Le roi voulut parler encore, mais cette fois encore La Vallière osa l'arrêter.
– Ne serait-ce pas une bien coupable action, lui dit-elle, si, voyant une tendresse si vive et si noble, Votre Majesté donnait à la reine un sujet de jalousie? oh! pardonnez-moi ce mot, Sire. Oh! mon Dieu! je sais bien qu'il est impossible, ou plutôt qu'il devrait être impossible que la plus grande reine du monde fût jalouse d'une pauvre fille comme moi. Mais elle est femme, cette reine, et, comme celui d'une simple femme, son coeur peut s'ouvrir à des soupçons que les méchants envenimeraient. Au nom du Ciel! Sire, ne vous occupez donc pas de moi, je ne le mérite pas.
– Oh! mademoiselle, s'écria le roi, vous ne songez donc point qu'en parlant comme vous le faites vous changez mon estime en admiration.
– Sire, vous prenez mes paroles pour ce qu'elles ne sont point; vous me voyez meilleure que je ne suis; vous me faites plus grande que Dieu ne m'a faite. Grâce pour moi, Sire! car, si je ne savais le roi le plus généreux homme de son royaume, je croirais que le roi veut se railler de moi.
– Oh! certes! vous ne craignez pas une pareille chose, j'en suis bien certain, s'écria Louis.
– Sire, je serais forcée de le croire si le roi continuait à me tenir un pareil langage.
– Je suis donc un bien malheureux prince, dit le roi avec une tristesse qui n'avait rien d'affecté, le plus malheureux prince de la chrétienté, puisque je n'ai pas pouvoir de donner créance à mes paroles devant la personne que j'aime le plus au monde et qui me brise le coeur en refusant de croire à mon amour.
– Oh! Sire, dit La Vallière, écartant doucement le roi, qui s'était de plus en plus rapproché d'elle, voilà, je crois, l'orage qui se calme et la pluie qui cesse.
Mais, au moment même où la pauvre enfant, pour fuir son pauvre coeur, trop d'accord sans doute avec celui du roi, prononçait ces paroles, l'orage se chargeait de lui donner un démenti; un éclair bleuâtre illumina la forêt d'un reflet fantastique, et un coup de tonnerre pareil à une décharge d'artillerie éclata sur la tête des deux jeunes gens, comme si la hauteur du chêne qui les abritait eût provoqué le tonnerre.
La jeune fille ne put retenir un cri d'effroi.
Le roi d'une main la rapprocha de son coeur et étendit l'autre au- dessus de sa tête comme pour la garantir de la foudre.
Il y eut un moment de silence où ce groupe, charmant comme tout ce qui est jeune et aimé, demeura immobile, tandis que Fouquet et Aramis le contemplaient, non moins immobiles que La Vallière et le roi.
– Oh! Sire! Sire! murmura La Vallière, entendez-vous?
Et elle laissa tomber sa tête sur son épaule.
– Oui, dit le roi, vous voyez bien que l'orage ne passe pas.
– Sire, c'est un avertissement.
Le roi sourit.
– Sire, c'est la voix de Dieu qui menace.
– Eh bien! dit le roi, j'accepte effectivement ce coup de tonnerre pour un avertissement et même pour une menace, si d'ici à cinq minutes il se renouvelle avec une pareille force et une égale violence; mais, s'il n'en est rien, permettez-moi de penser que l'orage est l'orage et rien autre chose.
En même temps le roi leva la tête comme pour interroger le ciel.
Mais, comme si le ciel eût été complice de Louis, pendant les cinq minutes de silence qui suivirent l'explosion qui avait épouvanté les deux amants, aucun grondement nouveau ne se fit entendre, et, lorsque le tonnerre retentit de nouveau, ce fut en s'éloignant d'une manière visible, et comme si, pendant ces cinq minutes, l'orage, mis en fuite, eût parcouru dix lieues, fouetté par l'aile du vent.
– Eh bien! Louise, dit tout bas le roi, me menacerez-vous encore de la colère céleste; et puisque vous avez voulu faire de la foudre un pressentiment, douterez-vous encore que ce ne soit pas au moins un pressentiment de malheur?
La jeune fille releva la tête; pendant ce temps, l'eau avait percé la voûte de feuillage et ruisselait sur le visage du roi.
– Oh! Sire, Sire! dit-elle avec un accent de crainte irrésistible, qui émut le roi au dernier point. Et c'est pour moi, murmura-t-elle, que le roi reste ainsi découvert et exposé à la pluie; mais que suis-je donc?
– Vous êtes, vous le voyez, dit le roi, la divinité qui fait fuir l'orage, la déesse qui ramène le beau temps.
En effet, un rayon de soleil, filtrant à travers la forêt, faisait tomber comme autant de diamants les goutta d'eau qui roulaient sur les feuilles ou qui tombaient verticalement dans les interstices du feuillage.
– Sire, dit La Vallière presque vaincue, mais faisant un suprême effort, Sire, une dernière fois, songez aux douleurs que Votre Majesté va avoir à subir à cause de moi. En ce moment, mon Dieu! on vous cherche, on vous appelle. La reine doit être inquiète, et Madame, oh! Madame!.. s'écria la jeune fille avec un sentiment qui ressemblait à de l'effroi.
Ce nom fit un certain effet sur le roi; il tressaillit et lâcha La
Vallière, qu'il avait jusque-là tenue embrassée.
Puis il s'avança du côté du chemin pour regarder, et revint presque soucieux à La Vallière.
– Madame, avez-vous dit? fit le roi.
– Oui, Madame; Madame qui est jalouse aussi, dit La Vallière avec un accent profond.
Et ses yeux si timides, si chastement fugitifs, osèrent un instant interroger les yeux du roi.
– Mais, reprit Louis en faisant un effort sur lui-même, Madame, ce me semble, n'a aucun sujet d'être jalouse de moi, Madame n'a aucun droit…
– Hélas! murmura La Vallière.
– Oh! mademoiselle, dit le roi presque avec l'accent du reproche, seriez vous de ceux qui pensent que la soeur a le droit d'être jalouse du frère?
– Sire, il ne m'appartient point de percer les secrets de Votre
Majesté.
– Oh! vous le croyez comme les autres, s'écria le roi.
– Je crois que Madame est jalouse, oui, Sire, répondit fermement
La Vallière.
– Mon Dieu! fit le roi avec inquiétude, vous en apercevriez-vous donc à ses façons envers vous? Madame a-t-elle pour vous quelque mauvais procédé que vous puissiez attribuer à cette jalousie?
– Nullement, Sire; je suis si peu de chose, moi!
– Oh! c'est que, s'il en était ainsi… s'écria Louis avec une force singulière.
– Sire, interrompit la jeune fille, il ne pleut plus; on vient, on vient, je crois.
Et, oubliant toute étiquette, elle avait saisi le bras du roi.
– Eh СКАЧАТЬ