conseil d'ami? Envoyez-moi une espèce de chirurgien que vous trouverez dans la voiture, et que j'ai amené à tout hasard; puis, gagnez Paris au plus vite, montrez-vous ce soir au bal de l'opéra, et si l'on vous demande de mes nouvelles, dites qu'il y a huit jours que vous ne m'avez vu. Quant à moi, vous pouvez être parfaitement tranquille, votre nom ne sortira point de ma bouche. Au reste, s'il vous arrivait quelque mauvaise discussion avec la connétable, faites-le-moi savoir au plus tôt, et nous nous arrangerions de manière que la chose n'eût pas de suite.
—Merci, monsieur le marquis, répondit d'Harmental; je vous quitte parce que je sais vous laisser en meilleures mains que les miennes; autrement, croyez-moi, rien n'aurait pu me séparer de vous avant que je vous visse couché dans votre lit.
—Bon voyage, mon cher Valef! dit Fargy, car je ne pense pas que ce soit cette égratignure qui vous empêche de partir. À votre retour, n'oubliez pas que vous avez un ami, place Louis-le-Grand, n° 14.
—Et vous, mon cher Fargy, si vous avez quelque commission pour Madrid, vous n'avez qu'à le dire, et vous pouvez compter qu'elle sera faite avec l'exactitude et le zèle d'un bon camarade.
Et les deux amis, se donnèrent une poignée de main, comme s'il ne s'était absolument rien passé.
—Adieu, jeune homme, adieu, dit le capitaine à Ravanne. N'oubliez pas le conseil que je vous ai donné: laissez là Berthelot et prenez Bois-Robert; surtout soyez calme, rompez dans l'occasion, parez à temps, et vous serez une des plus fines lames du royaume de France. Ma colichemarde dit bien des choses agréables à la maîtresse-broche de madame votre mère.
Ravanne, quelle que fût sa présence d'esprit, ne trouva rien à répondre au capitaine; il se contenta de le saluer, et s'approcha de Lafare, qui lui parut le plus malade des deux blessés.
Quant à d'Harmental, à Valef et au capitaine, ils gagnèrent l'allée où ils retrouvèrent le carrosse de louage, et dans le carrosse le chirurgien qui faisait un somme. D'Harmental le réveilla et lui annonça, en lui montrant le chemin qu'il devait suivre, que le marquis de Lafare et le comte de Fargy avaient besoin de ses services. Il ordonna en outre à son valet de descendre de cheval et de suivre le chirurgien, afin de lui servir d'aide; puis, se retournant vers le capitaine:
—Capitaine, lui dit-il, je crois qu'il ne serait pas prudent d'aller manger le déjeuner que nous avions commandé; recevez donc tous mes remerciements pour le coup de main que vous m'avez donné, et, en souvenir de moi, comme vous êtes à pied, à ce qu'il me paraît, veuillez accepter un de mes deux chevaux. Vous pouvez prendre au hasard: ce sont de bonnes bêtes; la plus mauvaise des deux ne vous laissera pas dans l'embarras quand vous n'aurez besoin que de lui faire faire huit à dix lieues en une heure.
—Ma foi! chevalier, répondit le capitaine en jetant de côté un regard sur le cheval qui lui était offert si généreusement, il ne fallait rien pour cela; entre gentilshommes, le sang et la bourse sont choses qui se prêtent tous les jours. Mais vous faites les choses de si bonne grâce que je ne saurais vous refuser. Si vous aviez jamais besoin de moi pour quelque chose que ce fût, souvenez-vous, en revanche, que je suis à votre service.
—Et le cas échéant, monsieur, où vous retrouverai-je? demanda en souriant d'Harmental.
—Je n'ai pas de domicile bien arrêté, chevalier; mais vous aurez toujours de mes nouvelles en allant chez la Fillon, en demandant la Normande, et en vous informant à elle du capitaine Roquefinette.
Et comme les deux jeunes gens remontaient chacun sur son cheval le capitaine en fit autant, non sans remarquer en lui-même que le chevalier d'Harmental lui avait laissé le plus beau des trois.
Alors, comme ils étaient près d'un carrefour, chacun prit sa route et s'éloigna au grand galop.
Le baron de Valef rentra par la barrière de Passy et se rendit droit à l'Arsenal, prit les commissions de la duchesse du Maine, de la maison de laquelle il était, et partit le même jour pour l'Espagne.
Le capitaine Roquefinette fit trois ou quatre tours au pas, au trot et au galop dans le bois de Boulogne, afin d'apprécier les différentes qualités de sa monture, et ayant reconnu que c'était, comme l'avait dit le chevalier, un animal de belle et bonne race, il revint fort satisfait chez maître Durand, où il mangea à lui seul le déjeuner qui était commandé pour trois.
Le même jour, il conduisit son cheval au marché aux chevaux, et le vendit soixante louis. C'était la moitié de ce qu'il valait, mais il faut savoir faire des sacrifices quand on veut réaliser promptement.
Quant au chevalier d'Harmental, il prit l'allée de la Muette, regagna Paris par la grande avenue des Champs-Élysées, et trouva en rentrant chez lui, rue de Richelieu, deux lettres qui l'attendaient.
L'une de ces deux lettres était d'une écriture si bien connue à lui qu'il tressaillit de tout son corps en la regardant, et qu'après y avoir porté la main avec la même hésitation que s'il allait toucher un charbon ardent, il l'ouvrit avec un tremblement qui décelait l'importance qu'il y attachait. Elle contenait ce qui suit:
«Mon cher chevalier,
On n'est pas maître de son cœur, vous le savez, et c'est une des misères de notre nature que de ne pouvoir longtemps aimer ni la même personne ni la même chose. Quant à moi je veux au moins avoir sur les autres femmes le mérite de ne pas tromper celui qui a été mon amant. Ne venez donc pas à votre heure accoutumée car on vous dirait que je n'y suis pas, et je suis si bonne que je ne voudrais pas risquer l'âme d'un valet ou d'une femme de chambre en leur faisant faire un si gros mensonge.
Adieu, mon cher chevalier; ne gardez point de moi un trop mauvais souvenir, et faites que je pense encore de vous dans dix ans ce que j'en pense à cette heure, c'est-à-dire que vous êtes un des plus galants gentilshommes de France.
Sophie d'Averne.»
—Mordieu! s'écria d'Harmental en frappant du poing sur une charmante table de Boulle qu'il mit en morceaux, si j'avais tué ce pauvre Lafare, je ne m'en serais consolé de ma vie!
Après СКАЧАТЬ