Название: Le portrait de monsieur W. H.
Автор: Оскар Уайльд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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Je trouvai Erskine assis dans sa bibliothèque, le faux portrait de Willie Hughes en face de lui.
– Mon cher Erskine, m'écriai-je. Je viens vous faire mes excuses.
– Me faire vos excuses! dit-il. Et pourquoi?
– Pour ma lettre, répondis-je.
– Vous n'avez rien à regretter dans votre lettre, dit-il. Au contraire, vous m'avez rendu le plus grand service qui soit en votre pouvoir. Vous m'avez montré que la théorie de Cyril Graham est d'une solidité parfaite.
– Vous ne voulez pas dire que vous croyez à Willie Hugues? m'exclamai-je.
– Et pourquoi pas? répliqua-t-il. Vous m'avez fait la preuve de son existence. Croyez-vous que je ne sache pas priser à son prix la valeur de l'évidence?
En m'enfonçant dans un fauteuil, je gémis:
– Mais il n'y a là aucune espèce d'évidence. Quand je vous ai écrit, j'étais sous l'influence d'un enthousiasme tout à fait niais. J'avais été ému par l'histoire de la mort de Cyril Graham, fasciné par le romanesque de sa théorie, conquis par le merveilleux et la nouveauté de ses aperçus. Je vois maintenant que la théorie est basée sur une illusion. La seule preuve de l'existence de Willie Hughes est ce portrait qui est là devant vous et ce portrait est un faux. Ne vous laissez donc pas entraîner par un pur sentiment dans cette affaire. Quoique le roman puisse plaider en faveur de la théorie de Willie Hughes, la raison a prononcé contre elle un arrêt définitif.
– Je ne vous comprends pas, fit Erskine en me regardant avec stupéfaction. Quoi! vous-même, vous m'avez convaincu par votre lettre que Willie Hughes était une réalité absolue. Pourquoi avez- vous changé de conviction? Ou bien tout ce que vous m'avez dit n'était-il qu'un simple jeu?
– Je ne puis vous expliquer cela, répliquai-je, mais je vois maintenant qu'il n'y a réellement rien à dire en faveur de l'interprétation de Cyril Graham. Les _Sonnets _sont adressés à lord Pembroke. Pour l'amour du ciel, ne gaspillez pas votre temps dans une tentative folle pour découvrir un jeune acteur de l'époque d'Elisabeth qui n'a jamais existé et pour faire de cette marionnette fantôme le centre du grand cycle des _Sonnets _de Shakespeare.
– Je vois que vous ne comprenez pas la théorie, répliqua-t-il.
– Que je ne la comprends pas, mon cher Erskine! m'écriai-je. Mais je la sens, comme si je l'avais inventée. Sûrement ma lettre vous prouve que non seulement je possède toute la question, mais que j'ai apporté mon contingent de preuves de tout genre. Le seul défaut de la théorie est qu'elle présuppose l'existence de la personne dont l'existence est en discussion. Si nous admettons qu'il y avait dans la troupe de Shakespeare un jeune acteur du nom de Willie Hughes, il n'est pas difficile d'en faire l'objet des _Sonnets, _mais comme nous savons qu'il n'y avait pas d'acteur de ce nom dans la compagnie du Théâtre du Globe, il est inutile de pousser plus loin les recherches.
– Mais c'est exactement ce que nous ne savons pas, dit Erskine. Il est tout à fait vrai que son nom ne se trouve pas sur la liste donnée à la première page, mais comme Cyril l'indiqua, c'est plutôt là une preuve de l'existence de Willie Hughes qu'une preuve contraire si nous nous souvenons qu'il abandonna avec perfidie Shakespeare au profit d'un rival dramatique.
Nous raisonnâmes là-dessus pendant des heures, mais rien de ce que je pus dire, ne put obliger Erskine à renoncer à sa confiance dans l'interprétation de Cyril Graham.
Il me dit qu'il prétendait vouer sa vie à prouver la théorie et qu'il était déterminé à faire rendre justice à la mémoire de Cyril Graham.
Je le priai. Je le raillai, je le suppliai, mais cela ne servit à rien.
Bref, nous nous séparâmes, non pas tout à fait fâchés, mais certainement avec une ombre entre nous.
Il me crut borné; je le crus fou.
Quand je me rendis chez lui de nouveau, son domestique me dit qu'il était parti pour l'Allemagne.
Deux ans plus tard, comme j'entrais à mon club, le valet de service à la conciergerie me remit une lettre qui portait le timbre de l'étranger.
Elle venait d'Erskine qui m'écrivait de l'hôtel d'Angleterre à Cannes.
Quand je lus sa lettre, je fus rempli d'horreur, bien que je ne pusse vraiment croire qu'il serait assez fou pour exécuter sa résolution.
Le point principal de sa lettre était qu'il avait essayé par tous les moyens possibles de vérifier la théorie de Willie Hughes et qu'il avait échoué, de même que Cyril Graham avait donné sa vie pour cette théorie, il avait résolu de donner la sienne, également pour la même cause.
La conclusion de la lettre était celle-ci:
«Je crois encore à Willie Hughes et au moment où vous recevrez ceci, je serai mort de ma propre main pour l'amour de Willie Hughes, pour lui et pour Cyril Graham que j'ai poussé à mourir par mon scepticisme niais et mon ignorant manque de foi.
«La vérité vous fut une fois révélée. Vous l'avez rejetée.
«Maintenant vous voilà taché du sang de deux hommes: ne vous en détournez plus.»
Ce fut un moment horrible.
J'en étais malade de chagrin et, pourtant je n'y pouvais croire.
Mourir pour ses croyances religieuses est le pire usage qu'on puisse faire de sa vie; mais mourir pour une théorie littéraire cela semblait impossible.
Je regardai la date.
La lettre avait été écrite une semaine avant.
Quelque malencontreuse chance m'avait détourné d'aller au club pendant quelques jours: Là, j'aurais pu la recevoir à temps pour le sauver.
Peut-être il n'était pas trop tard.
Je courus chez moi. Je fis mes bagages et je partis de Charing-
Cross par le train de nuit.
Le voyage fut insupportable. Je crus que je n'arriverais jamais.
Sitôt débarqué, je courus à l'hôtel d'Angleterre.
On me dit qu'Erskine avait été enterré deux jours avant au cimetière des Anglais.
Il y avait dans toute cette tragédie quelque chose d'horriblement grotesque.
Je dis toute sorte de paroles incohérentes dans le hall de l'hôtel et on me regardait d'un air de curiosité.
Tout à coup, lady Erskine, en grand deuil, traversa le vestibule.
Quand elle me vit, elle vint à moi, murmura quelques mots sur son pauvre fils et fondit en larmes.
Je la conduisis dans son salon.
Un vieux monsieur prit soin d'elle: c'était le médecin anglais.
Nous causâmes beaucoup d'Erskine, mais je ne soufflai mot des mobiles qui l'avaient poussé au suicide. Il était évident qu'il n'avait rien dit à sa mère de la raison qui l'avait amené à un acte si funeste, si fou.