Considérations inactuelles. Friedrich Nietzsche
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Название: Considérations inactuelles

Автор: Friedrich Nietzsche

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066079338

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СКАЧАТЬ seule suffit pour nous autres à nous plonger dans la misère: c'est le sentiment que j'ai éprouvé, par exemple, devant la sérénité de Strauss. On a véritablement honte d'avoir des contemporains aussi sereins, parce qu'ils compromettent votre époque et nous autres hommes auprès de la postérité. Ces joyeux compagnons ne voient pas les souffrances et les calamités qu'ils prétendent apercevoir et combattre en leur qualité de penseurs; leur sérénité chagrine, car elle est une duperie, parce qu'elle veut faire croire qu'il y a là une victoire. La sérénité cependant n'existe en somme que lorsqu'elle est le résultat d'une victoire; il en est ainsi dans les œuvres des vrais penseurs, aussi bien que dans toute œuvre d'art.

      Que la matinée soit terrible et sérieuse, autant que peut l'être le problème de l'existence, l'œuvre ne paraîtra accablante et obsédante que lorsque le demi-penseur ou le demi-artiste l'aura étouffée sous les exhalaisons de sa médiocrité; tandis que l'homme ne peut rien recevoir en partage de plus joyeux et de meilleur que de s'approcher d'un de ces victorieux qui, parce qu'ils ont imaginé ce qu'il y a de plus profond, devront précisément aimer ce qu'il y a de plus vivant et qui, en sages, devront finir par s'incliner vers le beau. Ils parlent véritablement, ils ne se contentent pas de répéter en bégayant; ils se meuvent et vivent véritablement, non pas en se dissimulant d'une façon inquiétante sous un masque, comme font généralement les hommes, c'est pourquoi nous éprouvons dans leur voisinage quelque chose de vraiment humain et de naturel et que nous aimerions nous écrier comme Gœthe: «Combien une chose vivante est magnifique et délicieuse; avec quelle mesure elle remplit ses conditions; elle est vraie, elle existe!»

      Je ne fais que décrire la première impression, en quelque sorte physiologique, que Schopenhauer a produite en moi: ce rayonnement mystérieux de la puissance intime, qu'un produit de la nature exerce sur un autre dès la première et la plus légère approche; et quand je décompose après coup cette impression, j'y trouve trois éléments, car j'ai trouvé chez Schopenhauer de la loyauté, de la sérénité et de la constance. Il est honnête parce qu'il se parle et s'écrit à lui-même et pour lui-même, rasséréné parce qu'il a vaincu par la réflexion ce qu'il y a de plus difficile, et constant parce qu'il convient qu'il soit ainsi. Sa force s'élève comme une flamme par un temps calme, droite et légère, indifférente, sans tremblement et sans inquiétude. Il trouve son chemin dans tous les cas, sans que nous remarquions même qu'il l'a cherché; comme s'il y était contraint par la loi de la pesanteur, il marche devant lui, sûr et agile, poussé par une nécessité. Celui qui a jamais senti ce que cela veut dire, à notre époque d'humanité niaise, de trouver une fois un être naturel, d'un seul jet, suspendu dans ses propres gonds, un être sans entraves et sans préjugés, celui-ci comprendra le bonheur et l'étonnement qui s'emparèrent de moi lorsque j'eus trouvé Schopenhauer. Je me doutais que j'avais découvert en lui cet éducateur et ce philosophe que j'avais si longtemps cherchés. Hélas! je n'en possédais que l'expression à travers les livres et c'était là une véritable pénurie. Je m'efforçais d'autant plus à voir à travers le livre et à me figurer l'homme vivant dont je pouvais lire le grand testament et qui promettait de n'instituer ses héritiers que ceux qui voulaient et pouvaient être plus que simplement ses lecteurs: ses fils et ses élèves.

       Table des matières

      Je ne me soucie d'un philosophe qu'autant qu'il est capable de donner un exemple. Que par l'exemple il puisse tirer après lui des peuples tout entiers, il n'y a à cela aucun doute; l'histoire de l'Inde, qui est presque l'histoire de la philosophie hindoue, le démontre. Mais l'exemple doit être donné par la vie apparente et non point seulement par les livres, c'est-à-dire de la façon dont enseignaient les philosophes de la Grèce, par la mine, l'attitude, le costume, la nourriture, les mœurs, plus que par la parole ou même les écrits. Combien de choses nous font encore défaut en Allemagne pour arriver à cette courageuse visibilité d'une vie philosophique? C'est peu à peu seulement que chez nous les corps se délivrent, quand les esprits paraissent déjà délivrés depuis longtemps; et pourtant c'est une illusion de croire qu'un esprit est libre et indépendant, cette indépendance sans limites une fois réalisée—et qui n'est au fond que la limitation volontaire du créateur—n'est pas démontrée à nouveau par chaque regard, à chaque pas, du matin au soir. Kant s'accrocha à l'Université, se soumit au Gouvernement, conserva l'apparence d'une foi religieuse, supporta de vivre parmi des collègues et des étudiants. Il est donc naturel que son exemple engendra surtout des professeurs d'Université et une philosophie de professeurs. Schopenhauer ne s'embarrasse pas des castes savantes, il se sépare et aspire à être indépendant de l'Etat et de la Société. C'est là un exemple qu'il nous donne, un modèle qu'il nous propose d'imiter, si nous voulons prendre ici, comme point de départ, des circonstances extérieures. Mais beaucoup de degrés dans la libération de la vie philosophique sont encore inconnus parmi les Allemands et ne pourront pas le rester toujours.

      Nos artistes vivent plus audacieusement et plus honnêtement; le plus puissant exemple que nous ayons devant nos yeux, celui de Richard Wagner, nous montre comment le génie ne doit pas craindre de se mettre en opposition rigoureuse avec les formes et les prescriptions établies, quand il veut élever à la lumière l'ordre et la vérité supérieurs qui vivent en lui. La «vérité», cependant, que nos professeurs ont sans cesse à la bouche, apparaît, à vrai dire, comme un être beaucoup moins exigeant, dont il ne faut craindre ni désordre ni infraction à l'ordre établi; elle apparaît comme une créature bonasse et aimant ses aises, qui donne sans cesse, à tous les pouvoirs établis, l'assurance qu'elle ne causera jamais à personne le moindre embarras, car elle n'est, après tout, que la «science pure». Or je voulais affirmer que la philosophie en Allemagne doit désapprendre de plus en plus d'être une «science pure» et l'homme qu'est Schopenhauer devrait nous servir d'exemple.

      Mais c'est véritablement un miracle et ce n'est rien moins que le fait qu'il ait pu s'élever à devenir cet exemple humain, car du dehors et du dedans il était assailli en quelque sorte par les dangers les plus formidables qui eussent étouffé ou éparpillé toute créature plus faible. Il y avait, à ce qu'il-me semble, une forte probabilité que Schopenhauer disparaîtrait en tant qu'homme, pour laisser au moins comme résidu de la «science pure»; mais cela encore seulement dans le cas le plus favorable, car il semblait fort probable qu'il dût sombrer aussi bien comme homme que comme science.

      Un Anglais moderne décrit de la façon suivante le danger que courent le plus souvent les hommes extraordinaires qui vivent dans une société médiocre: «Ces caractères exceptionnels commencent par être humiliés, puis ils deviennent mélancoliques, pour tomber malades ensuite et mourir enfin. Un Shelley n'aurait pas pu vivre en Angleterre et toute une race de Shelley eût été impossible.» Nos Hœlderlin et nos Kleist, d'autres encore, périrent parce qu'ils étaient extraordinaires et qu'ils ne parvenaient pas à supporter le climat de ce qu'on appelle la «culture» allemande. Seules des natures de bronze, comme Beethoven, Gœthe, Schopenhauer et Wagner, parviennent à supporter l'épreuve. Mais chez eux aussi apparaît, dans beaucoup de traits et beaucoup de rides, l'effet de cette lutte et de cette angoisse déprimante entre toutes: leur respiration devient plus pénible et le ton qu'ils prennent est souvent forcé. Ce diplomate sagace qui n'avait vu Gœthe et ne lui avait parlé que superficiellement déclara à ses amis: «Voilà un homme qui a de grands chagrins!» Gœthe interpréta ces paroles en traduisant: «En voilà un qui ne s'est épargné aucune peine!» Et il ajoutait: «Si sur les traits de notre visage les traces de souffrances surmontées, d'actions accomplies ne peuvent s'effacer, il n'est pas étonnant que ce qui reste de nous et de nos efforts porte aussi ces traces.»

      C'est là ce Gœthe que nos philistins de la culture désignent comme le plus heureux des Allemands, pour démontrer leur affirmation que, quoi qu'on dise, il doit être possible de trouver le bonheur parmi eux. Ce disant ils ont l'arrière-pensée qu'il ne faut pardonner à personne qui, au milieu d'eux, serait malheureux et solitaire. C'est pourquoi, avec une grande cruauté, ils ont СКАЧАТЬ