Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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СКАЧАТЬ quelques épisodes sont rendus d'une façon émouvante (voy. JUGEMENT DERNIER). Parmi les voussures chargées de démons et de damnés semble trôner un diable supérieur; il est couronné (4). Sa taille est entourée d'un serpent; il est assis sur un tas de personnages, parmi lesquels on voit un évêque et un roi. Ce diable souverain est gras, lippu; il est pourvu de mamelles gonflées et semble se reposer dans son triomphe. À côté de lui sont représentées des scènes de désordre, de confusion, de désespoir, rendues avec une énergie et un talent d'exécution vraiment remarquables. Les peintres et sculpteurs du moyen âge ont admis une trinité du mal, en opposition avec la trinité divine (voy. TRINITÉ). Dès la fin du XIIIe siècle, le diable, dans la sculpture et la peinture, perd beaucoup de son caractère féroce; il est relégué au dernier rang, il est bafoué et porte souvent la physionomie de ce rôle; dans beaucoup de légendes refaites à cette époque, il est la dupe de fraudes pieuses, comme dans la célèbre légende du moine Théophile et celle du serrurier Biscornet, qui fit, dit-on, les pentures des portes de la cathédrale de Paris. Ce serrurier, qui vivait au XIVe siècle, fut chargé de ferrer les trois portes principales de Notre-Dame 12. Voulant faire un chef-d'oeuvre, et fort empêché de savoir comment s'y prendre, il se donne au diable, qui lui apparaît et lui propose de forger les pentures, à une condition, bien entendu, c'est que lui Biscornet, par un marché en règle, écrit, livrera son âme aux esprits des ténèbres. Le marché est signé, le diable se met à l'oeuvre et fournit les pentures. Biscornet, aidé de son infernal forgeron, pose les ferrures des deux portes latérales; mais quand il s'agit de ferrer la porte centrale, la chose devient impossible, par la raison que la porte centrale sert de passage au Saint-Sacrement. Le diable n'avait pas songé à cette difficulté; mais le marché ne pouvant être entièrement rempli par l'une des parties, Biscornet redevient possesseur de son âme, et le diable en est pour ses ferrures des deux portes.

      On le voit, vers la fin du moyen âge, le diable a vieilli et ne fait plus ses affaires. Les arts plastiques de cette époque ne font que reproduire l'esprit de ces légendes populaires dont nous avons suivi les dernières traces sur le théâtre des marionnettes, où le diable, malgré ses tours et ses finesses, est toujours battu par Polichinelle.

      Le grand diable sculpté sur le tympan de la porte de la cathédrale d'Autun, au XIIe siècle, est un être effrayant bien fait pour épouvanter des imaginations neuves; mais les diablotins sculptés sur les bas-reliefs du XVe siècle sont plus comiques que terribles, et il est évident que les artistes qui les façonnaient se souciaient assez peu des méchants tours de l'esprit du mal.

       DIEU. Le moyen âge représentait Dieu, dans les monuments religieux, par ses oeuvres; il n'était figuré que dans les scènes de l'Ancien Testament, dans la création, lorsqu'il parle à Adam, à Caïn, à Noé, lorsqu'il apparaît à Moïse. Dans la nouvelle loi, le Christ représente seul la divinité. S'il existe des images de Dieu le Père, elles se trouvent avec le Fils et le Saint-Esprit (voy. TRINITÉ). Ce n'est qu'à l'époque de la Renaissance que les artistes sculpteurs ou peintres font intervenir Dieu le Père dans les scènes qu'ils représentent 13 . Cependant on voit quelquefois, au-dessus des tympans des portails des XIIIe, XIVe et XVe siècles, représentant le Christ dans sa gloire, au jour du jugement, Dieu le Père en buste, bénissant; il est nimbé du nimbe crucifère, porte une longue barbe, sa chevelure tombe sur ses épaules. À la fin du XVe siècle Dieu le Père est habituellement coiffé de la tiare à triple couronne, comme un pape. Nous ne connaissons pas une seule statue des XIIIe et XIVe siècles représentant Dieu le Père; la seule personne divine prenant une place principale dans les édifices religieux est le Christ homme ou le Christ triomphant (voy. CHRIST). La Vierge Marie et son Fils occupent tous deux l'imagination et la main des artistes (voy. VIERGE SAINTE). Il semble que Dieu leur ait délégué toute sa puissance sur les êtres créés.

       DÔME, s. m. S'emploie (improprement) pour coupole. Duomo, en italien, s'entend pour cathédrale, église épiscopale; comme beaucoup d'églises cathédrales d'Italie sont surmontées d'une ou de plusieurs coupoles, on a pris la partie pour le tout: on dit le dôme des Invalides, le dôme du Panthéon; on devrait dire la coupole des Invalides ou du Panthéon (voy. COUPOLE). Il duomo di Parigi, pour un Italien, c'est l'église Notre-Dame de Paris, laquelle, comme on sait, n'est pas surmontée d'une coupole.

       DONJON, s. m. Dongun, doignon, dangon 14 Le donjon appartient essentiellement à la féodalité. Ce n'est pas le castellum romain, ce n'est pas non plus le retrait, la dernière défense de la citadelle des premiers temps du moyen âge. Le donjon commande les défenses du château, mais il commande aussi les dehors et est indépendant de l'enceinte de la forteresse du moyen âge, en ce qu'il possède toujours une issue particulière sur la campagne. C'est là ce qui caractérise essentiellement le donjon, ce qui le distingue d'une tour. Il n'y a pas de château féodal sans donjon, comme il n'y avait pas, autrefois, de ville forte sans château, et comme, de nos jours, il n'y a pas de place de guerre sans citadelle. Toute bonne citadelle doit commander la ville et rester cependant indépendante de ses défenses.

      Au moyen âge, il en était de même du château, et le donjon était au château ce que celui-ci était à la ville. Les garnisons du moyen âge possédaient une défense de plus que les nôtres: chassées de la cité, elles se retiraient dans le château; celui-ci pris, elles se réfugiaient dans le donjon; le donjon serré de trop près, elles pouvaient encore courir la chance de s'échapper par une issue habilement masquée ou de passer à travers les lignes de circonvallation, la nuit, par un coup hardi. Mais cette disposition du donjon appartenant à la forteresse féodale n'était pas seulement prise pour résister ou échapper à l'ennemi du dehors, elle était la conséquence du système féodal. Un seigneur, si puissant qu'il fût, ne tenait sa puissance que de ses vassaux. Au moment du péril, ceux-ci devaient se rendre à l'appel du seigneur, se renfermer au besoin dans le château et concourir à sa défense; mais il arrivait que ces vassaux n'étaient pas toujours d'une fidélité à toute épreuve. Souvent l'ennemi les gagnait; alors le seigneur trahi n'avait d'autre refuge que son donjon, dans lequel il se renfermait avec ses gens à lui. Il lui restait alors pour dernière ressource, ou de se défendre jusqu'à l'extrémité, ou de prendre son temps pour s'échapper, ou de capituler.

      Nous l'avons dit ailleurs (voy. CHÂTEAU), le système de la défense des places, pendant la féodalité, n'était qu'une série de moyens accumulés par la défiance, non-seulement envers un ennemi déclaré, mais envers les garnisons mêmes. C'est pourquoi l'étude des forteresses de cette époque fournit un sujet inépuisable d'observations intéressantes; la défiance aiguise l'esprit et fait trouver des ressources. En effet, si quelques châteaux présentent des dispositions d'ensemble à peu près semblables, les donjons offrent, au contraire, une variété infinie, soit dans la conception générale, soit dans les détails de la défense. Les seigneurs, pouvant être à chaque instant en guerre les uns avec les autres, tenaient beaucoup à ce que leurs voisins ne trouvassent pas, s'ils venaient l'attaquer, des défenses disposées comme celles qu'ils possédaient chez eux. Chacun s'ingéniait ainsi à dérouter son ennemi, parfois l'ami de la veille; aussi lorsqu'un seigneur recevait ses égaux dans son château, fussent-ils ses amis, avait-il le soin de les loger dans un corps de bâtiment spécial, les recevait-il dans la grand'salle, dans les appartements des femmes, mais ne les conduisait-il que très-rarement dans le donjon, qui, en temps de paix, était fermé, menaçant, pendant qu'on se donnait réciproquement des témoignages d'amitié. En temps de paix, le donjon renfermait les trésors, les armes, les archives de la famille, mais le seigneur n'y logeait point; il ne s'y retirait seulement, avec sa femme et ses enfants, que s'il lui fallait appeler une garnison dans l'enceinte du château. Comme il ne pouvait y demeurer et s'y défendre seul, il s'entourait alors d'un plus ou moins grand nombre d'hommes d'armes à sa solde, qui s'y renfermaient avec lui. De là, exerçant une surveillance minutieuse sur la garnison et sur les dehors (car le donjon est toujours placé en face du point attaquable de la forteresse), СКАЧАТЬ



<p>12</p>

Ces pentures datent de la fin du XIIe siècle ou des premières années du XIIIe, et l'histoire du serrurier Biscornet est un conte populaire; il ne fait qu'indiquer la tendance des esprits, au XIVe siècle, à ne plus voir dans le diable qu'une puissance déchue, dont on avait facilement raison avec un peu d'adresse.

<p>13</p>

Voy. l'Iconographie chrétienne, histoire de Dieu, de M. Didron. Imp. roy., 1843. Nous renvoyons nos lecteurs à cet ouvrage excellent.

<p>14</p>

Dongier ou doingier, en vieux français, veut dire domination, puissance.

Cuer se ma dame ne t'ait chier, J'ai por ceu ne la guerpirois, Adès soiés en son doingier. (Chanson de Chrestien de Troies. Wackern, p. 18.)