Название: Isidora
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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A minuit j'étais là, où elle m'avait dit de la rejoindre, et je l'attendais. Elle paraît enfin, me serre convulsivement la main, et se jette, essoufflée, sur une chaise au fond de la loge, après s'y être fait renfermer avec moi par l'ouvreuse. Au bout de quelques moments de silence, où elle paraissait véritablement suffoquée par l'émotion:
«J'ai encore été poursuivie aujourd'hui, me dit-elle, par un homme qui me hait et que je méprise. Oh! candide et honnête Jacques! vous ne savez pas ce que c'est qu'un homme du monde, à quelle lâche fureur, à quels ignobles ressentiments peuvent se porter ces gens de bonne compagnie, quand le despotisme fanatique de leur amour-propre est blessé!»
Je la plaignais, mais je ne trouvais pas d'expression pour la consoler.
– Vous le voyez, lui dis-je, cette vie d'enivrement et de plaisir égare celles qui s'y abandonnent. Ces illusions d'un instant dont vous me parliez mettent l'amour d'une femme, peut-être belle et bonne, aux bras d'un homme indigne d'elle, et capable de tout pour se venger du retour de sa raison.
– Qu'est-ce que cela prouve, Jacques? me dit-elle vivement. C'est qu'apparemment il faut s'abstenir de chercher et de rêver l'amour dans ce monde-ci. Créez-en donc un meilleur, où l'on puisse estimer ce qu'on aime, et, en attendant, croyez-moi, ne prenez pas parti pour le bourreau contre la victime.
En ce moment, la porte de la loge voisine s'ouvrit. Un fort bel homme, qui avait un air de grand seigneur et des fleurs à sa boutonnière, entra, et, se penchant vers ma compagne par-dessus la cloison basse qui le séparait de nous:
«C'est donc vous enfin, belle Isidora lui dit-il d'un ton acerbe. Pourquoi fuir et vous cacher? Je ne prétends pas troubler vos plaisirs, mais voir seulement la figure de notre heureux successeur à tous, afin de le désigner aux remercîments de mon ami Félix.»
Quoiqu'il eût parlé à voix basse, je n'avais pas perdu un mot de son compliment. Ma compagne m'avait saisi le bras, et je la sentais trembler comme une feuille au vent d'orage. Je pris vite mon parti.
«Monsieur, dis-je en me levant, je ne sais point ce que c'est que mademoiselle Isidora. Je ne sais pas davantage ce que c'est que votre ami Félix, et je ne vois pas trop ce que peut être un homme qui s'en vient insulter une femme au bras d'un autre homme. Mais ce que je sais, mordieu fort bien, c'est que je reviens de mon village, et que j'en ai rapporté des poings qui, pour parler le langage du lieu où nous sommes, pourraient bien vous faire piquer une tête dans le parterre, si votre goût n'était pas de nous laisser tranquilles.»
Puis, comme je le voyais hésiter, et qu'il me paraissait trop facile de me débarrasser de ce beau fils par la force, il me prit envie de le persifler par un mensonge.
– Sachez, d'ailleurs, lui dis-je, que madame est… ma femme, et tenez-vous pour averti.
– Votre femme! répondit le dandy avec ironie, quoique cependant il ne fût pas certain de ne pas s'être grossièrement trompé. – Votre femme!.. Eh bien! Monsieur, vous défendez peu courtoisement son honneur; mais j'ai tort, et je mérite un peu votre mercuriale. Que madame me pardonne, ajouta-t-il en saluant ma prétendue femme, c'est une méprise qui n'a rien de volontaire.
– Je te remercie, bon Jacques, reprit-elle, aussitôt qu'il se fut éloigné, tu m'as rendu un grand service; mais si tu veux que je te le dise, il y a dans ta manière de me défendre Quelque chose qui me blesse profondément. Tu n'aurais donc pas consenti à défendre le nom et la personne d'Isidora, dans la crainte de passer pour, l'amant d'une femme qu'on peut outrager ainsi?
– Rien de semblable ne m'est venu à l'esprit; je n'ai songé qu'à vous débarrasser d'un fou ou d'un ennemi, qui m'eût, à coup sûr, forcé de traverser par quelque scandale le plaisir que j'éprouve à causer avec vous.
– Mais si j'avais été cette Isidora fameuse dont on dit tant de mal, et dont vous avez sans doute la plus parfaite horreur, et si l'ennemi s'était acharné à me prendre pour elle, nonobstant notre mariage improvisé?..
– D'abord je ne m'inquiète pas de cette Isidora, et je ne la connais pas. Je ne suis pas un homme du monde, je n'ai point de rapports avec ce genre de femmes célèbres. Ensuite, Isidora ou non, je vous prie de croire que je ne suis pas assez de mon village pour ne pas savoir qu'on doit protection à la femme qu'on accompagne.
– Ah! mon cher villageois, avoue que c'est une triste nécessité que le devoir d'un honnête homme en pareil cas! Risquer sa vie pour une fille!
– Je n'ai jamais su ce que c'était qu'une fille, je le sais moins que jamais, et je suis tenté, depuis huit jours, de croire qu'il n'y a point de femmes qui méritent réellement cette épithète infamante. Si Isidora est une de ces femmes, et si vous êtes cette Isidora, j'éprouve pour vous…
– Eh bien, qu'éprouves-tu pour moi? Dis donc vite!
– Le même sentiment qu'un dévot aurait pour une relique qu'il verrait foulée aux pieds dans la fange. Il la relèverait, il s'efforcerait de la purifier et de la replacer sous la châsse.
– Tu es meilleur que les autres, pauvre Jacques, mais tu n'es pas plus grand! Tu vois toujours dans l'amour l'idée de pardon et de correction, tu ne vois pas que ton rôle de purificateur, c'est le préjugé du pédagogue qui croit sa main plus pure que celle d'autrui, et que la châsse où tu veux replacer la relique, c'est l'éteignoir, c'est la cage, c'est le tombeau de ta possession jalouse?
– Femme orgueilleuse! m'écriai-je, tu ne veux pas même de pardon?
– Le pardon est un reproche muet, le mépris subsiste après. Je donnerais une vie de pardon pour un instant d'amour.
– Mais le mépris revient aussi après cet instant-là!
– On l'a eu, cet instant! Avec le pardon on ne l'a pas. Mépris pour mépris, j'aime mieux celui de la haine que celui de la pitié.
Je ne sais comment il se fit que l'accent dont elle dit ces paroles me causa une sorte de vertige. Je fus comme tenté de me jeter à ses pieds et de lui demander pardon à elle-même. Mais un reste d'effroi et peut-être de dégoût me retint.
«Allons-nous-en, me dit-elle, nous ne nous entendrons pas, mon philosophe!»
Je la suivis machinalement. Nous fîmes un tour de foyer. J'y étais étourdi et comme étouffé par le feu croisé des agaceries et des épigrammes. Tout à coup ma compagne quitta mon bras comme pour m'échapper. Je ne la perdis pas de vue, et, voyant qu'elle quittait le bal, je décidai de le quitter aussitôt, tout en protégeant sa retraite. Je descendais l'escalier sur ses pas, et elle atteignait la dernière marche, lorsque le beau jeune homme dont je l'avais débarrassée, et qui rentrait, se trouve face à face avec elle. Il s'arrête, sourit avec un mépris inexprimable, et, levant les yeux vers moi:
– C'est donc l'habitude dans votre province, me dit-il, de suivre sa femme comme un jaloux, et de l'observer à distance? Mon cher monsieur, vous vous êtes moqué de moi, mais je vous le pardonne, si bien que je veux vous donner un petit avis. La dame que vous escortez est la plus belle femme de Paris, vous avez raison d'en être vain; mais, comme c'est la plus méprisable et la plus méprisée, vous auriez grand tort d'en être fier.
– Et vous, répondis-je, voua devriez être honteux de parler comme vous faites. Si vous dites un mot de plus, je vous en rendrai très-repentant.
Un flot de monde qui rentrait nous sépara, et СКАЧАТЬ