Название: Le péché de Monsieur Antoine, Tome 2
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– On pourrait les porter moins loin, répondit Émile, et si l'on voulait sérieusement travailler à la civilisation des sauvages, vous en trouveriez sous votre main; mais je sais trop, mon père, que cela n'entre pas dans vos vues, pour revenir sur un sujet épuisé entre nous. Je me suis interdit toute contradiction à cet égard, et depuis que je suis ici, je ne pense pas m'être écarté un seul instant du respectueux silence que vous m'avez imposé.
– Allons, mon ami, ne le prends pas sur ce ton, car c'est ta réserve un peu sournoise qui me fâche précisément le plus. Laissons la discussion socialiste, je le veux bien; nous la reprendrons l'année prochaine, et peut-être aurons-nous fait tous les deux quelque progrès qui nous permettra de nous mieux entendre. Songeons au présent. Les vacances ne sont pas éternelles; que désirerais-tu faire après, pour t'instruire et t'occuper?
– Je n'aspire qu'à rester auprès de vous, mon père.
– Je le sais, dit M. Cardonnet avec un malicieux sourire; je sais que tu te plais beaucoup dans ce pays-ci; mais cela ne te mène à rien.
– Si cela me mène à cet état d'esprit où il faut que je sois pour m'entendre parfaitement avec mon père, je ne penserai pas que ce soit du temps perdu.
– C'est très-joliment dit, et tu es fort aimable; mais je ne crois pas que cela avance beaucoup nos affaires, à moins que tu ne veuilles te donner entièrement à mon entreprise. Voyons, veux-tu que nous mandions ici de meilleurs conseils, et que nous recommencions à examiner les localités?
– J'y consens de tout mon cœur, et je persiste à croire que c'est mon devoir de vous y engager.
– Fort bien, Émile, je vois que tu crains que je ne mange ta fortune, et cela ne me déplaît pas.
– Vous ne comprenez rien au sentiment que je porte à cet égard au fond de mon cœur, répondit Émile avec vivacité; et pourtant, ajouta-t-il en faisant un effort pour s'observer, je désire que vous l'interprétiez dans le sens qui vous agréera le plus.
– Tu es un grand diplomate, il faut en convenir; mais tu ne m'échapperas point. Allons, Émile, il faut se prononcer. Si, après l'examen répété et approfondi que nous projetons, la science et l'observation décident que maître Jappeloup et toi n'êtes point infaillibles, que l'usine peut s'achever et prospérer, que ma fortune et la tienne sont semées ici, et qu'elles y doivent germer et fructifier, veux-tu t'engager à embrasser mes plans corps et âme, à me seconder de toutes manières, des bras et du cerveau, du cœur et de la tête? Jure-moi que tu m'appartiens, que tu n'auras au monde d'autre pensée que celle de m'aider à t'enrichir; abandonne-m'en tous les moyens sans les discuter; et, en retour, je te jure, moi, que je donnerai à ton cœur et à tes sens toutes les satisfactions qui seront en mon pouvoir et que la moralité ne proscrira point. Je crois être clair?
– O mon père! s'écria Émile en se levant avec impétuosité, avez-vous pesé les paroles que vous me dites?
– Elles sont fort bien pesées, et je désire que tu pèses ta réponse.
– Je vous comprends à peine, dit Émile en retombant sur sa chaise. Un nuage de feu avait passé devant sa vue; il se sentait défaillir.
«Émile, tu veux te marier? reprit M. Cardonnet avide de profiter de son émotion.
– Oui, mon père, oui, je le veux, répondit Émile en se courbant sur la table qui les séparait, et en étendant vers M. Cardonnet des mains suppliantes. Oh! cette fois, ne jouez point avec moi, car vous me tueriez!
– Tu doutes de ma parole?
– Cela m'est impossible, si votre parole est sérieuse.
– C'est la plus sérieuse parole que j'aurai dite en ma vie, et tu vas en juger toi-même. Tu as un noble cœur et un esprit éminent, je le sais et j'en ai des preuves. Mais avec la même sincérité et la même certitude … je puis te dire que tu as une tête à la fois trop faible et trop vive, et que d'ici à vingt ans peut-être, peut-être toujours, Émile!.. tu ne sauras pas te conduire. Tu seras sans cesse frappé de vertige, tu n'agiras jamais froidement, tu te passionneras pour ou contre les hommes et les choses, sans précaution et sans discernement, sans que la voix d'un nécessaire instinct de conservation te rappelle et t'avertisse au fond de ta conscience. Tu as une nature de poëte, et j'aurais beau vouloir me faire illusion à cet égard, tout me ramène à cette douloureuse certitude qu'il te faut un guide et un maître. Eh bien! bénis Dieu, qui t'a donné pour maître et pour guide un père, ton meilleur ami. Je t'aime tel que tu es, bien que tu sois le contraire de ce que j'aurais désiré, si j'avais pu choisir mon fils. Je t'aime comme j'aimerais ma fille, si la nature ne s'était pas trompée de sexe: c'est te dire assez que je t'aime passionnément. Ne te plains donc pas de ton sort, et que mes reproches ne t'humilient jamais.
«Dans cette situation où nous sommes à l'égard l'un de l'autre, et qui, désormais, m'est bien avérée, je ferai à ton bonheur et à ton avenir d'immenses sacrifices; je surmonterai mes répugnances, qui sont pourtant grandes, je le confesse, et je te laisserai épouser la fille illégitime d'un noble et d'une servante. Je satisferai, comme je te l'ai dit, ton cœur et tes sens; mais c'est à la condition que ton esprit m'appartiendra entièrement, et que je disposerai de toi comme de moi-même.
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