Les affinités électives. Johann Wolfgang von Goethe
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Название: Les affinités électives

Автор: Johann Wolfgang von Goethe

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ au château, il donna de l'éperon à son cheval, traversa le village et s'arrêta à la porte du cimetière d'où il leur adressa ces paroles en criant de toutes ses forces.

      – Est-ce que vous ne vous moquez pas de moi? y a-t-il vraiment péril! en la demeure? En ce cas je reste à dîner avec vous, mais ne me retenez pas en vain, j'ai encore tant de choses à faire aujourd'hui.

      – Puisque vous vous êtes donné la peine de venir jusqu'ici, dit Édouard sur le même ton, faites quelques pas de plus, et voyez comment Charlotte a su embellir ce lieu de deuil.

      – Je n'entrerai ici ni à pied, ni cheval, ni en carrosse, répondit le cavalier; je ne veux rien avoir à démêler avec ceux qui dorment là, en paix; c'est déjà bien assez que d'être obligé de souffrir qu'un jour on m'y porte les pieds en avant. Allons, voyons, avez-vous sérieusement besoin de moi?

      – Très-sérieusement, répondit Charlotte. C'est pour la première fois, depuis notre mariage, que mon mari et moi, nous nous trouvons dans un embarras dont nous ne savons comment nous tirer.

      – Vous ne m'avez pas l'air d'être réduits à cette extrémité-là; mais puisque vous le dites, je veux bien le croire. Si vous m'avez préparé une déception, je ne m'occuperai plus jamais de vous. Suivez-moi aussi vite que vous le pourrez; je ralentirai le pas de mon cheval, cela le reposera.

      Arrivés dans la salle à manger où le déjeuner était servi, Mittler raconta avec feu ce qu'il avait fait et ce qu'il lui restait encore à faire dans le courant de la journée.

      Cet homme singulier avait été pendant sa jeunesse ministre d'une grande paroisse de campagne, où, par son infatigable activité, il avait apaisé toutes les querelles de ménage et terminé tous les procès. Tant qu'il fut dans l'exercice de ses fonctions, il n'y eut pas un seul divorce dans sa paroisse, et pas un procès ne fut porté devant les tribunaux. Pour atteindre ce but il avait été forcé d'étudier les lois, et il était devenu capable de tenir tête aux avocats les plus habiles. Au moment où le gouvernement venait d'ouvrir les yeux sur son mérite, et allait l'appeler dans la capitale, afin de le mettre à même d'achever, dans une sphère plus élevée, le bien qu'il avait commencé dans son modeste cercle d'activité, le hasard lui fit gagner à la loterie une somme qu'il employa aussitôt à l'achat d'une petite terre où il résolut de passer sa vie. S'en remettant, pour l'exploitation de cette terre, aux soins de son fermier, il se consacra tout entier à la tâche pénible d'étouffer les haines et les mésintelligences dès leur point de départ. A cet effet, il s'était promis de ne jamais s'arrêter sous un toit où il n'y avait rien à calmer, rien à apaiser, rien à réconcilier. Les personnes qui aiment à trouver des indices prophétiques dans les noms propres soutenaient qu'il avait été prédestiné à cette carrière parce qu'il s'appelait Mittler (médiateur).

      On servit le dessert et Mittler pria sérieusement les époux de ne pas retarder davantage les confidences qu'ils avaient à lui faire, parce qu'immédiatement après le café, il serait forcé de partir.

      Les époux s'exécutèrent alternativement et de bonne grâce. Il les écouta d'abord avec attention, puis il se leva d'un air contrarié, ouvrit la fenêtre et demanda son cheval.

      – En vérité, dit-il, ou vous ne me connaissez point, ou vous êtes de mauvais plaisants. Il n'y a ici ni querelle ni division, et, par conséquent, rien à faire pour moi. Me croiriez-vous né, par hasard, pour donner des conseils? Grand merci d'un pareil métier, c'est le plus mauvais de tous. Que chacun se conseille soi-même et fasse ce dont il ne peut s'abstenir: s'il s'en trouve bien, qu'il se félicite de sa haute sagesse et jouisse de son bonheur; s'il s'en trouve mal, alors je suis là. Celui qui veut se débarrasser d'un mal quelconque, sait toujours ce qu'il veut; mais celui qui cherche le mieux, est aveugle. Oui, oui, riez tant que vous voudrez, il joue à colin-maillard; à force de tâtonner il saisit bien quelque chose, mais quoi? Voilà la question. Faites ce que vous voudrez, cela reviendra au même; oui, appelez vos amis près de vous ou laissez-les où ils sont, qu'importe? J'ai vu manquer les combinaisons les plus sages, j'ai vu réussir les projets les plus absurdes. Ne vous cassez pas la tête d'avance; ne vous la cassez même pas quand il sera résulté quelque grand malheur du parti que vous prendrez; bornez-vous à me faire appeler, je vous tirerai d'affaire; d'ici là, je suis votre serviteur.

      A ces mots il sortit brusquement et s'élança sur son cheval, sans avoir voulu attendre le café.

      – Tu le vois maintenant, dit Charlotte à son mari, l'intervention d'un tiers est nulle, quand deux personnes étroitement unies ne peuvent plus s'entendre. Nous voilà plus embarrassés, plus indécis que jamais.

      Les époux seraient sans doute restés longtemps dans cette incertitude, sans l'arrivée d'une lettre du Capitaine qui s'était croisée avec celle du Baron.

      Fatigué de sa position équivoque, ce digne officier s'était décidé à accepter l'offre d'une riche famille qui l'avait appelé près d'elle, parce qu'elle le croyait assez spirituel et assez gai pour l'arracher à l'ennui qui l'accablait. Édouard sentit vivement tout ce que son ami aurait à souffrir dans une pareille situation.

      – L'y exposerons-nous, s'écria-t-il, parle; Charlotte, en auras-tu la cruauté?

      – Je ne sais, répondit-elle; mais il me semble que, tout bien considéré, notre ami Mittler a raison. Les résultats de nos actions dépendent des chances du hasard qu'il ne nous est pas donné de prévoir; chaque relation nouvelle peut amener beaucoup de bonheur ou beaucoup de malheur, sans que nous ayons le droit de nous en accuser ou de nous en faire un mérite. Je ne me sens pas la force de te résister plus longtemps. Souviens-toi seulement que l'essai que nous allons faire n'est pas définitif; j'insisterai de nouveau auprès de mes amis, afin d'obtenir pour le Capitaine un poste digne de lui et qui puisse le rendre heureux.

      Édouard exprima sa reconnaissance avec autant d'enthousiasme que d'amabilité. L'esprit débarrassé de tout souci, il s'empressa d'écrire à son ami, et pria Charlotte d'ajouter quelques lignes à sa lettre. Elle y consentit. Mais au lieu de s'acquitter de cette tâche avec la facilité gracieuse qui la caractérisait, elle y mit une précipitation passionnée qui ne lui était pas ordinaire. Il lui arriva même de faire sur le papier une tache d'encre qui s'agrandit à mesure qu'elle cherchait à l'effacer, ce qui la contraria beaucoup.

      Édouard la plaisanta sur cet accident, et, comme il y avait encore de la place pour un second Post-Scriptum, il pria son ami de voir dans cette tache d'encre, la preuve de l'impatience avec laquelle Charlotte attendait son arrivée, et de mettre autant d'empressement dans ses préparatifs de voyage qu'on en avait mis à lui écrire.

      Un messager emporta la lettre, et le Baron crut devoir exprimer sa reconnaissance à sa femme, en l'engageant de nouveau à retirer Ottilie du pensionnat, pour la faire venir près d'elle. Charlotte ne jugea pas à propos de prendre une pareille détermination avant d'y avoir mûrement réfléchi. Pour détourner l'entretien de ce sujet, elle engagea son mari à l'accompagner au piano avec sa flûte, dont il jouait fort médiocrement. Quoique né avec des dispositions musicales, il n'avait eu ni le courage ni la patience de consacrer à ce travail le temps qu'exige toujours le développement d'un talent quelconque. Allant toujours ou trop vite ou trop doucement, il eût été impossible à toute autre qu'à Charlotte, de tenir une partie avec lui. Maîtresse absolue de l'instrument sur lequel elle avait acquis une grande supériorité, elle pressait et ralentissait tour à tour la mesure sans altérer la nature du morceau, et remplissait ainsi, envers son mari, la double tâche de chef d'orchestre et de femme de ménage, puisqu'il est du devoir de l'un et de l'autre de maintenir l'ensemble dans son mouvement régulier, en dépit des déviations réitérées des détails.

      CHAPITRE III

      Le Capitaine arriva enfin, il s'était fait précéder СКАЧАТЬ