Lettres à Mademoiselle de Volland. Dénis Diderot
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Читать онлайн книгу Lettres à Mademoiselle de Volland - Dénis Diderot страница 18

Название: Lettres à Mademoiselle de Volland

Автор: Dénis Diderot

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ dire des folies.»

      Le reste de la soirée s'est passé à me plaisanter sur mon paradoxe… On m'offrait de belles poires qui vivaient, des raisins qui pensaient, et moi je disais: Ceux qui se sont aimés pendant leur vie et qui se font inhumer l'un à côté de l'autre ne sont peut-être pas si fous qu'on pense. Peut-être leurs cendres se pressent, se mêlent et s'unissent! que sais-je? Peut-être n'ont-elles pas perdu tout sentiment, toute mémoire de leur premier état. Peut-être ont-elles un reste de chaleur et de vie dont elles jouissent à leur manière au fond de l'urne froide qui les renferme. Nous jugeons de la vie des éléments par la vie des masses grossières. Peut-être sont-ce des choses bien diverses. On croit qu'il n'y a qu'un polype! Et pourquoi la nature entière ne serait-elle pas du même ordre? Lorsque le polype est divisé en cent mille parties, l'animal primitif et générateur n'est plus; mais tous ses principes sont vivants. Ô ma Sophie! il me resterait donc un espoir de vous toucher, de vous sentir, de vous aimer, de vous chercher, de m'unir, de me confondre avec vous quand nous ne serons plus, s'il y avait pour nos principes une loi d'affinité, s'il nous était réservé de composer un être commun, si je devais dans la suite des siècles refaire un tout avec vous, si les molécules de votre amant dissous avaient a s'agiter, à s'émouvoir et à rechercher les vôtres éparses dans la nature! Laissez-moi cette chimère, elle m'est douce, elle m'assurerait l'éternité en vous et avec vous.

      Mais il est sept heures, et ce maudit commissionnaire ne paraît pas. Je suis d'une inquiétude extrême. Il est sûr que j'irai demain moi-même à Charenton, à moins qu'un déluge de pluie ne m'en empêche.

      Nous avons eu aujourd'hui à dîner Mme d'Houdetot; elle nous est venue de Paris, elle y retourne, et de là à Épinay. Elle aura fait ses bonnes onze lieues. Cette expédition d'Angleterre la tient dans de cruelles alarmes; c'est une femme pleine d'âme et de sensibilité. On parlait du vent sourd et continu qui fait mugir ici les appartements. J'ai dit que le bruit ne m'en déplaisait pas, qu'on en sentait mieux la douceur de l'abri, qu'il berçait, et qu'il inclinait à rêver doucement. «Cela est vrai, a-t-elle répondu, mais je ne l'entends point sans penser que peut-être il écarte les Anglais du détroit et que nous profitons de ce moment pour sortir de nos ports et jeter en Angleterre vingt-deux mille malheureux dont il n'en reviendra pas un.»

      Il faut que vous sachiez que parmi ces vingt-deux mille hommes, il y a un M. de Saint-Lambert dont vous m'avez entendu parler souvent avec éloge, que la reconnaissance seule a attaché au prince de Beauveau, et qui le suit; sa perte, si elle arrivait, nous causerait bien des regrets et lui coûterait à elle bien des larmes46.

      Il est neuf heures, nous avons fait un piquet à tourner, où, par parenthèse, j'ai essuyé un coup unique: quatorze d'as, quatorze de rois, sixième majeure, repic et capot en dernier. Notre commissionnaire est de retour. Tous ont reçu des nouvelles, excepté moi. Pas un mot ni de Grimm ni de Sophie. Il est impossible que vous ne m'ayez pas écrit. Il faut ou que mon domestique m'ait trompé et ne soit pas allé à Charenton, ou que le directeur des postes ait refusé mes lettres au commissionnaire, ou qu'il n'ait pas eu de quoi les retirer. Je fais toutes les suppositions qui peuvent me tranquilliser. J'accuse tout, hors vous.

      On écrit de Lisbonne à notre voisin M. de Sussy que le roi de Portugal a proposé aux Jésuites de se séculariser; que cinquante ont accepté; que cent cinquante, dont on ignore la distinction, ont été mis sur un bâtiment, on ne sait pour quel endroit, et que quatre, encore détenus dans les prisons, seront suppliciés47. Saviez-vous cela? Mais que les Jésuites tuent impunément ou non des rois, qu'eux et les rois deviennent ce qu'ils voudront, et que j'entende parler de mon amie. Où est-elle? que fait-elle? Si mes lettres n'ont pas le même sort que les siennes, elle en aura reçu avant-hier deux à la fois; elle aura aussi celle-ci demain au soir, et peut-être… Mais je n'ose plus me flatter de rien, mon amie. Je suis venu ici pour travailler. Jusqu'à présent j'ai fait assez bien; mais si la tête n'y est plus, que voulez-vous que je fasse du temps? Que vais-je devenir? Si la pluie, dont ce vent bruyant nous menace, pouvait tomber cette nuit! Je passerai donc la journée de demain sans un mot de vous! Le Baron me consulte sur des étymologies chimiques. Il voit que je suis en souci; il me lit des traits d'histoire; il cherche à m'intéresser; mais cela ne se peut; je suis ailleurs. Je vous conjure, mon amie, de me rendre à la campagne, à mes occupations, à la société, aux amusements, à mes amis, à moi-même. Je ne saurais sortir d'ici, et il est impossible que j'y vive si vous m'oubliez. Adieu, cruelle et silencieuse Sophie. Adieu.

      XXIII

Au Grandval, le 18 octobre 1759.

      Il n'y a sorte d'imaginations fâcheuses qui ne me viennent. Seriez-vous indisposée au point de ne pouvoir tenir une plume? La Touche est-il mort ou bien malade? Votre mère vous a-t-elle défendu de m'écrire? Êtes-vous à Paris? Êtes-vous en province? Quelque accident survenu à Mme Le Gendre ne vous aurait-il point appelée auprès d'elle? N'auriez-vous point envoyé vos lettres chez Grimm? Ne serait-il pas à Épinay? Ces lettres ne seraient-elles point retournées à Charenton, à Paris? Le ciel se fond en eau. Il n'y a pas moyen de s'éclaircir soi-même, ni par un autre. Si le Baron était un homme à qui l'on pût s'ouvrir, on aurait une voiture avec des chevaux et l'on irait à Charenton, peut-être même à Paris. Je vous ai écrit deux fois par la poste à l'adresse de M. La Touche, une troisième fois à votre adresse par un exprès, une quatrième aujourd'hui par un commissionnaire. Voilà ma cinquième lettre; mais que m'importe qu'elle vous parvienne ou non, si elle ne doit point avoir de réponse? Je n'entends non plus parler de Grimm que de vous. Je crois que demain je vous haïrai, et je vous oublierai tous les deux: je vous accorde encore vingt-quatre heures pour vous amender. Il nous est venu aujourd'hui, de Sussy, la compagnie la plus brillante. Il n'a tenu qu'à vous que je fusse charmant. On nous a présenté une Anglaise vraiment anglaise: de grands yeux, un visage ovale, une petite bouche, de belles dents, la taille la plus menue; mais cela est bien raide, bien empesé, bien sérieux. Les hommes jouent au billard, les femmes sont autour de la table verte, et moi je ne sais que faire. Sortir? On ne mettrait pas un chien à la porte. Lire? je ne m'entendrais pas. Causer? je ne saurais m'y résoudre. Travailler? je l'ai essayé inutilement. Je veux lire de vos lettres; mais il ne m'en viendra point; je me le dis; j'en suis convaincu. Avec cela, j'en attends toujours; non, je n'en attends plus. Vous me faites passer de cruels moments. Celle-ci vous parviendra par un ami de la maison, il vous l'enverra. Je vais le charger de prendre votre réponse. Je lui écris pour cela; et voici ce que je lui écris:

      «Je vous prie, monsieur, de foire passer cette lettre à son adresse. J'espère qu'on y répondra. En ce cas, vous apporterez vous-même la réponse si vous venez, ou vous la joindrez aux lettres de Mme d'Aine, si votre arrivée ici se différait de plusieurs jours.»

      Je le prie aussi de voir chez le directeur de la poste de Charenton. En vérité, mon amie, voici ce qui va arriver: l'impatience me prendra, un beau matin je m'habillerai, et je partirai pour Paris. Ne m'aimez-vous plus? dites-le-moi Vous serait-il arrivé quelque chose que vous rougiriez de m'apprendre? Ne faudra-t-il pas que vous me l'avouiez? Faites-le plus tôt que plus tard. Mais je suis fou; il n'est rien de tout cela; c'est autre chose que je n'entends pas, et qui s'éclaircira sans doute. Adieu! le commissionnaire de Mme d'Aine attend ce billet pour partir. Puisse-t-il être plus heureux que les précédents!

      XXIV

Au Grandval, le 20 octobre 1759.

      Vous vous portez bien, vous pensez à moi, vous m'aimez, vous m'aimerez toujours. Je vous crois; me voilà tranquille, je renaîs; je puis jouer, me promener, causer, travailler, être tout ce qui vous plaira. Ils ont dû me trouver, ces deux ou trois derniers jours, bien maussade. Non, mon amie, votre présence même n'aurait pas fait sur moi plus d'impression que votre première lettre. Avec quelle impatience je l'attendais! Je suis sûr qu'en la recevant mes mains tremblaient, mon visage se décomposait, ma voix s'altérait; et que si celui qui me l'a remise n'est pas un imbécile, il aura dit: Voilà un homme qui reçoit СКАЧАТЬ



<p>46</p>

C'est au moment du départ de Saint-Lambert que Mme d'Houdetot fit ce huitain exquis:

L'amant que j'adore,Prêt à me quitter,D'un moment encoreVoudrait profiter.Félicité vaineQu'on ne peut saisir,Trop près de la peine,Pour être un plaisir.
<p>47</p>

À la suite de l'attentat du 3 septembre 1758 contre Joseph Ier, roi de Portugal, onze accusés furent condamnés à mort, mais les PP. Malagrida, Alexandre et de Matos ne furent pas compris dans l'exécution de ce jugement. Le 3 septembre 1759, anniversaire de l'attentat, les Jésuites furent expulsés de Portugal et leurs biens confisqués. On en déporta 600 (et non 150) en Italie. Alexandre et de Matos restèrent en prison. Malagrida ne fut supplicié que le 20 septembre 1761.