Название: Promenades autour d'un village
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Le château moderne, bâti au siècle dernier dans un style quasi monastique, soutient le chevet de l'église. L'ancienne porte, flanquée de deux tours, espacée d'une ogive au-dessus de laquelle se dessinent les coulisses destinées à la herse, sert encore d'entrée au manoir. Le pied des fortifications plonge à pic dans le torrent.
Nul château n'a une situation plus étrangement mystérieuse et romantique. Un seul grand arbre ombrage la petite place du bourg, qui, d'un côté, domine le précipice, et, de l'autre, se pare naturellement d'un énorme bloc isolé, d'une forme et d'une couleur excellentes.
Arbre, place, ravin, herse, église, château et rocher, tout cela se tient et forme, au centre du bourg, un tableau charmant et singulier qui ne ressemble qu'à lui-même.
Le châtelain actuel est un solide vieillard de quatre-vingts ans, qui s'en va encore tout seul, à pied, par une chaleur torride, à travers les sentiers escarpés de ses vastes domaines. Riche de cinquante mille livres de rente, dit-on, il n'a jamais rien restauré que je sache; mais il n'a jamais rien détruit; sachons-lui-en gré. Les pans écroulés de ses vieilles murailles sombres dentellent son rocher dans un désordre pittoresque, et les longs épis historiés de ses girouettes tordues et penchées sur ses tours d'entrée ne peuvent être taxés d'imitation et de charlatanisme.
Un autre monument du village, c'est une maison renaissance, fort élégante d'aspect, habitée par des paysans. Elle tombe en ruine.
À quelque distance, on la croirait bâtie en beau moellon de granit; mais, comme toutes les autres, elle n'est qu'en pierre feuilletée et schisteuse de la localité.
On l'a seulement revêtue de filets de mastic blanchâtre en relief, qui font un trompe-l'oeil très-harmonieux. Son pignon aigu est percé d'une petite fenêtre soutenue par un meneau déjeté, en vrai granit taillé en prisme.
La porte cintrée est enfoncée sous le balcon de bois du premier étage et sous l'avancement de l'escalier, lequel est formé de gros blocs irréguliers à peine dégrossis.
Une vigne folle court sur le tout et complète la physionomie pittoresque de cette élégante et misérable demeure, dont un appendice écroulé gît à son flanc depuis des siècles, sans qu'il soit question d'ôter les décombres.
Au reste, cette maison, dans ses dispositions générales, paraît avoir servi de modèle à toutes celles du village. Sauf les grands pignons, qui ont été remplacés par des toits tombants, communs à plusieurs habitations mitoyennes, toutes sont construites sur le même plan.
Le rez-de-chaussée, avec une porte à cintre surbaissé, ou à linteau droit, formée d'une seule pierre gravée en arc à contre-courbe, n'est qu'un cellier dont l'entrée s'enfonce sous le balcon du premier étage, quelquefois entre deux escaliers de sept à huit marches assez larges, descendant de face. Au premier, une ou deux chambres; au-dessus, un grenier dont la mansarde en bois ne manque pas de caractère.
Beaucoup de ces maisons paraissent dater du XIVe ou du XVe siècle. Elles ont des murs épais de trois ou quatre pieds et d'étroites fenêtres à embrasures profondes, avec un banc de pierre posé en biais. On a presque partout remplacé le manteau des antiques cheminées par des cadres de bois; mais les traces de leurs grandes ouvertures se voient encore dans la muraille.
Les chambres de ces vieilles maisons rustiques sont mal éclairées, d'autant plus qu'elles sont très spacieuses. Le plafond, à solives nues, est parfois séparé en deux par une poutre transversale et s'inclinant en forme de toit, des deux côtés. Le pavé est en dalles brutes, inégales et raboteuses. L'ameublement se compose toujours de grands lits à dossier élevé, à couverture d'indienne piquée, et à rideaux de serge verte ou jaune sortant d'un lambrequin découpé, de hautes armoires très-belles, de tables massives et de chaises de paille. Le coucou y fait entendre son bruit monotone, et les accessoires encombrent les solives: partout le filet de pêche et le fusil de chasse.
Il y a, dans ce village, des constructions plus modernes, des maisonnettes neuves et blanches, crépies à l'extérieur, et dont les entourages, comme ceux du château, sont en brique rouge.
Grâce à leurs petits perrons et aux vignes feuillues qui s'y enlacent, elles ne sont pas trop disparates à côté des constructions primitives qui montrent leurs flancs de pierres sèches d'un brun roux, leurs toits de vieilles tuiles toutes pareilles de ton et de forme à cette pierre plate du pays, et leurs antiques encadrements de granit à pans coupés. La couleur générale est sombre mais harmonieuse, et les grands noyers environnants jettent encore leur ombre à côté de celle des ruines de la forteresse.
– Les maisons sont chères ici, nous dit notre guide. Vous voyez, il n'y a pas de place pour bâtir: le rocher ne veut pas.
– Qu'est-ce que vous appelez chères, dans ce pays-ci?
– De cinq cents à mille francs, suivant la bonté de la carcasse.
– Croyez-vous qu'on pourrait trouver ici des chambres pour passer la nuit?
– Tenez! dit-il en marchant devant nous pour ouvrir une porte qui n'avait pas de gâche à la serrure, regardez si ça vous convient.
Nous montâmes l'inévitable perron, dont les rampes sont toujours revêtues de grands carrés de micaschiste jaune brun ou de galets granitiques des bords de la Creuse, ce qui rappelle les constructions pyrénéennes en dalles de basalte et en cailloux des gaves.
Nous trouvâmes là deux petites chambres blanchies à la chaux, plafonnées en bois brut, meublées de lits de merisier et de grosses chaises tressées de paille. C'est très-propre. Nous voilà logés.
III
Il s'agissait de dîner.
– Dîner? s'écria Moreau. La belle affaire! Regardez! le village est rempli de poules et de poulets qui ne sont pas farouches. On en aura vite attrapé deux ou trois. Voyez combien de vaches rentrent du pré! Chacun a la sienne, tout au moins. Croyez-vous qu'on manque ici de lait et de beurre? Et les oeufs! Il n'y a qu'à se baisser pour en ramasser. Enfin la Creuse n'est pas loin. Je m'y en vas donner un coup d'épervier, et, si je ne vous rapporte pas une belle truite, à tout le moins je trouverai bien une belle friture de tacons.
Or, le tacon est le saumon en bas âge; les saumons de mer, remontant la Loire, viennent frayer dans les eaux vives de la Creuse, et ce n'est point là un mets à dédaigner. On n'a pas encore à se tourmenter ici de pisciculture, à moins que ce ne soit pour étudier les procédés de l'ingénieuse et bonne nature, afin de les appliquer en d'autres pays.
Outre ce menu, nous avions cueilli en route de beaux ceps. Tout cela était fort alléchant pour des gens affamés, même ces pauvres poulets qui couraient encore. Mais il fallait une cuisine et une femme; car aucun de nous ne possédait les utiles talents de l'auteur des Impressions de voyage.
– De quoi diable vous inquiétez-vous? dit le guide. Il y a ici une auberge dont la maîtresse cuisinerait pour un archevêque. C'est elle qui vous prêtera les chambres où vous voilà, à condition que vous irez dîner chez elle, en haut du village. Est-ce convenu? restez-vous ici? Je vas commander la soupe. En attendant, descendez ce chemin, et vous vous trouverez à la rencontre de la petite rivière et de la grande. Restez-y une heure et revenez: tout sera prêt, même le café, car je me souviens que vous n'aimez point à vous passer de ça.
– Mais СКАЧАТЬ