La Curée. Emile Zola
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Название: La Curée

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ fait souple et insinuant. En quelques mois, il devint un comédien prodigieux. Toute sa verve méridionale s'était éveillée, et il poussait l'art si loin, que ses camarades de l'Hôtel de Ville le regardaient comme un bon garçon que sa proche parenté avec un député désignait à l'avance pour quelque gros emploi. Cette parenté lui attirait également la bienveillance de ses chefs. Il vivait ainsi dans une sorte d'autorité supérieure à son emploi, qui lui permettait d'ouvrir certaines portes et de mettre le nez dans certains cartons, sans que ses indiscrétions parussent coupables. On le vit, pendant deux ans, rôder dans tous les couloirs, s'oublier dans toutes les salles, se lever vingt fois par jour pour aller causer avec un camarade, porter un ordre, faire un voyage à travers les bureaux, éternelles promenades qui faisaient dire à ses collègues: «Ce diable de Provençal! il ne peut se tenir en place: il a du vif-argent dans les jambes.» Ses intimes le prenaient pour un paresseux, et le digne homme riait, quand ils l'accusaient de ne chercher qu'à voler quelques minutes à l'administration. Jamais il ne commit la faute d'écouter aux serrures; mais il avait une façon carrée d'ouvrir les portes, de traverser les pièces, un papier à la main, l'air absorbé, d'un pas si lent et si régulier qu'il ne perdait pas un mot des conversations. Ce fut une tactique de génie; on finit par ne plus s'interrompre au passage de cet employé actif, qui glissait dans l'ombre des bureaux et qui paraissait si préoccupé de sa besogne. Il eut encore une autre méthode; il était d'une obligeance extrême, il offrait à ses camarades de les aider dès qu'ils se mettaient en retard dans leur travail, et il étudiait alors les registres, les documents qui lui passaient sous les yeux, avec une tendresse recueillie. Mais un de ses péchés mignons fut de lier amitié avec les garçons de bureau. Il allait jusqu'à leur donner des poignées de main. Pendant des heures, il les faisait causer, entre deux portes, avec de petits rires étouffés, leur contant des histoires, provoquant leurs confidences. Ces braves gens l'adoraient, disaient de lui: «En voilà un qui n'est pas lier!» Dès qu'il y avait un scandale, il en était informé le premier. C'est ainsi qu'au bout de deux ans, l'Hôtel de Ville n'eut plus de mystères pour lui. Il en connaissait le personnel jusqu'au dernier des lampistes, et les paperasses jusqu'aux notes dei blanchisseuses.

      A cette heure, Paris offrait, pour un homme comme Aristide Saccard, le plus intéressant des spectacles.

      L'Empire venait d'être proclamé, après ce fameux voyage pendant lequel le prince président avait réussi à chauffer l'enthousiasme de quelques départements bonapartistes. Le silence s'était fait à la tribune et dans les journaux. La société, sauvée encore une fois, se félicitait, se reposait, faisait la grasse matinée, maintenant qu'un gouvernement fort la protégeait et lui ôtait jusqu'au souci de penser et de régler ses affaires. La grande préoccupation de la société était de savoir à quels amusements elle allait tuer le temps. Selon l'heureuse expression d'Eugène Rougon, Paris se mettait à table et rêvait gaudrioles au dessert. La politique épouvantait, comme une drogue dangereuse. Les esprits lassés se tournaient vers les affaires et les plaisirs. Ceux qui possédaient déterraient leur argent, et ceux qui ne possédaient pas cherchaient dans les coins les trésors oubliés.

      Il y avait, au fond de la cohue, un frémissement sourd, un bruit naissant de pièces de cent sous, des rires clairs de femmes, des tintements encore affaiblis de vaisselle et de baisers. Dans le grand silence de l'ordre, dans la paix aplatie du nouveau règne montaient toutes sortes de rumeurs aimables, de promesses dorées et voluptueuses.

      Il semblait qu'on passât devant une de ces petites maisons dont les rideaux soigneusement tirés ne laissent voir que des ombres de femmes, et où l'on entend l'or sonner sur le marbre des cheminées. L'Empire allait faire de Paris le mauvais lieu de l'Europe. Il fallait à cette poignée d'aventuriers qui venaient de voler un trône, un règne d'aventures, d'affaires véreuses, de consciences vendues, de femmes achetées, de soûlerie furieuse et universelle. Et, dans la ville où le sang de décembre était à peine lavé, grandissait, timide encore, cette folie de jouissance qui devait jeter la patrie au cabanon des nations pourries et déshonorées.

      Aristide Saccard, depuis les premiers jours, sentait venir ce flot montant de la spéculation, dont l'écume allait couvrir Paris entier. Il en suivit les progrès avec une attention profonde. Il se trouvait au beau milieu de la pluie chaude d'écus tombant dru sur les toits de la cité. Dans ses courses continuelles à travers l'Hôtel de Ville, il avait surpris le vaste projet de la transformation de Paris, le plan de ces démolitions, de ces voies nouvelles et de ces quartiers improvisés, de cet agio formidable sur la vente des terrains et des immeubles, qui allumait, aux quatre coins de la ville, la bataille des intérêts et le flamboiement du luxe à outrance. Dès lors, son activité eut un but. Ce fut à cette époque qu'il devint bon enfant. Il engraissa même un peu, il cessa de courir les rues comme un chat maigre en quête d'une proie.

      Dans son bureau, il était plus causeur, plus obligeant que jamais. Son frère, auquel il allait rendre des visites en quelque sorte officielles, le félicitait de mettre si heureusement ses conseils en pratique. Vers le commencement de 185, Saccard lui confia qu'il avait en vue plusieurs affaires, mais qu'il lui faudrait d'assez fortes avances.

      – On cherche, dit Eugène.

      – Tu as raison, je chercherai, répondit-il sans la moindre mauvaise humeur, sans paraître s'apercevoir que son frère refusait de lui fournir les premiers fonds.

      C'étaient ces premiers fonds dont la pensée le brûlait maintenant. Son plan était fait; il le mûrissait chaque jour. Mais les premiers milliers de francs restaient introuvables. Ses volontés se tendirent davantage; il ne regarda plus les gens que d'une façon nerveuse et profonde, comme s'il eût cherché un prêteur dans le premier passant venu. Au logis, Angèle continuait à mener sa vie effacée et heureuse. Lui, guettait une occasion, et ses rires de bon garçon devenaient plus aigus à mesure que cette occasion tardait à se présenter.

      Aristide avait une sœur à Paris. Sidonie Rougon s'était mariée à un clerc d'avoué de Plassans qui était venu tenter avec elle, rue Saint-Honoré, le commerce des fruits du Midi. Quand son frère la retrouva, le mari avait disparu, et le magasin était mangé depuis longtemps. Elle habitait, rue du Faubourg-Poissonnière, un petit entresol, composé de trois pièces. Elle louait aussi la boutique du bas, située sous son appartement, une boutique étroite et mystérieuse, dans laquelle elle prétendait tenir un commerce de dentelles; il y avait effectivement, dans la vitrine, des bouts de guipure et de la Valenciennes, pendus sur des tringles dorées; mais, à l'intérieur, on eût dit une antichambre, aux boiseries luisantes, sans la moindre apparence de marchandises. La porte et la vitrine étaient garnies de légers rideaux qui, en mettant le magasin à l'abri des regards de la rue, achevaient de lui donner l'air discret et voilé d'une pièce d'attente, s'ouvrant sur quelque temple inconnu. Il était rare qu'on vît entrer une cliente chez, Mme Sidonie; le plus souvent même, le bouton de la porte était enlevé.

      Dans le quartier, elle répétait qu'elle allait elle-même offrir ses dentelles aux femmes riches. L'aménagement de l'appartement lui avait seul fait, disait-elle, louer la boutique et l'entresol, qui communiquaient par un escalier caché dans le mur. En effet, la marchande de dentelles était toujours dehors; on la voyait dix fois en un jour sortir et rentrer, d'un air pressé. D'ailleurs, elle ne s'en tenait pas au commerce des dentelles; elle utilisait son entresol, elle l'emplissait de quelque solde ramassé on ne savait où. Elle y avait vendu des objets en caoutchouc, manteaux, souliers, bretelles, etc.; puis on y vit successivement une huile nouvelle pour faire pousser les cheveux, des appareils orthopédiques, une cafetière automatique, invention brevetée, dont l'exploitation lui donna bien du mal. Lorsque son frère vint la voir, elle plaçait des pianos, son entresol était encombré de ces instruments; il y avait des pianos jusque dans sa chambre à coucher, une chambre très coquettement ornée, et qui jurait avec le pêle-mêle boutiquier des deux autres pièces. Elle tenait ses deux commerces avec une méthode parfaite; les clients qui venaient pour les marchandises de l'entresol, entraient et sortaient par une porte cochère que la maison avait sur la rue Papillon; il fallait être dans le mystère du petit escalier pour connaître le trafic en partie double de СКАЧАТЬ