Название: Histoire de ma Vie, Livre 3 (Vol. 10 - 13)
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
isbn:
J'ai toujours aimé ce pays, cette nature et ce silence. Je n'en chéris pas seulement le charme, j'en subis le poids, et il m'en coûte de le secouer, quand même j'en vois le danger. Mais mon mari n'était pas né pour l'étude et la méditation. Quoique Gascon, il n'était pas non plus naturellement enjoué. Sa mère était Espagnole, son père descendait de l'Écossais Law. La réflexion ne l'attristait pas, comme moi. Elle l'irritait. Il se fût soutenu dans le Midi. Le Berry l'accabla. Il le détesta longtemps: mais quand il en eut goûté les distractions et contracté les habitudes, il s'y cramponna comme à une seconde patrie.
Je compris bientôt que je devais m'efforcer d'étendre mes relations, que la vieillesse et la maladie de ma grand'mère avaient beaucoup restreintes et que mes années d'absence avaient encore refroidies. Je retrouvai mes compagnons d'enfance, qui, en général, ne plurent pas à M. Dudevant. Il se fit d'autres amis. J'acceptai franchement ceux qui me furent sympathiques sur quelque point, et j'attirai de plus loin ceux qui devaient convenir à lui comme à moi.
Le bon James et son excellente femme, ma chère mère Angèle, vinrent passer deux ou trois mois avec nous. Puis leur sœur, Mme Saint-Aignan avec ses filles. L'aînée, Félicie, était un ange.
Les Malus vinrent aussi. Le plus jeune, Adolphe; un cœur d'or, ayant été malade chez nous, nous lui fîmes la conduite jusqu'à Blois, avec mon frère, et nous vîmes le vieux château, alors converti en caserne et en poudrière, et abandonné aux dégradations des soldats, dont le bruit et le mouvement n'empêchaient pas certains corps de logis d'être occupés par des myriades d'oiseaux de proie. Dans le bâtiment de Gaston d'Orléans, le guano des hibous et des chouettes était si épais qu'il était impossible d'y pénétrer.
Je n'avais jamais vu une aussi belle chose de la renaissance que ce vaste monument, tout abandonné et dévasté qu'il était. Je l'ai revu restauré, lambrissé, admirablement rajeuni et pour ainsi dire retrouvé sous les outrages du temps et de l'incurie; mais ce que je n'ai pas retrouvé, moi, c'est l'impression étrange et profonde que je subis la première fois, lorsque au lever du soleil, je cueillis des violiers jaunes dans les crevasses des pierres fatidiques de l'observatoire de Catherine de Médicis.
En 1827, nous passâmes une quinzaine aux eaux du Mont-d'Or. J'avais fait une chute, et souffris longtemps d'une entorse. Maurice vint avec nous. Il se faisait gamin et commençait à regarder la nature avec ses grands yeux attentifs, tout au beau milieu de son vacarme.
L'Auvergne me sembla un pays adorable. Moins vaste et moins sublime que les Pyrénées, il en avait la fraîcheur, les belles eaux et les recoins charmans. Les bois de sapins sont même plus agréables que les épicéas des grandes montagnes. Les cascades, moins terribles, ont de plus douces harmonies, et le sol, moins tourmenté par les orages et les éboulemens, se couvre partout de fleurs luxuriantes.
Ursule était venue vivre chez moi en qualité de femme de charge. Cela ne put durer. Il y eut incompatibilité d'humeur entre elle et mon mari. Elle m'en voulut un peu de ne pas m'être prononcée pour elle. Elle me quitta presque fâchée, et puis, tout aussitôt, elle comprit que je n'avais pas dû agir autrement et me rendit son amitié, qui ne s'est jamais démentie depuis. Elle se maria à La Châtre avec un excellent homme qui l'a rendue heureuse, et elle est maintenant le seul être avec qui je puisse, sans lacune notable, repasser toute ma vie, depuis la première enfance jusqu'au demi-siècle accompli.
Les élections de 1827 signalèrent un mouvement d'opposition très marqué et très général en France. La haine du ministère Villèle produisit une fusion définitive entre les libéraux et les bonapartistes, qu'ils fussent noblesse ou bourgeoisie. Le peuple resta étranger au débat dans notre province; les fonctionnaires seuls luttaient pour le ministère; pas tous, cependant. Mon cousin Auguste de Villeneuve vint du Blanc voter à La Châtre, et, quoique fonctionnaire éminent (il était toujours trésorier de la ville de Paris), il se trouva d'accord avec mon mari et ses amis pour nommer M. Duris-Dufresne. Il passa quelques jours chez nous et me témoigna, ainsi qu'à Maurice, qu'il appelait son grand-oncle, beaucoup d'affection. J'oubliai qu'il m'avait fort blessée autrefois, en voyant qu'il ne s'en doutait pas et me traitait paternellement.
M. Duris-Dufresne, beau-frère du général Bertrand, était un républicain de vieille roche. C'était un homme d'une droiture antique, d'une grande simplicité de cœur, d'un esprit aimable et bienveillant. J'aimais ce type d'un autre temps, encore empreint de l'élégance du Directoire, avec des idées et des mœurs plus laconiennes. Sa petite perruque rase et ses boucles d'oreilles donnaient de l'originalité à sa physionomie vive et fine. Ses manières avaient une distinction extrême. C'était un jacobin fort sociable.
Mon mari, s'occupant beaucoup d'opposition à cette époque, était presque toujours à la ville. Il désira s'y créer un centre de réunion et y louer une maison où nous donnâmes des bals et des soirées qui continuèrent même après la nomination de M. Duris-Dufresne.
Mais nos réceptions donnèrent lieu à un scandale fort comique. Il y avait alors, et il y a encore un peu à La Châtre, deux ou trois sociétés, qui, de mémoire d'homme, ne s'étaient mêlées à la danse. Les distinctions entre la première, la seconde et la troisième étaient fort arbitraires, et la délimitation insaisissable pour qui n'avait pas étudié à fond la matière.
Bien qu'en guerre d'opinions avec la sous-préfecture, j'étais fort liée avec M. et Mme de Périgny, couple aimable et jeune, avec qui j'avais les meilleures relations de voisinage. Eux aussi voulurent ouvrir leur salon; leur position leur en faisait une sorte de devoir, et nous convîmes de simplifier de détail des invitations en nous servant de la même liste.
Je leur communiquai la mienne, qui était fort générale, et où naturellement j'avais inscrit toutes les personnes que je connaissais tant soit peu. Mais, ô abomination, il se trouva que plusieurs des familles que j'aimais et estimais à plus juste titre étaient reléguées au second et au troisième rang dans les us et coutumes de l'aristocratie bourgeoise de La Châtre. Aussi, quand ces hauts personnages se virent en présence de leurs inférieurs, il y eut colère, indignation, malédiction sur l'arrogant sous-préfet qui n'avait agi ainsi, disait-on, que pour marquer son mépris à tous les gens du pays, en les mettant comme des œufs dans le même panier.
La semaine suivante,
Le punch est préparé;
La maîtresse est brillante,
Le salon est ciré.
Il vint trois invités, de chétive encolure:
Dans la ville on disait: bravo!
On donne un bal incognito
A la sous-préfecture.
Ce couplet d'une chanson que je fis le soir même avec Duteil, contient en peu de mots le récit véridique de l'immense événement. En la relisant, je vois que, sans être bien drôle, cette chanson est affaire de mœurs locales, et qu'elle mérite de rester dans les archives de la tradition... à La Châtre! Elle est intitulée: Soirée administrative, ou le Sous-préfet philosophe. Voici les deux premiers couplets qui résument l'affaire. C'est sur l'air des Bourgeois de Chartres:
Habitans de La Châtre,
Nobles, bourgeois, vilains,
D'un СКАЧАТЬ