Lettres à Mademoiselle de Volland. Dénis Diderot
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Название: Lettres à Mademoiselle de Volland

Автор: Dénis Diderot

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ recevoir hier une lettre de vous; point de lettre, cela m'inquiète. L'enfant était, à en juger par ce que vous m'en avez dit, dans un état si déplorable que ce silence me fait craindre le grand accident. Mais je m'alarme peut-être mal à propos, et deux lettres reçues demain à la fois me rassureront. Je me suis laissé engager, je ne sais comment, à passer la journée à la campagne. On partira de grand matin. Combien le temps va me durer, si je pars sans avoir rien lu de vous; mais je compte sur la célérité de la poste qui arrive ici de bonne heure.

      J'ai passé, les premiers jours, fort renfermé. Je ne me portais pas assez bien pour me répandre. Voici que je me porte mieux et que je commence à n'être plus à moi, c'est une maladie plus fâcheuse que la première. Ce sont des visites à recevoir et à rendre sans fin, et des repas qui commencent le plus tôt et qui durent le plus tard qu'on peut. Ils sont gais, tumultueux et bruyants; des plaisanteries; ah dieu! quelles plaisanteries! Je n'aime pas trop tout cela, et je n'en avais pas besoin pour sentir tout ce que j'avais perdu en vous quittant; et puis, le sot personnage à faire que celui de buveur d'eau au milieu d'une cohue de gens dont le mérite principal pour eux et pour les autres est de bien boire. Il faut cependant se prêter et paraître content. On est à la vérité soutenu par le bon cœur du maître et de la maîtresse de la maison, qui se montre à tout moment. On est si aise de m'avoir! le moyen de résister à cela? J'ai regretté plusieurs fois d'avoir renoncé au vin; il est excellent. On en boirait tant qu'on voudrait et sans conséquence; et l'on serait, au moins sur la fin de la nuit, de niveau avec ses convives.

      Si demain je ne reçois pas mes deux lettres, la tête m'en tournera. Que faites-vous, vous et votre chère sœur? Vous causez, vous; vous m'aimez, vous; vous le dites, vous; vous vous faites les moments les plus doux, tandis que moi je parle affaires, je joue au trictrac et je dispute. Au milieu de cela, j'envoie quelquefois ma pensée aux lieux où vous êtes, et je me distrais. Combien j'irai vite en m'en retournant! Un oiseau qui a rompu le fil qui le tenait attaché n'aura pas de meilleures ailes. Je soupçonne mon frère et ma sœur de tirer les choses en longueur pour me retenir auprès d'eux plus longtemps. Ils ne savent pas mon impatience, ou ils en font honneur à tel ou telle qui n'y est pour rien.

      Je n'ai pas encore écrit au baron d'Holbach. Je viens de recevoir une belle lettre de Grimm; oh! pour cela bien belle et bien tendre, presque comme si vous l'aviez dictée.

      Le peu de condisciples qui me restent, répandus dans les environs de la ville, me sont venus voir: il n'y en a plus guère; ils sont presque tous passés. Deux choses nous annoncent notre sort à venir et nous font rêver: les ruines anciennes, et la courte durée de ceux qui ont commencé de vivre en même temps que nous. Nous les cherchons, et, ne les retrouvant plus, nous nous replions sur nous: c'est ce sentiment secret qui nous rend leur présence si chère: par leur existence ils nous rassurent sur la nôtre. Il est certain que j'ai eu grand plaisir à reconnaître et à embrasser quelques-uns de ceux avec qui j'avais reçu des férules au collège, et que j'avais presque oubliés. Il semble qu'on revienne en arrière et que l'on redevienne jeune en les voyant. J'ai entendu prêcher la Saint-Dominique par un d'eux, pas trop mal; ils ont du feu, des idées, que j'aime encore mieux singulières que plates. D'ailleurs, je m'amuse à mesurer, par ce qu'ils sont, la distance d'un esprit brut à un esprit cultivé, et je vois ce qu'ils auraient été si des circonstances plus heureuses les avaient favorisés.

      J'ai rencontré ici quelques hommes bien décidés et bien nets sur le grand préjugé; et ce qui m'a fait un plaisir singulier, c'est qu'ils tiennent un rang parmi les honnêtes gens.

      Mais de quoi vous entretiens-je là? Ne connaissez-vous pas la province aussi bien que moi? Je me venge de votre silence, sans m'en apercevoir. Écrivez-moi donc, si vous voulez que je vous dise combien je vous aime. Toutes les lettres qui ne seront pas en réponse aux vôtres seront froides, je vous en avertis. S'il me vient au bout de la plume un mot qui soit doux, crac, je le supprime. Je ne pourrai jamais forcer ce cœur à se taire; il faut qu'il tressaille et qu'il s'échauffe au nom de ma Sophie. Mais vous ignorez ce qu'il me suggère; eh non, vous ne l'ignorez pas, vous le retrouverez au fond du vôtre. Adieu, ma bonne, ma tendre, ma sensible amie; adieu. Cette lettre sera l'avant-dernière. Je pourvoirai à ce que les vôtres, s'il m'en vient pendant mon absence, soient renvoyées à Paris, à l'adresse de M.***; on y joindra celles de Grimm. Présentez mon respect à M.***; rappelez-moi à Mlle Boileau, à l'abbé Le Monnier, à M.*** et à M. de Prisye.

      Il est devant moi, ce portrait. Je ne saurais en approcher les lèvres; à peine l'aperçois-je à travers les fractures de la glace! Avez-vous vu quelquefois la lune? J'ai préféré la lune au soleil en faveur de M.*** qui en aura plus d'indulgence pour ma comparaison. L'avez-vue quelquefois couverte d'un nuage que sa lumière élancée par rayons épars cherche à dissiper? Eh bien, c'est mon portrait et la glace rompue. Cela est pourtant bien incommode, quand on est loin. Je sais seulement que vous êtes là-dessous; mais je ne vous y vois pas. Adieu, encore une fois.

      C'est à Isle, suivant toute apparence, que vous m'adresserez votre seconde lettre. Il est toujours bien décidé que je ramènerai madame votre mère. J'ai rencontré ici des gens qui ont connu Mme Le Gendre et qui m'en ont parlé avec admiration. Vous vous doutez bien qu'ils ne m'ont pas ennuyé, ceux-là! Je les écoutais et je leur disais qu'elle avait une sœur; et ils trouvaient que leur mère était bien heureuse. Je vous embrasse, quoique je n'aie point reçu de lettres; mais je vous embrasserai demain bien mieux, car j'en aurai deux; oh! oui, j'en aurai deux.

      Nos partages sont faits: nous venons de foire un arrangement de 200,000 francs, à peu près comme on fait celui de 200 liards; cela n'a pas duré un demi-quart d'heure; je vous dirai cela plus au long.

      XI

À Langres, le 12 août 1759.

      Voici sur quoi j'ai fondé la paix domestique. Il m'a semblé que ma sœur était un peu fatiguée de l'administration des affaires, et qu'elle s'était fait des principes d'économie qui n'étaient point ceux de l'abbé. L'abbé veut jouir; sa sœur veut se mettre à l'abri de tout événement. L'abbé aime la compagnie, telle quelle, et la table; ma sœur se plaît avec peu de monde, et veut être honorable à propos et sans profusion. L'abbé, dans ses tournées ecclésiastiques, a fait des connaissances de toute couleur et de toute espèce, qui en useront avec lui comme il en usait avec elles. Ma sœur pressent que la maison va devenir un hospice; elle craint de supporter le poids des soins domestiques, de perdre son repos, de dissiper son revenu, et de voir circuler toute l'année autour d'elle des visages inconnus et déplaisants. C'est un plaisir que de l'entendre peindre tous ces gens-là, qu'elle n'a jamais vus qu'en imagination, et rendre leurs conversations comme elles lui viennent. Un des coins de son caractère, c'est d'être gaie dans sa mauvaise humeur, et de faire rire quand elle se tâche. Quand elle a dit, et qu'on a ri, elle croit avoir cause gagnée, et la voilà contente. Qu'ai-je fait? J'ai commencé par désabuser l'abbé d'une jalousie préconçue, je ne sais sur quoi ni comment, que ma sœur m'était plus chère que lui. J'ai tâché de lui faire entendre que je l'aimerais cent fois plus encore qu'il ne le supposait, qu'il y aurait une chose que j'aimerais davantage, c'est la justice. J'ai ménagé sa délicatesse, j'ai prévu et évité tout ce qui pourrait lui donner de l'ombrage; je me suis assuré de son âme, ensuite j'ai travaillé. Ma sœur avait une amie peu riche; je lui ai persuadé de la prendre avec elle; l'abbé y a consenti; elle est à présent installée; c'est elle qui fait aller la maison, et ma sœur n'a plus de souci que celui qu'elle veut bien prendre. Il leur en coûte la pension d'une petite nièce de cette amie qui demeurait avec sa tante, et qu'il a fallu placer en lieu convenable et sûr; mais qu'est-ce que cela? Rien. Il s'agissait d'arranger la dépense commune de manière que l'abbé dépensât tant qu'il lui plairait, que sa sœur économisât à sa fantaisie, et que l'un ne parût point à charge à l'autre. J'ai proposé à l'abbé d'accepter une pension de sa sœur: ils y ont consenti l'un et l'autre; j'ai fixé la pension, et tout est fini. Des trois maisons que nous avions, nous sommes convenus d'en vendre une; des deux qui restent, l'une à la ville, l'autre à la campagne, ils occuperont la première, elle leur appartiendra; ils m'en rembourseront le СКАЧАТЬ