Название: Une femme d'argent
Автор: Hector Malot
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066088194
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—Riche?
—En biens fonds, oui, je le crois, mais ses biens sont grevés de dettes, c'est cette situation embarrassée qui lui a été léguée par sa famille, mais qu'il n'a pas faite, qui l'a décidé à embrasser la carrière militaire.
—Capitaine et attaché militaire à l'ambassade d'Italie, ce n'est peut-être pas un moyen pratique de payer ces dettes.
—En ce moment non, mais plus tard; et puis en tous cas cela vaut mieux que de traîner une vie inoccupée dans un château du Milanais; on lui reconnaît un bel avenir.
—Enfin il vous plaît.
—Il plaît beaucoup à ma femme, et il ne déplaît point à Marcelle; pour moi, j'avoue que j'aimerais mieux pour gendre un Français qui ne serait pas soldat, mais je ne contrarierai pas le goût de ma fille, si je vois qu'elle doit être malheureuse en ne devenant pas la femme d'Evangelista.
—Ah! il se nomme Evangelista?
—Evangelista marchese Collio; il est le dernier représentant d'une grande famille du Milanais; mais vous pensez bien que ce n'est pas là ce qui me touche, je n'ai pas d'ambition nobiliaire; je ne veux que le bonheur de ma fille.
—Le bonheur des siens, parbleu!
—Mon Dieu oui, est-il rien de plus doux que de rendre heureux ceux qu'on aime? A ce propos, je dois vous prévenir que je ne viendrai pas demain à Paris, de façon à ce que nous nous entendions aujourd'hui sur les recommandations que vous pouvez avoir à me faire.
—Moi des recommandations à te faire, mon cher Fourcy, vraiment ce serait bien drôle.
—C'est l'anniversaire de notre mariage, et pour nous c'est la grande fête de la famille; nous célébrerons demain cette fête après vingt ans de mariage, avec autant de joie que nous l'avons célébrée après notre première année, et même avec un bonheur plus complet encore, puisque nos enfants s'associeront à nous.
—Sais-tu que tu es un homme unique au monde, mon brave Jacques; ce que je n'ai jamais rencontré: pleinement heureux et digne de son bonheur; je t'admire encore plus que je ne t'envie; j'admire ton existence entre une femme que tu aimes comme si tu avais vingt ans et des enfants qui sont aussi bons que charmants; j'admire la sagesse de ta vie et la modération de ton caractère; et cela je peux dire que je l'envie autant que je l'admire.
Puis tout à coup, changeant de ton, comme s'il obéissait à une pensée qui venait de se présenter à son esprit;
—Et en quoi consiste cette fête d'anniversaire? demanda-t-il.
—Le matin un landau viendra nous prendre à Nogent et nous conduira au restaurant Gillet, à l'entrée du bois de Boulogne; c'est là que s'est fait notre dîner de noces quand je n'étais encore que caissier, et nous allons y déjeuner une fois tous les ans, ma femme, nos deux enfants et moi ce jour même de notre anniversaire; c'est par là que commence notre fête, puis ensuite nous faisons une promenade en voiture dans le bois et autour du lac comme nous en avons fait une le jour de notre mariage, nous passons aux endroits où nous avons passé; c'est un pèlerinage. «Te souviens-tu?» et nous remontons de vingt ans en arrière.
—Si on pouvait y rester.
—Nous n'y tenons pas; notre présent est aussi heureux que l'a été notre passé et pour moi ma femme a toujours les seize ans qu'elle avait à l'époque de notre mariage. Notre promenade faite, nous rentrons grand train à la maison pour recevoir nos amis qui viennent nous apporter leurs compliments et dîner avec nous.
—Alors, la table est complète?
—Avec toutes ses rallonges, oui, cependant nous n'avons que nos amis intimes auxquels se joindront cette année votre fils puisqu'il est notre hôte, et aussi le marquis Collio.
—De sorte que si je te demandais une place à cette table, il serait impossible de me la trouver.
—Vous, monsieur Amédée!
—Et pourquoi pas?
Fourcy était manifestement sous le coup d'une profonde émotion, d'un trouble de joie; il attendit quelques secondes avant de répondre:
—Parce qu'il est des faveurs qu'on désire vivement, dit-il enfin d'une voix vibrante, mais que précisément pour cela on n'ose pas solliciter.
—Laisse-moi te dire, mon bon Jacques, que tu me traites beaucoup trop cérémonieusement. Pourquoi ne m'as-tu jamais invité chez toi? Tu vas me répondre: «Pourquoi n'êtes-vous jamais venu?» Et tu auras raison, au moins jusqu'à un certain point. Mais comment veux-tu que dans le tourbillon qui m'emporte j'aie le temps de faire ce que je désire? Je vais où la fantaisie de l'heure présente m'entraîne et jamais où j'avais décidé la veille d'aller. Voilà comment jusqu'à présent je n'ai jamais pu te faire ma visite à Nogent. Maintenant qu'une bonne occasion se présente, je la saisis au passage, et si tu veux de moi, demain je serai ton convive, avec tes autres amis.
Fourcy se leva vivement et venant à M. Charlemont, il lui prit les deux mains qu'il serra avec effusion.
—Ne suis-je pas ton plus vieil ami, dit M. Charlemont, et ne devrais-tu pas agir avec moi sans cette réserve et cette discrétion que tu apportes dans nos relations, comme si tu étais encore le petit Jacques; ne sommes-nous pas associés?
Puis, s'arrêtant sur ce mot, mais pour reprendre aussitôt:
—Puisque ce mot est prononcé entre nous, je te préviens que mon intention est que désormais il soit une réalité; si cette maison a repris un peu de son ancienne prospérité, c'est à toi qu'elle le doit, car entre mes mains elle aurait fini par s'effondrer. Il est juste que celui qui l'a relevée et qui la soutient participe aux bénéfices qu'elle donne. A partir du 1er janvier prochain tu auras donc une part dans les bénéfices qu'elle produit, et cela dans une proportion que nous discuterons et que nous arrêterons ensemble. Pour aujourd'hui je n'ai voulu que poser le principe.
L'émotion de Fourcy était si vive qu'elle l'empêcha de trouver des paroles pour traduire ce qui se passait en lui: l'associé de la maison Charlemont, lui le petit Jacques, le fils du garçon de bureau!
M. Charlemont s'était levé et au moment où Fourcy allait enfin pouvoir exprimer ses sentiments de reconnaissance et de joie il lui coupa la parole:
—A demain, dit-il.
—Mais, monsieur, vous me laisserez bien…
—Rien, dit-il, à demain, je suis pressé.
Et il partit sans rien vouloir entendre, marchant gaillardement en chantonnant.
IV
C'était après la guerre que Fourcy avait acheté sa maison de Nogent.
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