Histoire littéraire d'Italie (1. Pierre Loius Ginguené
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Название: Histoire littéraire d'Italie (1

Автор: Pierre Loius Ginguené

Издательство: Public Domain

Жанр: Критика

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СКАЧАТЬ d'anciens manuscrits, et les copies mêmes qui en avaient été tirées, principalement dans les monastères.

      L'opulence de nos grandes bibliothèques modernes, leur luxe surabondant, les jouissances qu'elles nous procurent, la facilité que nous avons de nous en composer à peu de frais de particulières, suffisantes pour nos besoins et pour nos plaisirs, nous font trop oublier les difficultés que l'on trouvait avant l'invention de l'imprimerie, à se procurer des livres et surtout à en former de ces collections qu'on appèle bibliothèques. L'état où nous avons vu précédemment l'Italie, les y avait déjà rendus fort rares. Ils le devenaient chaque jour davantage. Les bons copistes manquaient, les manuscrits anciens, usés par la lecture, ou détruits par les bouleversements de la guerre, ne pouvaient bientôt plus être remplacés, lorsque les institutions monastiques, qui ont fait tant de mal à la raison humaine, mais qui rendirent alors plus d'un service à la civilisation et aux lumières, leur rendirent surtout celui de sauver d'une ruine totale les livres qui eu étaient le dépôt. La philosophie, qui a mis les moines à leur place, cesserait d'être ce qu'elle est, c'est-à-dire l'amour éclairé de la justice et de la vérité, si elle n'aimait à reconnaître et à respecter partout où elle le trouve, ce qui est bon en soi et utile aux hommes.

      Les monastères étaient devenus un asyle, où non seulement la piété, mais le simple amour de la paix, au milieu de cet éternel fracas des armes, conduisait la plupart des hommes qui conservaient quelque goût pour l'étude. Presque toutes ces maisons avaient des bibliothèques, dans lesquelles ce qu'on pouvait se procurer d'auteurs anciens était joint aux livres de religion et de littérature ecclésiastique, qui en faisaient le fond. Une règle fort sage de la plupart de ces institutions, obligeait ceux qui les embrassaient à consacrer tous les jours quelques heures au travail des mains. Tous ne pouvaient pas travailler à la terre, ou s'occuper d'autres opérations manuelles qui exigent la force du corps. Les moines faibles de santé, ceux du moins qui avaient un peu d'instruction et une écriture lisible, obtinrent de remplir leur tâche en copiant des livres. Cela devint bientôt un exercice favori. Les abbés et les autres supérieurs encouragèrent ce travail qui multipliait leurs richesses littéraires. De-là vint dans ces ordres, le titre d'antiquaire ou de copiste, mots synonimes, que l'on trouve souvent employés l'un pour l'autre dans l'histoire monastique du moyen âge. Ainsi, tandis que les barbares incendiaient, dévastaient, saccageaient des provinces entières, détruisaient les monuments des arts, les livres, les bibliothèques, des solitaires laborieux s'occupaient de réparer au moins une partie de ces pertes; et si nous possédons aujourd'hui un assez grand nombre d'ouvrages de l'antiquité, c'est, avouons-le avec reconnaissance, presque uniquement à eux que nous le devons 103.

      Les plus savants d'entre eux ne dédaignaient point cet exercice. Cassiodore lui-même en faisait ses plaisirs. Entre tous les travaux du corps, écrivait-il, c'est celui d'antiquaire, c'est-à-dire de copiste, qui me plaît le plus 104. On ne peut lire sans une sorte d'attendrissement, les détails minutieux dans lesquels il descend pour enseigner à ses moines cet art qu'il possédait si bien. Il appela dans son couvent d'habiles ouvriers pour relier proprement les manuscrits. Il dessinait lui-même les figures et les ornements dont il les embellissait; enfin ce bon vieillard, plus que nonagénaire, ne trouva point au-dessous de lui de composer un Traité de l'Orthographe, à l'usage de ses religieux, pour leur apprendre à écrire correctement 105. Il paraît, par cette instruction, que, s'il était savant, les autres moines ne l'étaient guère. Aussi est-ce le temps des légendes, des histoires écrites en même style, et qui ne méritent pas plus de foi, enfin, de toutes ces œuvres monacales qui déshonoreraient l'esprit humain, si les siècles étaient solidaires entre eux, et si, dans un siècle de lumières, il y avait d'autres esprits déshonorés, que ceux qui voudraient y remettre en crédit les sottises les plus grossières des temps d'ignorance et de ténèbres.

      Ces dépôts où étaient réunies, avec ce que le génie de l'homme avait produit le plus sublime, les tristes fruits de sa dernière décadence, avaient été assez généralement respectés pendant l'invasion des Goths; il en périt un grand nombre dans leur guerre contre les armées de Justinien, et un plus grand nombre encore dans l'irruption et sous la domination des Lombards. Il est donc vrai qu'à cette déplorable époque, malgré tant de travaux, on manquait presque généralement de livres. Les papes eux-mêmes, qui n'étaient encore que les chefs spirituels de l'église, et les évêques, non les souverains de Rome, avaient peine à se former une bibliothèque. Grégoire Ier., qu'on appèle le Grand, n'en avait, à ce qu'il paraît qu'une très-chétive 106, et cepandant c'était un des plus savants hommes de son siècle: sans être aussi riche que les papes l'ont été depuis, il disposait de plus de moyens que tous les autres évêques, et il n'en négligeait sans doute aucun pour rassembler auprès de lui tout ce qui pouvait servir à ses études.

      A entendre plusieurs critiques, il n'en fut pourtant pas ainsi. Ce pape célèbre, ce réformateur du chant, cet auteur de tant d'ouvrages qui l'ont fait placer au rang des pères de l'église, loin de s'appliquer à former des bibliothèques, incendia celle qui existait avant lui. Le savant Brucker, dans son Histoire critique de la Philosophie 107, ouvrage aussi estimé pour son impartialité judicieuse que pour sa profonde érudition, a joint à cette accusation formelle, qu'il appuie principalement de l'autorité de Jean de Salisbury, celles d'avoir chassé de sa cour les mathématiciens, d'avoir méprisé et même défendu l'étude des belles-lettres; enfin, d'avoir détruit à Rome les plus beaux monuments de l'antiquité profane. Mais ici, contre son ordinaire, Brucker s'est peut-être laissé aller à des préjugés de secte. Tiraboschi l'a réfuté avec autant de solidité que de modération 108; et ceux qui seraient tentés de suspecter le défenseur, parce qu'il était moine et papiste, ne doivent pas oublier, pour être justes, que l'accusateur était protestant.

      Les lettres de ce pontife sont le seul de ses ouvrages qui ait aujourd'hui quelque intérêt; celles des hommes célèbres de tous les genres en ont toujours. Dans ces lettres, on voit bien que Grégoire est uniquement occupé des affaires de la religion dont il est le chef, qu'il proscrit même et qu'il écarte des études tout ce qui y est étranger. Il reprend, par exemple, trés-sévèrement un évêque, parce qu'il enseignait la grammaire, et que sans doute il expliquait à ses élèves les beautés des anciens auteurs. Il ne veut pas que les louanges de Jupiter et celles du Christ sortent de la même bouche; il regarde comme un crime grave que des évêques osent chanter ce qui ne convient pas même à un laïque s'il a de la religion 109. Voilà bien une preuve de plus de cet esprit exclusif qui substitua peu à peu les études religieuses aux études littéraires, et qui contribua si puissamment à la décadence, et enfin à la ruine complète de ces dernières. L'apologiste de Grégoire est lui-même obligé d'avouer ici qu'il se laissa trop emporter à son zèle 110; mais il y a loin de là aux actes dont on l'accusait.

      Cependant voici un autre auteur non moins digne de foi, M. Denina, l'historien des Révolutions d'Italie et de celles de la littérature, qui ne regarde point la cause de Grégoire comme entièrement gagnée. «Je crains, dit-il, à parler vrai, que l'autorité de Jean de Salisbury, quoique postérieure de six siècles au siècle de Grégoire ne doive laisser toujours quelque soupçon que le zélé pontife, pour exterminer les monuments de l'idolâtrie, et pour attacher davantage la jeunesse chrétienne, et spécialement les ecclésiastiques, à la lecture des saints pères, n'eût cherché à supprimer le plus qu'il pouvait des auteurs païens» 111. Sans prétendre rien décider dans une question de cette espèce, on ne peut nier que cette crainte d'un historien aussi sage ne doive être de quelque poids.

      Une autre lettre du même pape nous laisse entrevoir combien, tandis que l'ignorance faisait de tels progrès en Occident, СКАЧАТЬ



<p>103</p>

Tiraboschi, Stor. della Lett. Ital. t. III, l. I, c. ii. Je n'ignore pas que ces services rendus à la littérature ancienne par les moines ne datent guère avec évidence que du milieu du neuvième siècle (Voyez Denina, Vicende della Letter., t. I, c. 38, à la fin). Mais en suivant ici l'autorité de Tiraboschi, je ne cours d'autre risque que d'avancer d'un siècle ces témoignages de gratitude.

<p>104</p>

De Institut. Divin. Litter., c. 30.

<p>105</p>

Tirab. loc., cit., c. 2.

<p>106</p>

Voy. Tirab., t. III, liv. I, c. i, 14.

<p>107</p>

Tom. III, p. 560.

<p>108</p>

Stor. della lett. ital., tom. III, liv. II, c. 2.

<p>109</p>

Liv. XI, Epit. 54.

<p>110</p>

Tirab. loc. cit.

<p>111</p>

Vicende della Letter., liv. I, c. 38. Vid. Machiavelli, discorsi, liv. II, c. 5.