Название: Le morne au diable
Автор: Эжен Сю
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
isbn:
Angèle frappa sur un gong; la jeune métisse, qui avait entendu la conversation précédente, entra. Elle portait une robe de guinée blanche à raies écarlates, et avait des anneaux d’argent aux bras et aux jambes.
– Mirette, as-tu fini de ranger les fleurs là-dedans? lui dit la Barbe-Bleue.
– Oui, maîtresse.
– Tu nous écoutais?
– Non, maîtresse.
– D’ailleurs, ça m’est égal… je parle, c’est pour qu’on m’entende… Fais-nous donner à souper, Mirette.
Puis s’adressant au capitaine:
– Quel vin veux-tu?
– Du vin de Xérès, mais glacé. C’est un caprice…
Mirette sortit un moment, et revint bientôt procéder aux préparatifs du couvert.
– A propos, dit l’Ouragan, j’oubliais de te prévenir d’un très grand événement.
– Quoi donc? un de mes défunts qui revient?
– Ma foi, à peu près.
– Comment… Ah! monsieur Jacques, monsieur Jacques, pas de mauvaises plaisanteries, dit Angèle en prenant un air effrayé.
– Non, ce n’est pas un défunt, un spectre, mais un prétendant bien vivant qui ne demande qu’à être ton mari.
– Il veut m’épouser?
– Il veut t’épouser.
– Ah! le malheureux! il s’ennuie donc bien de vivre? s’écria Angèle en éclatant de rire.
Mirette, à ces mots, se signa tout en surveillant le service de deux autres mulâtresses qui apportaient des bouteilles de verre de Bohème couvertes d’arabesques d’or, et des piles d’assiettes de magnifiques porcelaines du Japon.
La Barbe-Bleue continua:
– Mon amoureux n’est-donc pas de ce pays?
– Non certes! car malgré vos richesses, ma chère, je vous défierais bien de trouver un quatrième mari, grâce à votre infernale réputation…
– Et d’où sort-il donc, cet épouseur, mon cher Jacques?
– Il vient de France.
– De France?.. il vient de France pour m’épouser! diable!..
– Angèle, vous savez que je n’aime pas vous entendre jurer, dit le mulâtre avec un sérieux comique.
– Pardon, monsieur l’Ouragan, dit la jeune femme en baissant les yeux d’un air hypocrite. Cette exclamation signifiait que je trouvais très étonnante la nouvelle que vous me donniez… Il paraît que ma réputation commence à parvenir en Europe.
– N’ayez pas cette vanité, ma chère. C’est à bord de la Licorne que ce digne paladin a entendu parler de vous, et, sur la seule évaluation de vos richesses, il est devenu amoureux, mais amoureux fou… de vous… Voilà qui rabaissera, je l’espère, votre orgueil?
– L’impertinent! et quel homme est-ce… Jacques?
– Le chevalier de Croustillac.
– Tu dis?
– Le chevalier de Croustillac.
– C’est là le nom de… mon prétendant?.. – et Angèle partit d’un fou rire que rien ne put arrêter, et le mulâtre partagea bientôt son hilarité.
Tous deux se calmaient à peine lorsque Mirette rentra, précédant deux autres métisses qui apportaient une table splendidement servie en vaisselle de vermeil.
Les deux esclaves posèrent la table près du divan; le capitaine se leva pour prendre un siége, pendant qu’Angèle, agenouillée sur le bord du sofa, découvrait les plats les uns après les autres et furetait la table avec des gestes et des mines de chatte gourmande.
– As-tu faim, Jacques?.. moi, je dévore, dit Angèle. Et, pour prouver sans doute la vérité de cette assertion, elle entr’ouvrit ses lèvres de corail et montra deux rangées de ravissantes petites dents qu’elle fit claquer par deux fois.
– Angèle, ma chère, vous êtes décidément très mal élevée, dit le capitaine en lui servant une tranche de dorade au coulis de jambon d’une odeur appétissante.
– Capitaine l’Ouragan, si je vous reçois à ma table, ce n’est pas pour être grondée, dit Angèle en faisant une imperceptible et mutine grimace au mulâtre. Puis elle ajouta, tout en attaquant très bravement sa tranche de dorade et en becquetant dans son pain comme un oiseau:
– N’est-ce pas, Mirette, que s’il me gronde je ne le recevrai plus?
– Non, maîtresse, dit Mirette.
– Et que je donnerai sa place à Arrache-l’Ame, le boucanier?
– Oui, maîtresse.
– Ou à Youmaalë, le Caraïbe?
– Oui, maîtresse.
– Voyez-vous cela, monsieur? dit Angèle.
– Allez, allez, ma chère, je ne suis pas jaloux, vous le savez; la beauté est comme le soleil, elle luit pour tout le monde.
– Puisque vous n’êtes pas plus jaloux que ça, je vous pardonne. Servez-moi de ce que vous avez devant vous. Qu’est-ce que ça, Mirette?
– Maîtresse, des prigues frits dans la graisse de ramier.
– Qui vaut au moins la graisse de caille, dit l’Ouragan, mais il faut ajouter un jus de limon pendant que la friture est toute chaude.
– Voyez-vous, le gourmand… Ah çà! et mon épouseur? je l’oubliais… Donnez-moi à boire, Mirette.
Le flibustier, tout corsaire qu’il était, prévint la métisse, et versa du vin de Xérès glacé à Angèle.
– Faut-il que je vous aime… pour boire cela, moi qui préfère les vins de France.
Et la Barbe-Bleue but très résolument trois doigts de vin de Xérès qui donna un nouvel éclat à ses lèvres roses, à ses yeux bleus et anima ses joues rondelettes d’une teinte incarnate.
– Ah çà! mon épouseur… mon épouseur, reprit-elle, comment est-il? Est-il gentil? est-il digne d’aller rejoindre les autres?..
Mirette, malgré sa soumission passive, ne put s’empêcher de tressaillir encore en entendant sa maîtresse parler ainsi, quoique la pauvre esclave dût être habituée à ces abominables plaisanteries, et sans doute à de bien plus grandes énormités.
– Qu’est-ce СКАЧАТЬ