Journal d'un voyageur pendant la guerre. Жорж Санд
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СКАЧАТЬ et là Léonie nous a dit qu'elle avait eu peur tout le temps sans vouloir en rien dire. Comme c'est une femme brave autant qu'une vaillante femme, je me suis étonnée.

      – Je ne sais, me dit-elle, pourquoi je me suis sentie effrayée par ce brouillard et l'isolement. On a maintenant des idées noires qu'on n'avait jamais. On s'imagine que tout homme qui paraîtrait doit être un espion qui prépare notre ruine, ou un bandit chassé des villes qui cherche fortune sur les chemins.

      Cette idée m'est quelquefois venue aussi dans ces derniers temps. On a cru que les inutiles et les nuisibles chassés de Paris allaient inonder les provinces. On a signalé effectivement à Nohant un passage de mendiants d'allure suspecte et de langage impérieux quelques jours après notre départ; mais tout cela s'est écoulé vite, et jamais les campagnes n'ont été plus tranquilles. C'est peut-être un mauvais signe. Peut-être les bandits, pour trouver à vivre, se sont-ils faits tous espions et pourvoyeurs de l'ennemi. On dit que les trahisons abondent, et on ne voit presque plus de mendiants. Il est vrai que la peur des espions prussiens s'est répandue de telle sorte que les étrangers les plus inoffensifs, riches ou pauvres, sont traqués partout, chassés ou arrêtés sans merci. Il ne fait pas bon de quitter son endroit, on risque de coucher en prison plus souvent qu'à l'auberge.

      Ces terreurs sont de toutes les époques agitées. Mon fils me rappelait tantôt qu'il y a une vingtaine d'années il avait été arrêté à Boussac précisément; j'avais oublié les détails, il les raconte à la veillée. Ils étaient partis trois, juste comme les trois Prussiens vus en imagination ces jours-ci sur les pierres jaumâtres, et c'est aux pierres jaumâtres qu'ils avaient été faire une excursion. Autre coïncidence bizarre, un des deux compagnons de mon fils était Prussien.

      – Comment? dit Léonie, un Prussien!

      – Un Prussien dont l'histoire mérite bien d'être racontée. C'était le docteur M… qui, à l'âge de dix-neuf ou vingt ans, avait été condamné à être roué vif pour cause politique. Les juges voulurent bien, à cause de sa jeunesse, prononcer qu'il serait roué de haut en bas. Le roi fit grâce, c'est-à-dire qu'il commua la peine en celle de la prison à perpétuité, et quelle prison! Après dix ans de carcere duro, – je ne sais comment cela s'appelle en allemand, – M… fut compris dans une sorte d'amnistie et accepta l'exil avec joie. Il vint en France où il passa plusieurs années, dont une chez nous, et c'est à cette époque qu'en compagnie de Maurice Sand et d'Eugène Lambert, ce digne et cher ami faillit encore tâter de la prison… à Boussac! A cette époque-là, on ne songeait guère aux Prussiens. Une série inexpliquée d'incendies avait mis en émoi, on s'en souvient, une partie de la France. On voyait donc partout des incendiaires et on arrêtait tous les passants. Justement M… avait sur lui un guide du voyageur, et les deux autres prenaient des croquis tout le long du chemin. Ils avaient tiré de leurs sacoches un poulet froid, un pain et une bouteille de vin; ils avaient déjeuné sur la grosse pierre du mont Barlot, ils avaient même allumé un petit feu de bruyères pour invoquer les divinités celtiques, et Lambert y avait jeté les os du poulet pour faire honneur, disait-il, aux mânes du grand chef que l'on dit enseveli sous la roche. On les observait de loin, et, comme ils rentraient pour coucher à leur auberge, ils furent appréhendés par six bons gendarmes et conduits devant le maire, qui en reconnaissant mon fils se mit à rire. Il n'en eut pas moins quelque peine à délivrer ses compagnons; les bons gendarmes étaient de mauvaise humeur. Ils objectaient que le maire pouvait bien reconnaître un des suspects, mais qu'il ne pouvait répondre des deux autres. Je crois que le sous-préfet dut s'en mêler et les prendre sous sa protection.

      J'ai enfin dormi cette nuit. L'orage a passé ici sans donner une goutte d'eau, tout est plus sec que jamais. L'eau à boire devient tous les jours plus rare et plus trouble. Le soleil brille toujours plus railleur, et le vent froid achève la besogne. Ce climat-ci est sain, mais il me fait mal, à moi; j'adore les hauteurs, mais je ne puis vivre que dans les creux abrités. Peut-être aussi l'eau devient-elle malfaisante; tous mes amis me trahissent, car j'aime l'eau avec passion, et le vin me répugne.

      Nous lisons tout au long la relation de Jules Favre, son entrevue avec M. de Bismarck. C'est une belle page d'histoire; c'est grand, c'est ému; puis le talent du narrateur aide à la conviction. Bien dire, c'est bien sentir. Il n'y a donc pas de paix possible! Une voix forte crie dans le haut de l'âme:

      – Il faut vaincre.

      – Une voix dolente gémit au fond du coeur:

      – Il faut mourir!

30 septembre.

      Les enfants nous forcent à paraître tranquilles. Ils jouent et rient autour de nous. Aurore vient prendre sa leçon, et pour récompense elle veut que je lui raconte des histoires de fées. Elle n'y croit pas, les enfants de ce temps-ci ne sont dupes de rien; mais elle a le goût littéraire, et l'invention la passionne. Je suis donc condamnée à composer pour elle, chaque jour pendant une heure ou deux, les romans les plus inattendus et les moins digérés. Dieu sait si je suis en veine! L'imagination est morte en moi, et l'enfant est là qui questionne, exige, réveille la défunte à coups d'épingle. L'amusement de nos jours paisibles me devient un martyre. Tout est douleur à présent, même ce délicieux tête-à-tête avec l'enfance qui retrempe et rajeunit la vieillesse. N'importe, je ne veux pas que la bien-aimée soit triste, ou que, livrée à elle-même, elle pense plus que son âge ne doit penser. Je me fais aider un peu par elle en lui demandant ce qu'elle voit dans ce pays de rochers et de ravins, qui ressemble si peu à ce qu'elle a vu jusqu'à présent. Elle y place des fées, des enfants qui voyagent sous la protection des bons esprits, des animaux qui parlent, des génies qui aiment les animaux et les enfants. Il faut alors raconter comme quoi le loup n'a pas mangé l'agneau qui suivait la petite fille, parce qu'une fée très-blonde est venue enchaîner le loup avec un de ses cheveux qu'il n'a jamais pu briser. Une autre fois il faut raconter comment la petite fille a dû monter tout en haut de la montagne pour secourir une fourmi blanche qui lui était apparue en rêve, et qui lui avait fait jurer de venir la sauver du bec d'une hirondelle rouge fort méchante. Il faut que le voyage soit long et circonstancié, qu'il y ait beaucoup de descriptions de plantes et de cailloux. On demande aussi du comique. Les nains de la caverne doivent être fort drôles. Heureusement l'avide écouteuse se contente de peu. Il suffit que les nains soient tous borgnes de l'oeil droit comme les calenders des Mille et une Nuits, ou que les sauterelles de la lande soient toutes boiteuses de la jambe gauche, pour que l'on rie aux éclats. Ce beau rire sonore et frais est mon payement; l'enfant voit quelquefois des larmes dans mes yeux, mais, comme je tousse beaucoup, je mets tout sur le compte d'un rhume que je n'ai pas.

      Encore une fois, nous sommes au pays des légendes. J'aurais beau en fabriquer pour ma petite-fille, les gens d'ici en savent plus long. Ce sont les facteurs de la poste qui, après avoir distribué les choses imprimées, rapportent les on dit du bureau voisin. Ces on dit, passant de bouche en bouche, prennent des proportions fabuleuses. Un jour nous avons tué d'un seul coup trois cent mille Prussiens; une autre fois le roi de Prusse est fait prisonnier; mais la croyance la plus fantastique et la plus accréditée chez le paysan, c'est que son empereur a été trahi à Sedan par ses généraux, qui étaient tous républicains!

1er octobre 1870.

      Je suis tout à fait malade, et mon bon Darchy arrive en prétendant comme toujours qu'il vient par hasard. Mes enfants l'ont averti, et, pour ne pas les contrarier, je feins d'être dupe. Au reste, sitôt que le médecin arrive, la peur des médicaments fait que je me porte bien. Il sait que je les crains et qu'ils me sont nuisibles. Il me parle régime, et je suis d'accord avec lui sur les soins très-simples et très-rationnels qu'on peut prendre de soi-même; mais le moyen de penser à soi à toute heure dans le temps où nous sommes.

      Nous faisons nos paquets. Léonie transporte toute sa maison à Boussac. Ce sera l'arrivée d'une smala.

Boussac, dimanche 2 octobre.

      C'est СКАЧАТЬ