OEuvres complètes de Guy de Maupassant - volume 06. Guy de Maupassant
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      Je me vêtis à la hâte; j’ouvris; elle entra. «J’ai oublié, dit-elle, de vous demander ce que vous prenez le matin: du chocolat, du thé, ou du café?»

      Je l’avais enlacée impétueusement, la dévorant de caresses, bégayant: «Je prends... je prends... je prends...» Mais elle me glissa entre les bras, souffla ma lumière et disparut.

      Je restai seul, furieux, dans l’obscurité, cherchant des allumettes, n’en trouvant pas. J’en découvris enfin et je sortis dans le corridor, à moitié fou, mon bougeoir à la main.

      Qu’allais-je faire? Je ne raisonnais plus; je voulais la trouver; je la voulais. Et je fis quelques pas sans réfléchir à rien. Puis je pensai brusquement: «Mais si j’entre chez l’oncle? que dirais-je?..» Et je demeurai immobile, le cerveau vide, le cœur battant. Au bout de plusieurs secondes, la réponse me vint: «Parbleu je dirai que je cherchais la chambre de Rivet pour lui parler d’une chose urgente.»

      Et je me mis à inspecter les portes, m’efforçant de découvrir la sienne, à elle. Mais rien ne pouvait me guider. Au hasard je pris une clef que je tournai. J’ouvris, j’entrai... Henriette, assise dans son lit, effarée, me regardait.

      Alors je poussai doucement le verrou; et, m’approchant sur la pointe des pieds, je lui dis: «J’ai oublié, mademoiselle, de vous demander quelque chose à lire.» Elle se débattait; mais j’ouvris bientôt le livre que je cherchais. Je n’en dirai pas le titre. C’était vraiment le plus merveilleux des romans, et le plus divin des poèmes.

      Une fois tournée la première page, elle me le laissa parcourir à mon gré; et j’en feuilletai tant de chapitres que nos bougies s’usèrent jusqu’au bout.

      Puis, après l’avoir remerciée, je regagnais, à pas de loup, ma chambre, quand une main brutale m’arrêta; et une voix, celle de Rivet, me chuchota dans le nez: «Tu n’as donc pas fini d’arranger l’affaire de ce cochon de Morin?»

      Dès sept heures du matin elle m’apportait elle-même une tasse de chocolat. Je n’en ai jamais bu de pareil. Un chocolat à s’en faire mourir, moelleux, velouté, parfumé, grisant. Je ne pouvais ôter ma bouche des bords délicieux de sa tasse.

      A peine la jeune fille était-elle sortie que Rivet entra. Il semblait un peu nerveux, agacé comme un homme qui n’a guère dormi, il me dit d’un ton maussade: «Si tu continues, tu sais, tu finiras par gâter l’affaire de ce cochon de Morin.»

      A huit heures, la tante arrivait. La discussion fut courte. Les braves gens retiraient leur plainte, et je laisserais cinq cents francs aux pauvres du pays.

      Alors on voulut nous retenir à passer la journée. On organiserait même une excursion pour aller visiter des ruines. Henriette derrière le dos de ses parents me faisait des signes de tête: «Oui, restez donc.» J’acceptais, mais Rivet s’acharna à s’en aller.

      Je le pris à part; je le priai, je le sollicitai; je lui disais: «Voyons, mon petit Rivet, fais cela pour moi.» Mais il semblait exaspéré et me répétait dans la figure: «J’en ai assez, entends-tu, de l’affaire de ce cochon de Morin.»

      Je fus bien contraint de partir aussi. Ce fut un des moments les plus durs de ma vie. J’aurais bien arrangé cette affaire-là pendant toute mon existence.

      Dans le wagon, après les énergiques et muettes poignées de main des adieux, je dis à Rivet: «Tu n’es qu’une brute.» Il répondit: «Mon petit, tu commençais à m’agacer bougrement.»

      En arrivant aux bureaux du Fanal, j’aperçus une foule qui nous attendait... On cria dès qu’on nous vit: «Eh bien, avez-vous arrangé l’affaire de ce cochon de Morin?»

      Tout la Rochelle en était troublé. Rivet, dont la mauvaise humeur s’était dissipée en route, eut grand’peine à ne pas rire en déclarant: «Oui, c’est fait, grâce à Labarbe.»

      Et nous allâmes chez Morin.

      Il était étendu dans un fauteuil, avec des sinapismes aux jambes et des compresses d’eau froide sur le crâne, défaillant d’angoisse. Et il toussait sans cesse, d’une petite toux d’agonisant, sans qu’on sût d’où lui était venu ce rhume. Sa femme le regardait avec des yeux de tigresse prête à le dévorer.

      Dès qu’il nous aperçut, il eut un tremblement qui lui secouait les poignets et les genoux. Je dis: «C’est arrangé, salaud, mais ne recommence pas.»

      Il se leva, suffoquant, me prit les mains, les baisa comme celles d’un prince, pleura, faillit perdre connaissance, embrassa Rivet, embrassa même Mme Morin qui le rejeta d’une poussée dans son fauteuil.

      Mais il ne se remit jamais de ce coup-là, son émotion avait été trop brutale.

      On ne l’appelait plus dans toute la contrée que «ce cochon de Morin», et cette épithète le traversait comme un coup d’épée chaque fois qu’il l’entendait.

      Quand un voyou dans la rue criait: «Cochon», il se retournait la tête par instinct. Ses amis le criblaient de plaisanteries horribles, lui demandant, chaque fois qu’ils mangeaient du jambon: «Est-ce du tien?»

      Il mourut deux ans plus tard.

      Quant à moi, me présentant à la députation, en 1875, j’allai faire une visite intéressée au nouveau notaire de Tousserre, Me Belloncle. Une grande femme opulente et belle me reçut.

      «Vous ne me reconnaissez pas? dit-elle.» Je balbutiai: «Mais... non... madame.»

      — «Henriette Bonnel.»

      — «Ah!» — Et je me sentis devenir pâle.

      Elle semblait parfaitement à son aise, et souriait en me regardant.

      Dès qu’elle m’eut laissé seul avec son mari, il me prit les mains, les serrant à les broyer: «Voici longtemps, cher monsieur, que je veux aller vous voir. Ma femme m’a tant parlé de vous. Je sais... oui, je sais en quelle circonstance douloureuse vous l’avez connue, je sais aussi comme vous avez été parfait, plein de délicatesse, de tact, de dévouement dans l’affaire...» Il hésita, puis prononça plus bas, comme s’il eût articulé un mot grossier «... Dans l’affaire de ce cochon de Morin.»

NOTE

       Ce Cochon de Morin a paru dans le Gil Blas du mardi 21 novembre 1882, sous la signature: Maufrigneuse.

      Quelques modifications de détail: le texte du Gil Blas est plus court que celui du livre; les faits sont les mêmes, la nouvelle se développe avec les mêmes incidents, mais les chapitres II et III ont été particulièrement revus par l’auteur, qui s’est appliqué à donner à ses personnages une attitude plus comique.

      LA FOLLE

A Robert de Bonnières.

      Tenez, dit M. Mathieu d’Endolin, les bécasses me rappellent une bien sinistre anecdote de la guerre.

      Vous connaissez ma propriété dans le faubourg de Cormeil. Je l’habitais au moment de l’arrivée des Prussiens.

      J’avais СКАЧАТЬ