Название: Lettres d'un voyageur
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Suspendu entre la terre et le ciel, avide de l'un, curieux de l'autre, dédaigneux de la gloire, effrayé du néant, incertain, tourmenté, changeant, tu vivais seul au milieu des hommes; tu fuyais la solitude et la trouvais partout. La puissance de ton âme te fatiguait. Tes pensées étaient trop vastes, tes désirs trop immenses, tes épaules débiles pliaient sous le fardeau de ton génie. Tu cherchais dans les voluptés incomplètes de la terre l'oubli des biens irréalisables que tu avais entrevus de loin. Mais quand la fatigue avait brisé ton corps, ton âme se réveillait plus active et ta soif plus ardente. Tu quittais les bras de tes folles maîtresses pour t'arrêter en soupirant devant les vierges de Raphaël. – Quel est donc, disait, à propos de toi, un pieux et tendre songeur, ce jeune homme qui s'inquiète tant de la blancheur des marbres?
Comme ce fleuve des montagnes que j'entends mugir dans les ténèbres, tu es sorti de ta source plus pur et plus limpide que le cristal, et tes premiers flots n'ont réfléchi que la blancheur des neiges immaculées. Mais, effrayé sans doute du silence de la solitude, tu t'es élancé sur une pente rapide, tu t'es précipité parmi des écueils terribles, et, du fond des abîmes, ta voix s'est élevée, comme le rugissement d'une joie âpre et sauvage.
De temps en temps, tu te calmais en te perdant dans un beau lac, heureux de te reposer au sein de ses ondes paisibles et de refléter la pureté du ciel. Amoureux de chaque étoile qui se mirait dans ton sein, tu lui adressais de mélancoliques adieux quand elle quittait l'horizon.
Dans l'herbe des marais, un seul instant arrête,
Étoile de l'amour, ne descends pas des cieux.
Mais bientôt, las d'être immobile, tu poursuivais ta course haletante parmi les rochers, tu les prenais corps à corps, tu luttais avec eux, et quand tu les avais renversés, tu partais avec un chant de triomphe, sans songer qu'ils t'encombraient dans leur chute et creusaient dans ton sein des blessures profondes.
L'amitié s'était enfin révélée à ton cœur solitaire et superbe. Tu daignas croire à un autre qu'à toi-même, orgueilleux infortuné! tu cherchas dans son cœur le calme et la confiance. Le torrent s'apaisa et s'endormit sous un ciel tranquille. Mais il avait amassé, dans son onde, tant de débris arrachés à ses rives sauvages, qu'elle eut bien de la peine à s'éclaircir. Comme celle de la Brenta, elle fut longtemps troublée, et sema la vallée qui lui prêtait ses fleurs et ses ombrages, de graviers stériles et de roches aiguës. Ainsi fut longtemps tourmentée et déchirée la vie nouvelle que tu venais essayer. Ainsi le souvenir des turpitudes que tu avais contemplées vint empoisonner, de doutes cruels et d'amères pensées, les pures jouissances de ton âme encore craintive et méfiante.
Ainsi ton corps, aussi fatigué, aussi affaibli que ton cœur, céda au ressentiment de ses anciennes fatigues, et comme un beau lis se pencha pour mourir. Dieu, irrité de ta rébellion et de ton orgueil, posa sur ton front une main chaude de colère, et, en un instant, tes idées se confondirent, ta raison t'abandonna. L'ordre divin établi dans les fibres de ton cerveau fut bouleversé. La mémoire, le discernement, toutes les nobles facultés de l'intelligence, si déliées en toi, se troublèrent et s'effacèrent comme les nuages qu'un coup de vent balaie. Tu te levas sur ton lit en criant: – Où suis-je, ô mes amis? pourquoi m'avez-vous descendu vivant dans le tombeau?
Un seul sentiment survivait en toi à tous les autres, la volonté, mais une volonté aveugle, déréglée, qui courait comme un cheval sans frein et sans but à travers l'espace. Une dévorante inquiétude te pressait de ses aiguillons; tu repoussais l'étreinte de ton ami, tu voulais t'élancer, courir. Une force effrayants te débordait. – Laissez-moi ma liberté, criais-tu, laissez-moi fuir; ne voyez-vous pas que je vis et que je suis jeune? – Où voulais-tu donc aller? Quelles visions ont passé dans le vague de ton délire? Quels célestes fantômes t'ont convié a une vie meilleure? Quels secrets insaisissables à la raison humaine as-tu surpris dans l'exaltation de ta folie? Sais-tu quelque chose à présent, dis-moi? Tu as souffert ce qu'on souffre pour mourir; tu as vu la fosse ouverte pour te recevoir; tu as senti le froid du cercueil, et tu as crié: – Tirez-moi, tirez-moi de cette terre humide!
N'as-tu rien vu de plus? Quand tu courais, comme Hamlet, sur les traces d'un être invisible, où croyais-tu te réfugier? à quelle puissance mystérieuse demandais-tu du secours contre les horreurs de la mort? Dis-le-moi, dis-le-moi, pour que je l'invoque dans tes jours de souffrance, et pour que je l'appelle auprès de toi dans tes détresses déchirantes. Elle t'a sauvé, cette puissance inconnue, elle a arraché le linceul qui s'étendait déjà sur toi. Dis-moi comment on l'adore, et par quels sacrifices on se la rend favorable. Est-ce une douce providence que l'on bénit avec des chants et des offrandes de fleurs? Est-ce une sombre divinité qui demande en holocauste le sang de ceux qui t'aiment? Enseigne-moi dans quel temple ou dans quelle caverne s'élève son autel. J'irai lui offrir mon cœur quand ton cœur souffrira; j'irai lui donner ma vie quand ta vie sera menacée..
La seule puissance à laquelle je croie est celle d'un Dieu juste, mais paternel. C'est celle qui infligea tous les maux à l'âme humaine, et qui, en revanche, lui révéla l'espérance du ciel. C'est la Providence que tu méconnais souvent, mais à laquelle te ramènent les vives émotions de ta joie et de ta douleur. Elle s'est apaisée, elle a exaucé mes prières, elle t'a rendu à mon amitié; c'est à moi de la bénir et de la remercier. Si sa bonté t'a fait contracter une dette de reconnaissance, c'est moi qui me charge de l'acquitter, ici, dans le silence de la nuit, dans la solitude de ces monts, dans le plus beau temple qu'elle puisse ouvrir à des pas humains. Écoute, écoute, Dieu terrible et bon! Il est faux que tu n'aies pas le temps d'entendre la prière des hommes; tu as bien celui d'envoyer à chaque brin d'herbe la goutte de rosée du matin! Tu prends soin de toutes tes œuvres avec une minutieuse sollicitude; comment oublierais-tu le cœur de l'homme, ton plus savant, ton plus incompréhensible ouvrage? Écoute donc celui qui te bénit dans ce désert, et qui aujourd'hui, comme toujours, t'offre sa vie, et soupire après le jour où tu daigneras la reprendre. Ce n'est pas un demandeur avide qui te fatigue de ses désirs en ce monde; c'est un solitaire résigné qui te remercie du bien et du mal que tu lui as fait..
… C'est ce qui me força de revenir vers la Lombardie et de remettre le Tyrol à la semaine prochaine. J'arrivai à Oliero, vers les quatre heures de l'après-midi, après avoir fait seize milles à pied en dix heures, ce qui, pour un garçon de ma taille, était une journée un peu forte. J'avais encore un peu de fièvre, et je sentais une chaleur accablante au cerveau. Je m'étendis sur le gazon à l'entrée de la grotte, et je m'y endormis. Mais les aboiements d'un grand chien noir, à qui j'eus bien de la peine à faire entendre raison, me réveillèrent bientôt. Le soleil était descendu derrière les cimes de la montagne, l'air devenait tiède et suave. Le ciel, embrasé des plus riches couleurs, teignait la neige d'un reflet couleur de rose. Cette heure de sommeil avait suffi pour me faire un bien extrême. Mes pieds étaient désenflés, ma tête libre. Je me mis à examiner l'endroit où j'étais; c'était le paradis terrestre, c'était l'assemblage des beautés naturelles les plus gracieuses et les plus imposantes. Nous y viendrons ensemble, laisse-moi l'espérer.
Quand j'eus parcouru ce lieu enchanté avec la joie d'un conquérant, je revins m'asseoir à l'endroit où j'avais dormi, afin de savourer le plaisir de ma découverte, il y avait deux jours que j'errais dans ces montagnes, sans avoir pu trouver un de ces sites parfaitement à mon gré, qui abondent dans les Pyrénées et qui sont rares dans cette partie des Alpes. Je m'étais écorché СКАЧАТЬ